Abdul X vs Hortefeux
Le rappeur Abdul X doit comparaître devant le tribunal le 12 octobre
«Tirez sur les keufs». C’est le titre du clip polémique d’Abdul X, diffusé cet été sur YouTube et Facebook, avant d’être retiré. Cette vidéo dans laquelle on voyait le rappeur arme à la main avait provoqué l’ire des policiers. Abdul X doit comparaître le 12 octobre prochain devant la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris pour «provocation à s’armer contre l’autorité de l’État», «apologie de crime» et «injure publique envers une administration».
En août dernier, alerté par le blog Police — un groupe Facebook sur lequel communiquent les policiers —, le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux avait porté plainte contre le rappeur. Le ministre accusait Abdul X, de son vrai nom Pascal Henry, d’appeler au meurtre de policiers. Michèle Alliot-Marie avait ouvert une enquête préliminaire. Les paroles du morceau — «Tirez sur les keufs et sur le comico (commissariat). Gros big up à nos reufs (frères) […] qui sont au karpla (en prison) à cause de tous ces tarbas (bâtards). Une balle dans ta race» — avaient suscité aussi la colère des syndicats, Alliance et Synergie Officiers.
Abdul X vs Hortefeux
Placé en garde à vue avant d’être relâché, le jeune homme originaire de Sèvres dans les Hauts-de-Seine, déjà connu des services de police, s’était à l’époque publiquement excusé. Changement de ton aujourd’hui. «Je me suis excusé pour ma mère car elle s’inquiétait. Mais moi je ne regrette rien», confie-t-il au Point.fr. Pire, il récidive. Il y a quelques semaines, le rappeur a posté une nouvelle chanson sur YouTube : Abdul X vs Hortefeux, dans laquelle il s’en prend directement au ministre. Une provocation passée inaperçue. «Je n’ai eu aucun écho. Alors je suis en train d’en préparer une autre», déclare-t-il. Abdul X compte la diffuser juste avant son procès. Objectif officiel : «Dénoncer un État qui joue en permanence la comédie». Mais peut-être s’agit-il aussi de se faire un nom dans le milieu du rap… «Quelles que soient les paroles, un texte a avant tout une valeur artistique, défend son avocat, Me Yassine Bouzrou. Brassens a tout de même fait une chanson où il appelle à tuer les gendarmes.» Le procès d’Abdul X devrait relancer le débat sur les limites de la liberté d’expression.
Leur presse (lepoint.fr), 24 septembre 2010.
Abdul X : «Hortefeux, c’ est un comédien, un clown»
ENTRETIEN — Le rappeur est poursuivi par le ministre de l’ Intérieur pour son clip Tirez sur les keufs. 20minutes.fr l’ a rencontré chez lui, à Sèvres…
Abdul X a encore des choses à dire. Le rappeur qui a déclenché la colère des syndicats de police avec son clip Tirez sur les keufs s’est excusé en août. Mais, à quelques jours de son passage au tribunal pour la plainte déposée par Brice Hortefeux en personne, le gaillard de 21 ans tient à mettre les choses au point.
Rendez-vous à Sèvres, sa ville, celle où il a grandi entre une mère algérienne avec laquelle il vit toujours, et un père antillais retourné vivre en Martinique. «Devant chez ED», précise Abdul X — Pascal de son autre prénom — au téléphone. Casquette sur la tête, veste zippée sur un débardeur noir, Abdul X descend l’avenue et se signale d’un signe de la main. Le bonhomme, amateur de basket et de boxe, a la silhouette massive et l’air déterminé.
«Un complot de racistes»
«Je me suis excusé pour ma mère, pas pour Hortefeux, précise-t-il d’emblée. Hortefeux, je l’emmerde.» Direction le petit bar du coin, dans le centre de cette ville de la banlieue ouest. Sur le chemin, les commerçants saluent Abdul. «Les gens me soutiennent», explique le jeune homme. Installé en terrasse devant son café, Abdul X reprend le fil de son affaire.
«Moi, je n’ai jamais voulu faire le buzz», assure-t-il. Sa vidéo, postée sur Youtube, n’a dû sa notoriété qu’ au fait que le site fdesouche connoté d’extrême-droite (bien que son auteur le nie), l’ a mise en avant. «Un complot de racistes : d’abord fdesouche, ensuite Brice Hortefeux», dénonce Abdul X. Car selon lui, «le buzz a pris pour des raisons politiques», en plein tour de vis sécuritaire.
«J’assume tout ça la tête haute»
«Hortefeux fait le coup de feu !» Un vieux monsieur vient interrompre Abdul X pour lui serrer la main. Le rappeur reprend. Oui, il s’est excusé, mais sous la pression de sa mère, «très choquée par cette histoire». Pas sincère le mea culpa ? «Tirer sur les flics, tout le monde sait que c’est pas ça… C’est du rap.» Abdul élude. «J’assume tout ça la tête haute», affirme-t-il. Et puis, il le répète : «Derrière tout ça, il y a un artiste» dont «toutes les chansons n’insultent pas la police».
Son message, pourtant, est clair : «Arrêtez les bavures, arrêtez les mensonges des politiciens». Sa chanson polémique, il raconte l’avoir écrite «vers 17 ou 18 ans, en sortie de garde à vue». Les «contrôles abusifs», le «délit de faciès», il connaît. Les procès aussi : «La prison, ça ne me fait pas peur». Mais pas question de «se laisser caricaturer» par Brice Hortefeux. «C’est un comédien avec un grand C, un clown, même», lance Abdul à l’attention du ministre, qu’il n’a jamais rencontré.
«Un bon coup de pub»
«Un vrai manque de pédagogie», estime Abdul. En attendant de croiser la route de Brice Hortefeux — peut-être le 12 octobre, au tribunal — le rappeur ne perd pas le nord. «J’ai déjà répondu à Brice Hortefeux dans une vidéo, j’écris une chanson sur les politiques», égrène-t-il. Il a aussi signé un duo intitulé Tu sais qui on est avec Cortex, un rappeur aux prises judiciaires avec Marine le Pen et Éric Zemmour.
Tu sais qui on est
«Mon myspace a été supprimé, mais j’en prépare un autre pour bientôt», poursuit Abdul. Le buzz, il le répète, il ne l’a pas cherché. «Mais ça me fait un bon coup de pub», reconnaît le rappeur. Un coup de pub qui lui a valu quelques parodies pour moquer ses excuses. «Un coup des fachos», assène Abdul, sans se départir de son assurance : «Les gens savent que j’habite à Sèvres. S’ils ont un problème, qu’ils viennent me voir.»
Leur presse (20minutes.fr), 24 septembre.
Flex : «Les flics nous font des doigts d’honneur et des bisous»
En France, jeunes des cités et policiers jouent au jeu dangereux du chat et de la souris. Et cela se termine parfois très mal, comme lors des affrontements dans le quartier de la Villeneuve, à Grenoble, en juillet. Une animosité qui nourrit les textes des rappeurs issus de ces cités. «Reflet de la réalité», disent-ils, «apologie du crime», rétorquent les policiers. Témoignages.
Un bruit de fusil qu’on recharge. Un son métallique produit avec la bouche. À l’écoute, ça donne : «Crr-crr sur les flics». L’auteur de cet effet, tiré du clip Rappeur du quartier, est un jeune homme de 19 ans dénommé Flex. Habitant de La Courneuve, dans le département de la Seine-Saint-Denis près de Paris, il appartient à la mouvance, grandissante en France, du hardcore, un rap en béton armé. «Je n’appelle pas au meurtre, je décris une situation : dans le quartier, des flics se sont déjà fait tirer dessus», explique-t-il.
Flex livre ce constat : «Le rap, c’est “nique la police”». Des paroles et des musiques dures, sur une mécanique «les jeunes contre la police» bien huilée. Un casting simple, binaire. Eux les keufs, nous les mecs de cités. Flex vit dans l’une des plus emblématiques de France pour ses malheurs vécus, la fameuse cité des 4000, désormais en cours de réhabilitation urbaine.
Doigts d’honneur, bisous et «poulets»
«Dans nos cités, c’est un besoin de dire les choses», poursuit le rappeur. Et les choses, à l’entendre, se résument principalement au «jeu du chat et de la souris». «Pour nous provoquer, les flics nous font des doigts d’honneur, des bisous, des clins d’œil. Ils nous parlent mal, nous regardent mal, affirme-t-il. Nous, quand on les croise, on leur dit «poulets», ça les énerve. Pour un rien, une paire de Nike ou une couleur de peau, ils nous contrôlent et ça finit parfois en GAV (garde à vue, ndlr).»
Il y a de tout dans la cité où habite Flex : des footballeurs, des braqueurs, des dealers et des rappeurs. Il le clame dans Rappeur du quartier, dont la vidéo a été tournée aux 4000. «Nous, on n’a pas de règles ; on a nos parents, c’est tout. On a notre loi. Ce que les gens voient dans les clips, c’est la vie du quartier, vraiment. Je ne fais pas passer de messages, je montre, et cette liberté d’expression, j’y ai droit.»
Un inconnu au bataillon des rappeurs, Abdul X, a fait grand usage de cette liberté en balançant sur Internet, au mois de juin, un clip qui lui vaut aujourd’hui des ennuis avec la justice. Extrait : «Tirez sur les keufs et sur le comico (commissaire). Gros big up à nos reufs (frères) qui sont en GAV, qui sont au carpla (placard) à cause de tous ces tardba (batards). Une balle dans sa race…»
Cette vidéo a fait un «buzz» sur la Toile en raison, notamment, de la plainte déposée par des syndicats de police contre son auteur pour «apologie de crime». Le tout dans le contexte tendu des émeutes survenues en juillet dans le quartier grenoblois de la Villeneuve. «Ce n’est pas le rap en soi qui doit être condamné, mais la façon dont certains l’utilisent pour nourrir la haine chez les plus démunis», estime Mohamed Douhane, commandant de police, membre de l’un des syndicats plaignants Synergie Officiers. «Abdul X, comme d’autres rappeurs de son acabit, est en mal de notoriété, ajoute le policier. En promouvant la violence et le racisme contre la France blanche, il pense qu’il va pouvoir lancer une carrière. Il se pose en représentant des “gentilles” victimes noires et arabes. Ses propos reflètent une conception de la vie qui s’adresse aux simples d’esprit.»
Société violente, flics violents
Les policiers, cible privilégiée des rappeurs hardcore, n’ont-ils donc rien à se reprocher ? «Je n’ai jamais considéré qu’ils étaient tous des saints, surtout lorsqu’ils évoluent dans une société très violente», concède Mohamed Douhane. Fik’s, la trentaine, rappeur du duo Fik’s & P. Kaer, habitant des Ulis en région parisienne, où a grandi le footballeur Thierry Henry, dénonce les comportements violents de certains flics : «Avec leurs Taser et leurs tonfas (bâtons), ils se croient tout permis.»
Il se souvient d’un jour, aux Halles, à Paris. «J’avais 20 ans, nous étions plusieurs du même quartier, des flics nous ont dispersés alors que nous ne faisions rien de mal. Ils nous ont dit : «Rentrez dans vos banlieues, bande d’enculés !» Fik’s, d’origine congolaise, appartient à cette génération qui refuse de «baisser la tête devant les Blancs», comme le faisait la génération des «pères».
Un débat sans fin tente de trancher une question déjà posée lors des émeutes des banlieues en 2005 : le rap ultra favorise-t-il, chez les jeunes, le passage à l’acte violent ? Pas de réponse définitive, seulement des observations. Almamy Kanouté, éducateur de rue à Paris, élu municipal à Fresnes, en banlieue parisienne, constate ainsi que lorsque des «gamins de 13 ans se lancent dans un freestyle (une impro de rap), c’est presque à tous les coups «nique la police» qui revient dans les paroles». Nikko Phelbs, rappeur, montre des armes dans ses clips. «Mais ce n’est jamais gratuit, c’est intégré dans une mise en scène et ça décrit une réalité», explique-t-il.
À La Courneuve, Flex angoisse un peu pour son avenir : «Je ne me vois pas rappeur à vie». Il avait commencé un apprentissage qu’il a abandonné. Il est aujourd’hui employé par la mairie à un poste d’animateur de quartier. Il lui arrive d’emmener des enfants au Musée du Louvre.
Leur presse (Le Matin), 4 septembre.