Émeutes ouvrières dans le Zhejiang
Plus d’un millier de travailleurs migrants chinois ont attaqué récemment, et trois jours durant, le poste de police de Kanmen, une ville d’un comté de la province du Zhejiang, située au sud de Shanghaï, illustrant la persistance d’un malaise social dans les campagnes de Chine.
Selon une information diffusée, lundi 14 juillet, par la branche hongkongaise du Centre pour les droits de l’homme et la démocratie (CHRD), la colère des ouvriers a explosé, jeudi, après que l’un d’eux eût été battu par des policiers. La victime, Zhang Zhongfu, protestait contre le refus de la police de lui attribuer un permis de résident.
L’incident a d’abord provoqué une manifestation d’une centaine de personnes autour du commissariat. Les policiers ne voulant rien entendre aux doléances des ouvriers protestant contre le passage à tabac de leur camarade, l’affaire a tourné à l’émeute. Le CHRD ne donne pas de détails sur le bilan éventuel de blessés mais précise que 23 émeutiers ont été arrêtés, dont Zhang Zhongfu.
Les travailleurs migrants ou «mingong», en chinois, représenteraient une force de travail de près de 200 millions de personnes. Paysans pauvres de villages reculés des provinces défavorisées, ils sont venus en ville participer à l’extraordinaire essor d’urbanisation de la Chine de la fin du XXe siècle. Parfois exploités par des patrons qui ne les paient pas, ils travaillent dans des conditions dégradantes avec des horaires harassants.
Permis de résidence
Ce que demandait Zhang Zhongfu est à la racine du malaise des «mingong». Venus des campagnes, ils n’ont pas toujours d’existence légale en ville, formant une population flottante qui ne possède pas le document donnant des droits au citoyen chinois, le permis de résidence ou «houkou». Sans lui, pas d’école pour les enfants, pas de sécurité sociale, pas de couverture médicale… Autant d’avantages sociaux que la «dérive» capitaliste de la Chine a par ailleurs largement érodés pour l’ensemble de la population.
Les autorités ont annoncé à plusieurs reprises des mesures destinées à lutter contre les discriminations dont sont victimes les travailleurs migrants. Le système du «houkou» reste cependant, pour l’essentiel, en vigueur en Chine même s’il est devenu de moins en moins un objet de contrainte en province.
Cette émeute fait suite à d’autres violences, qui ont éclaté le 28 juin dans la province méridionale du Guizhou. Une manifestation réunissant une trentaine de milliers de personnes avait, elle aussi, dégénéré en bataille de rues dans le chef-lieu du comté de Wengan. La foule avait attaqué des bâtiments publics et des commissariats de police avant de renverser et d’incendier de nombreux véhicules. Le meurtre et le viol d’une jeune fille de 17 ans avaient provoqué cette flambée de colère.
Les camarades de classe de la victime accusaient la police de protéger le suspect de ce crime, qui serait le fils d’un responsable local. Le chef de la police a été par la suite démis de ses fonctions mais il a accusé les émeutiers d’être liés aux triades, les organisations chinoises de type mafieuses. La presse locale a annoncé, lundi, qu’une centaine de personnes avaient été arrêtées à la suite de cette émeute.
À la veille des Jeux olympiques, qui auront lieu à Pékin en août sous très haute surveillance policière, le pouvoir entend prouver qu’il est capable d’imposer la loi et l’ordre et de promouvoir le concept de «société harmonieuse» voulu par le président Hu Jintao. En 2006, selon les statistiques officielles, 87.000 manifestations et violences ont secoué de nombreuses villes et comtés de province. Depuis, le gouvernement a cessé de publier les chiffres illustrant ces dysfonctionnements sociaux.
Bruno Philip
Le Monde, 15 juillet 2008.