Chambéry : Récit de la marche de soutien à Mickaël, dans le coma après avoir été tabassé par la police
Un rapide rappel des faits, hors version médiatico-policière
Vendredi 23 avril, à Chambéry, une bagarre éclate dans un parc. La police, qui avait déjà contrôlé une partie des personnes impliquées 20 minutes avant, intervient. Patrouille, Brigade Anti-Criminalité et brigade canine, rien que ça. Les coups et les insultes commencent à pleuvoir. Un homme, Mickaël, tente d’y échapper. Il est poursuivi par un membre de la Bac, qui lui met un coup de pied pour le faire tomber, avant de lui remettre plusieurs coups. Mickaël ne s’est pas relevé. Il est dans le coma, à l’hosto, à Grenoble.
La première version donnée par la police (donc par les médias) est la suivante : Mickaël aurait fait une mauvaise chute lors de son interpellation. Mais tout ça n’est pas très clair et la «police des polices», après les protestations de la famille de Mickaël, lance une enquête et un appel à témoins. Après avoir visionné les images de caméras de vidéosurveillance du parking dans lequel l’incident s’est déroulé, il s’avère que le flic a frappé Mickaël à plusieurs reprises, et assez violemment pour le mettre dans le coma.
Pierre Lombard, 39 ans, sévit dans la Bac de Chambéry depuis plusieurs années. Il a été mis en examen pour «violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique avec arme sur personne vulnérable». Il est actuellement en détention provisoire à la prison de Corbas, près de Lyon.
Le récit de la marche
Ce samedi 15 mai avait lieu une marche en soutien à Mickaël et à sa famille, annoncée par de petites affiches comme «citoyenne et silencieuse», avec la volonté que «justice soit faite» mais aussi l’envie bien palpable de dénoncer les violences policières. Environ 150 personnes s’étaient réunies à 14 heures place de la Mairie. Parmi elles quelques militants, des enfants, mais aussi beaucoup de celles et ceux que la police (et d’autres) considère comme «indésirables» : crêteuses, punks à chien, percées et tatouées, mal-habillés, buveuses de bière, gueulards, zonardes, tapeurs de manche, bizarres en tous genres… Celles et ceux qui connaissent les rues, la rue, mieux que tout le monde. Les ami.e.s de Mickaël. Celles et ceux avec qui je me suis senti beaucoup mieux cet après-midi-là qu’avec, mmmh au hasard, la clientèle d’Ikea.
Le cortège s’est rapidement mis en marche, avec à sa tête la mère et la compagne de Mickaël, se dirigeant d’abord à une allure assez soutenue vers l’endroit où le jeune homme a été tabassé.
Puis tout le monde s’est rendu devant le commissariat. Quelques «fonctionnaires» armé.e.s de gazeuses, matraques et autres joyeusetés bien en vue se sont alors déployé.e.s devant le bâtiment. La colère de la famille et des amis de Mike a pu s’exprimer de diverses manières : discussions, cris, injures, slogans («Justice pour Mike», «Marre des bavures policières») et même satisfaction d’un besoin naturel sur le comico… En tous cas, c’est clair, le silence n’était plus de mise, à part peut-être celui du seul gradé présent qui, quand la mère de Mike a demandé à «voir un responsable», a rétorqué qu’il n’aurait pas fallu venir «en pleine Ascension», qu’il n’y avait personne. Par ailleurs, à la question «Qu’avez-vous à répondre aux gen.te.s qui sont venu.e.s ici aujourd’hui pour protester contre les violences policières ?», le même répondra «Vous voulez aller où maintenant, parce que ça dépend où vous voulez aller, il va peut-être falloir qu’on coupe la circulation…» À ce niveau-là ce n’est plus de la langue de bois, c’est du mépris. La tension entre manifestant.e.s et policier.e.s était bien présente, les flics faisant plutôt profil bas. On ne les verra d’ailleurs à aucun moment pendant ce qui s’est donc transformé en une sorte de manif. Encore heureux.
Dans une joyeuse désorganisation qui rendait chaque mouvement collectif bien hasardeux, et en tentant de prendre en compte les envies d’Agnès, la mère de Mike, plusieurs gros carrefours de la ville ont alors été bloqués par l’ensemble du cortège, ce qui, un samedi après-midi entre 15 heures et 16 heures en plein centre de Chambéry, a considérablement foutu le dawa, mais surtout a donné une visibilité au rassemblement, permettant au plus courageu.x.ses d’aller expliquer l’action aux automobilistes. Les réactions allaient alors de «Je m’en fous, j’vais péter les plombs là !» à «Oui, j’en ai entendu parler, vous avez raison de faire ce que vous faites.» Place des Éléphants, les bus seront bloqués quelques minutes, d’autres slogans lancés («La police assassine», «Flics, porcs, assassins»), pendant que quelques centilitres d’urine, décidément l’arme de prédilection de cette manif, seront utilisés pour honorer comme il se doit l’entrée des locaux du Dauphiné Libéré. Une poubelle a elle aussi apporté sa contribution à la manif en décidant spontanément de prendre feu.
Comme mot de la fin, je laisse la parole à une personne présente dans la manifestation : «Tous les jours on a des récits de violences policières, et il ne se passe rien, y’a personne qui sort dans la rue. Alors moi je trouve ça très bien que là on le fasse. Tous les jours il pourrait y avoir une manif, pour dire que c’est pas comme ça qu’on voit la justice, que c’est pas comme ça qu’on voit le respect des individu.e.s. On a pas besoin des flics pour se gérer.»
À suivre, donc…
Post-scriptum sur le traitement médiatique de cette affaire
Comme d’habitude, il convient de se méfier des versions des faits données par les médias «classiques». Et même si les médias nationaux ont parlé du sort de Mike, c’est encore à notre Daubé local que revient la palme de la bêtise (par ailleurs, si vous n’êtes pas de droite, je vous déconseille fortement la lecture de la version papier, et encore moins celle du site internet, truffé de commentaires fachos).
Il faut imaginer Pierre-Éric Burdin, «journaliste», derrière son clavier d’ordinateur, qualifiant Mickaël de «marginal», rappelant, à chaque fois qu’il écrit son nom, son taux d’alcoolémie au moment des faits, donnant la parole aux collègues du flic mis en examen pour le dépeindre comme un homme «adorable» et qui n’a «jamais commis d’écart». Pierre-Éric, sais-tu quels mots utiliseraient pour te qualifier celles et ceux que tu désignes comme «marginaux» ? Pierre-Éric, t’es-tu déjà intéressé au taux d’alcoolémie du ministre de l’Intérieur après un bon resto quand il signe des contrats de commande de flashballs ? Pierre-Éric, es-tu allé demander leur avis aux ami.e.s de Mike concernant le policier Lombard, elles et eux qui testent régulièrement le bon fonctionnement de sa matraque et de sa gazeuse ?
Trois jours après les faits, le Daubé publie : «Le garçon de 29 ans aurait au cours de sa fuite perdu l’équilibre et serait tombé en arrière. Son crâne aurait alors heurté le sol. Lui qui allait avoir 30 ans en juin est maintenant en état de mort clinique, à Grenoble.»
Plus d’une semaine plus tard : «Que s’est-il passé ? Peu après les faits, un enquêteur de la Sûreté avait lancé un appel à témoins, indiquant que le jeune homme avait basculé en arrière en prenant la fuite. Scénario réfuté dès le lendemain par sa mère, sa femme, et l’un de ses amis présent ce soir-là», mais pas par le Daubé, qui s’était poliment contenté des informations de la police. Ironie du sort sécuritaire, «une vidéo de la scène a été enregistrée par une caméra de surveillance d’un parking public voisin. On y verrait le fonctionnaire donner des coups et faire chuter Mickaël Verrelle, selon le parquet», ce qui conduit notre quotidien chéri à titrer «Le policier écroué : il aurait tabassé Mickaël, 29 ans, toujours dans le coma».
Entre les deux versions il y a un gouffre, ressenti par les proches comme une humiliation. L’usage du conditionnel est décidemment une arme infaillible… Quand nous libèrerons vraiment le Daubé, peut-être titrerons-nous «Ce journal aurait été au service de la police pendant des années, mais maintenant c’est fini». À noter que dans l’édition du 16 mai (soit le lendemain de la manif, bien après que les vidéos aient incriminé le policier), une photo du même journal explique dans sa légende que Mike est «tombé dans le coma pendant une interpellation par la police», sans aucun mot sur les coups portés par le flic.
Enfin, il faut souligner que le réseau social virtuel «Facebook» a joué un sinistre rôle dans cette affaire. En effet, des policiers et leurs «sympathisant.e.s» se sont répandus sur les blogs de soutien à Mike pour appuyer leur collègue, en appelant à «éliminer la racaille». La famille et les proches ont été contraint.e.s de fermer la page … pour mieux aller directement au commissariat sans passer par la case «politique.com» !
Indymedia Grenoble, 16 mai 2010.