Expulsion d'Israël (1)
En Israël, le Ministre de l’Intérieur est toujours le Ministre des Expulsions…
9 juillet 2008, nouveau voyage vers les Territoires Occupés de Palestine…
Je ne pense même pas aux formalités douanières lorsque j’arrive vers 14 heures à l’aéroport Ben Gurion. Le contrôle de mon passeport et l’apposition du visa d’entrée n’ont jamais pris plus de quelques minutes…
Étrangement, alors que je n’ai pas encore mon passeport français à la main, une agente de police m’oriente vers un guichet réservé aux passeports israéliens. À ma remarque «Je ne suis pas Israélienne», elle répond «I know, Je sais» ! Ah bon, cela se voit donc à ma tête ?
La seconde policière, chargée du contrôle et du visa d’entrée, me pose les questions rituelles : le but de ma visite en Israël, la durée prévue du séjour. Je réponds tout aussi rituellement : tourisme pour plusieurs semaines. Mais ma réponse n’entraîne pas les questions habituelles suivantes : où allez-vous séjourner, connaissez-vous des personnes en Israël, avez-vous une invitation, etc ? Non, cette fois, la réaction du masque blond platine qui me fait face est d’une autre nature : «Vous ne venez pas en vacances ici plusieurs fois par an, je ne suis pas stupide !» Et elle appelle quelqu’un depuis son poste téléphonique, puis me demande de la suivre vers un bureau situé à proximité.
Là, un homme en chemise blanche avec galons, et kippa posée devant lui, se présente comme officier du Ministère de l’Intérieur. Il me repose les mêmes questions, auxquelles je fournis les mêmes réponses : ce que je viens faire en Israël (du tourisme), dans quelles villes je prévois de me rendre (Jérusalem et Bethlehem), dans quels hôtels (je donne des noms), qui je connais (personne en particulier)…
Mes réponses laconiques ne le satisfont évidemment pas : il écrit 13 sur un papier et soutient que je suis venue treize fois en 2005 ! Ce n’est pas pour du tourisme !
Je suis venue plusieurs fois par an, c’est vrai, les visas l’attestent, mais treize fois, ce n’est tout simplement pas possible. Je travaille en France, et je ne peux voyager que pendant des vacances. Il doit y avoir une erreur dans le décompte des tampons qui figurent sur mon passeport…
Vous ne nous dites pas la vérité, on ne peut pas vous laisser entrer… et il m’envoie dans la salle d’attente, où se trouvent déjà plusieurs personnes d’origine occidentale ou arabe.
J’attends un long moment, que je mets à profit pour prévenir quelques amis de mon probable retard lorsque j’arriverai à Jérusalem. J’allège aussi mon téléphone portable de tout ce qu’il a mémorisé ces derniers temps et je vide complètement la carte-mémoire de mon appareil-photo…
Plus tard, un homme en tenue décontractée, cheveux ras et teint bronzé, vient me chercher et, sur un ton badin, me dit qu’il souhaite me voir répondre à quelques questions… Je le suis dans une alvéole minuscule, où deux jeunes femmes sont tassées derrière un bureau et suivent des écrans d’ordinateurs. Il m’ordonne de m’asseoir en face d’elles, pendant que lui reste debout à côté de moi, appuyé à la cloison.
Lorsque je dis que je voudrais récupérer mes bagages, il me répond qu’ils sont plus en sécurité que lui-même dans cet aéroport…
Les autres, ceux qui m’ont interrogée avant lui, c’étaient la Sécurité d’abord et l’Intérieur ensuite, lui, c’est le Ministère de la Défense et ça n’a rien à voir. On va tout recommencer depuis le début…
— Qui vous paie vos voyages ?
— Moi-même.
— Pas possible, je gagne deux fois votre salaire, et je ne pourrais pas me le permettre !Et il reprend la thèse des treize voyages en Israël en une année.
Le ton se fait plus dur : il veut savoir ce que je visite dans le pays, les noms des lieux à Jérusalem, à Bethlehem, les hôtels où j’ai mes habitudes, le nom des gens qui m’y accueillent, je dois savoir comment ils s’appellent et ils doivent me connaître familièrement… Il me fait donner une feuille pour que j’écrive…
Je réponds que je ne veux pas donner de noms de personnes…
Il coupe alors net l’interrogatoire et m’ordonne de retourner en salle d’attente, il y a beaucoup de gens, on a tout le temps, ajoute-t-il…
Entre-temps, des jeunes sont arrivés, occidentaux manifestement. D’autres familles arabes, aussi. La salle s’est remplie.
Par téléphone, je lance mes premiers appels à l’aide. Une amie me donne le numéro des urgences du Consulat de France (celui que j’avais était périmé !), et tout de suite, une Consul-adjointe me recontacte pour me dire que, renseignements pris auprès des services de sécurité de l’aéroport, je n’aurai pas de visa d’entrée et je serai expulsée très rapidement. C’est une décision irrévocable ! Elle me conseille de faire appel à la presse française lorsque je serai rentrée à Paris. Je fais valoir que je préférerais me battre d’abord sur place pour obtenir le droit d’entrer… Contacter la presse israélienne alors, cela peut être efficace… En dernier ressort, elle me donne le téléphone d’un avocat.
Des amis palestiniens cherchent de leur côté à obtenir aussi le concours d’un avocat…
Dans la salle d’attente, j’interroge mes voisins occidentaux : ils ont dit qu’ils venaient comme bénévoles donner des cours dans un camp de Réfugiés, par l’intermédiaire de l’UNRWA (Office de l’ONU pour les Réfugiés Palestiniens). Le ballet des interrogatoires continue…
Une policière en chemise blanche et uniforme marine vient à nouveau me chercher et me laisse entendre que, comme je n’ai pas voulu coopérer…
Le premier officier, celui de l’Intérieur, est toujours à son bureau, sa kippa posée devant lui. Il me dit que je n’ai pas dit la vérité sur mes activités, que j’ai menti, et que pour cette raison, le ministère qu’il représente ne m’autorisera pas à entrer… Je lui explique alors que je suis syndicaliste en France et que, après que mon union syndicale a invité une représentante du syndicat des Femmes Arabes de Beit Sahour à participer à son congrès en juin dernier, je viens à mon tour rendre visite à ce syndicat avec lequel nous travaillons.
— Pourquoi nous avez-vous menti ?
— Je n’ai pas menti, je viens aussi faire du tourisme, découvrir le pays, et je profite de mon voyage pour effectuer cette visite à des syndicalistes amis…
— Pourquoi ne l’avoir pas dit plus tôt ?
— Parce que je sais que si j’avais parlé de ces liens avec une structure sociale palestinienne, cela serait devenu immédiatement un problème pour vous…
— Quelles sont les activités de ce syndicat des femmes arabes ?
— Des activités sociales : aide à l’enfance, atelier de travail pour handicapés, aide aux femmes en difficultés…
— Est-ce que cette structure participe à des manifestations contre l’armée ?
— Elles font un travail social, pour les femmes, les enfants, les handicapés…Mais il est trop tard, la décision est prise, «j’aurais dû demander un visa auprès des autorités consulaires israéliennes en France»…
Ceux-là doivent pourtant bien savoir que les Français n’ont pas à demander de visa d’entrée en Israël…
Retour en salle d’attente où une policière est venue s’asseoir aussi, un portable rivé à l’oreille et à la bouche. Au début, je crois qu’elle est venue faire une pause bavardage avec une autre pipelette. Mais quand je me lève pour téléphoner et que je franchis la porte, elle me signifie que je ne peux sortir de la pièce… Je lui demande de l’eau, «il n’y a que la fontaine à côté des toilettes», et elle doit m’y accompagner… Je comprends que désormais, ils ne vont plus me lâcher d’une semelle !
On me demande de me rendre au contrôle des bagages. Escorte : quatre pour une ! Je récupère ma valise qui traînait (en «toute sécurité» !) au milieu des tapis roulants depuis le début d’après-midi, et nous voilà partis pour un centre de scannage ultra-verrouillé. Ils sont au moins quinze à défiler là-dedans, chargeant des valises énormes, et passant leurs engins magnétiques sur tout ce qui pourrait contenir … quoi ?
Après le scanner, je dois ouvrir mes sacs que des jeunes gens en gants blancs vont déballer complètement. Ils ne trouvent rien qui puisse intéresser les services secrets, évidemment, mais même mon téléphone français a été passé au détecteur de mensonges. Il a pris une telle dose de gégène que pendant un temps, il écrit tout seul des messages sibyllins remplis de 7…
Fouille au corps pour terminer, sous les propos gênés de la jeune femme qui doit me palper … jusque sous les pieds (nus !). Je lui dis que ça me fait sourire parce que je n’ai rien à cacher !
Ultime retour à la salle d’attente, qui s’est presque vidée. Il est tard. Une autre jeune femme en débardeur poussin moulant sa grossesse m’annonce qu’elle va m’emmener là où je pourrai me rafraîchir, manger, boire, me reposer… Je proteste, j’attends des nouvelles du Consulat, d’un avocat, on ne m’a rien signifié officiellement, pas expliqué ce qui allait se passer maintenant, alors que j’ai obtenu plus d’une dizaine de visas d’entrée sans problème jusque-là !
Mais elle a des ordres, je dois la suivre, elle et sa collègue en tenue plus «bleu marine», qui me jette des regards noirs…
Je dis à celle qui me parle avec le sourire que je la trouve charmante dans son débardeur jaune et ses tongues dorées, mais que je ne sais pas qui elle est, que je n’ai aucune raison de lui faire confiance, que je voudrais une explication face à face avec l’autorité qui décide !
Elle éclate de rire en s’excusant de sa tenue … de femme enceinte et me montre sa carte professionnelle. Mais pour moi, c’est de l’hébreu !
Dans un fourgon banalisé, où j’ai dû monter tout à l’arrière, elles me conduisent vers une destination inconnue. Je reconnais seulement les panneaux aéroportuaires qu’on voit partout aux abords des tarmacs : Terminal 2, Terminal 3.
Un Consul de France m’appelle sur mon portable. Gros yeux de celle qui ne sait que donner des ordres : «Vous n’avez pas le droit de téléphoner» ! Je continue à parler en français à mon interlocuteur, qui me confirme qu’il n’a rien pu faire pour moi auprès des autorités israéliennes.
Nouveau rappel à l’ordre : je dis «C’est le Consul de France, vous ne pouvez pas m’empêcher de communiquer avec lui, vous pouvez vérifier».
Bref échange, la voix rude se radoucit et me repasse mon portable. Le Consul, qui a une légère intonation de la Caraïbe, me dit que, dans mon cas, ses services n’insistent pas trop, car autrement, ils n’auraient plus de monnaie d’échange et se décrédibiliseraient complètement (sic !).
Le fourgon s’arrête, on me fait descendre, passer des grilles où d’autres policiers nous attendent. Je dois laisser ma valise dans un rez-de-chaussée étroit et monter à l’étage : endroit glauque composé d’un petit hall avec quelques chaises de molesquine fatiguée, une table basse, et, derrière, un bureau vitré avec des hommes en uniforme.
On me dit de m’asseoir. Pour passer le temps et oublier un peu l’endroit, je sors un livre. Je ne sais pas où je suis. En dehors des flics, je ne vois personne. Il y a juste un couloir face à moi, avec des portes kaki percées d’une petite fenêtre vitrée. Un policier fait entrer dans ce couloir plusieurs hommes de type asiatique, tout sourire lorsqu’ils me voient, et les entraîne plus loin.
Un homme noir d’un certain âge arrive alors avec un bracelet de plastique au bras droit et peut-être un pansement au creux du coude… Il s’assoit à côté de moi et se met à téléphoner dans une langue inconnue. Lorsqu’il raccroche, je le salue. Il se touche la tête en disant qu’il a mal. Il a l’air mal en point. Je lui demande s’il a des médicaments pour la douleur, oui, on lui en a donné. Il ne tient pas debout. Soudain, je repense au détenu tunisien qui est mort au CRA de Vincennes, faute de soins, alors qu’il avait demandé de l’aide. Je suggère au policier d’emmener cet homme dans une pièce tranquille où il pourrait s’allonger…
J’ai soif et la jeune femme enceinte, qui est toujours dans le bureau, me conduit à la cuisine, en me proposant aussi un sandwich qu’elle sort du frigo. Je n’ai pas vraiment envie de manger cellophane, mais j’accepte en pensant à la nuit qui m’attend… Nous discutons des droits des femmes enceintes en Israël. Pas grand-chose, comparativement aux congés maternité en France : elle travaillera jusqu’à son accouchement ! Ses mots ne sont pas tendres pour le travail qu’elle fait…
Je demande encore un thé et la possibilité de téléphoner à un ami qui connaît un avocat et ne peut plus me joindre sur mon téléphone, qui m’a été retiré. Les policiers acceptent aussi de me laisser voir ce qui est écrit dans mon passeport. À ma grande surprise, il n’y a pas le moindre tampon attestant de mon passage par l’aéroport, la police des frontières, la douane, les services «spéciaux». Aucune trace du «Denied» de refoulement tant de fois répété dans l’après-midi ! Je songe que cette absence de trace écrite du refus de visa ne va pas me faciliter la tâche en France, si je veux contester la décision…
Les policiers présents ce soir-là n’en reviennent pas qu’on ait pu prendre la décision de me renvoyer après m’avoir accordé X visas pendant des années…
Je retourne m’asseoir.