Un dimanche matin au TGI de Paris devant le juge des libertés et de la détention
… Témoignage d’audience au JLD. Même si je sais qu’on manque de temps pour ça, je me dis juste que souvent c’est pas mal de faire des comptes-rendus d’audiences car c’est assez instructif sur ce qu’on appelle la justice (qui somme toute est composée d’une part d’arbitraire, à commencer par la personnalité du juge) mais aussi sur tout ce qui fait procédure. — F.
Dimanche 20 juin, palais de Justice de Paris, audiences dites du 35bis
Il est 10 heures, heure à laquelle les audiences sont censées débuter. Sur la liste affichée sur la porte on voit que 10 personnes sont inscrites aujourd’hui pour passer devant le juge des libertés et de la détention, enfin, la juge puisqu’apparemment elle s’appelle Martine Auriol, c’est écrit en haut de la liste. Plusieurs personnes attendent sur le pallier : des familles, des amis de celles et ceux qu’on dit être sans papiers et qui, au hasard d’un contrôle d’identité, d’une démarche administrative ou de n’importe quels aléas de la vie se sont retrouvés stockés dans un centre de rétention en attendant que l’administration organise leur expulsion.
Au 35bis on en est encore à la phase de tri : la personne dite sans papiers peut espérer sortir au cas où le juge décide d’annuler la procédure en raison par exemple d’un problème technique (appelé vice de forme ou vice de procédure) ou bien si il décide d’une assignation à résidence, c’est-à-dire de faire effectuer le contrôle de la personne à son domicile en attendant son expulsion.
10h30, On attend toujours. Quelqu’un ouvre la porte et demande aux flics qui sont dans le sas si ça a commencé. «Non.»
11 heures, Une quinzaine de personnes attendent toujours. Diverses personnes entrent et sortent du sas, nous regardent entassés là, qui assis dans les escaliers, qui par terre, qui adossé au mur, qui sur les trois sièges qui se battent en duel. On passe la tête par la porte. Non toujours rien.
11h10, Il y en a qui s’impatientent poliment : ça n’a toujours pas commencé ? Les gardes répondent que non, la juge n’est pas là.
11h15, Une avocate sort du sas pour dire à une famille que ça va être leur tour. Comment ça son tour ? Ça a commencé, Et bah oui. On entre, on proteste : «Il y a des gens qui attendent pour voir un proche, les audiences sont publiques, on n’a pas le droit de ne pas nous laisser entrer.» On sait bien que le droit c’est arbitraire, mais quand même ! Un policier bafouille qu’on ne lui avait «pas dit que ça avait commencé», un autre rétorque «Moi, j’fais ce qu’on me dit et on m’a dit de ne pas vous laisser entrer.»
Maintenant que l’on sait, on entre dans la salle d’audience. Quatre personnes ont déjà été jugées ; toutes seules, quand je dis toutes seules, c’est-à-dire sans personne d’autre que la juge, la greffière, les avocats de la Préfecture, un ou une avocat/e de la défense et des gendarmes… c’est-à-dire sans personne qui ne soit payé pour être là, sans peut-être ne serait-ce qu’un sourire, un regard compatissant… Quelqu’un qui était avec nous en train d’attendre ne reste pas. Sans doute l’un des quatre dossiers (terme souvent usité pour parler des gens dans ce genre de lieu) déjà jugé.
11h22, Un policier vient demander à chacun de nous pour qui on est là.
11h44, La juge entre.
«M. Varella Pinella.» C’est un jeune. Trois personnes, vraisemblablement sa famille proche, sont là pour lui.
Son avocate soulève plusieurs moyens de nullité, parmi lesquels un délai excessif de transfert entre le commissariat où il était en garde à vue et le centre de rétention de Vincennes, à savoir plus de 2 heures, pendant lesquelles il n’a notamment pas pu exercer son droit à communiquer avec les personnes de son choix vu que son téléphone n’était pas chargé.
La jeune représentante de la Préfecture du 92 rétorquera entre autres que les policiers ne peuvent tout de même pas vérifier si les téléphones portables sont chargés et que ce qui compte c’est qu’il ait eu ledit portable à disposition.
La juge dicte à voix basse les motivations qui vont lui permettre de rejeter les nullités soulevées par l’avocate. On entend vaguement «délai de 2 heures pas excessif compte tenu de la circulation et de la mise à disposition d’un téléphone». En conclusion, elle hausse la voix : «Nullités rejetées, rétention prolongée.»
La famille ne comprend pas ce charabia juridico-administratif ; nos regards se croisent, je leur explique que ce n’est pas bon, je vois les larmes qui leur montent aux yeux.
Maintenant on appelle M. Soumare Cheikhouna, un travailleur sans papier en grève qui en est à son 17e jour de rétention et qui passe donc pour la 2e fois devant un juge des libertés et de la détention.
Pour lui, le registre de rétention n'a pas été actualisé, comme il doit l'être selon la loi. La préfecture invoque une jurisprudence datant d'il y a 10 jours indiquant que le JLD n'a pas à vérifier l'actualisation des registres. Elle marmonne un truc sur un vol pour Nouakchott.
Pendant que la juge dicte ses attendus à la greffière, l’avocat sort. La juge s’énerve et dit à un gendarme de lui demander si «il peut revenir car je ne suis pas à sa disposition». L’avocat parle de l’ordre des prévenus, ce à quoi la juge rétorque «Il n’y a pas d’ordre établi, c’est moi qui fais l’ordre.» Et elle enchaîne : requête irrecevable, rétention prolongée, 15 jours.
Vient le tour de Mme Valtre. Elle est en rétention depuis hier. Elle a 67 ans, elle a dû être hospitalisée à l’Hôtel Dieu, elle ne sera pas là. Plusieurs de ses 7 enfants sont là.
Finalement la juge dit qu’elle va prendre M. Cissé avant.
M. Cissé entre. Il est très jeune. Des gens sont là pour lui dans la salle. Il a un interprète.
Le défaut d’interprète pendant la garde à vue et que ce soit au moment de la notification des droits ou au moment de la notification du placement en rétention, c’est d’ailleurs l’un des motifs soulevés par l’avocat. Mais bon, comme dit l’avocate de la préfecture de Paris, les officiers de police judiciaire ont l’habitude de ce genre de procédure et évaluent s’il y a besoin d’un interprète. Si M. Cissé ne lit pas le français il le comprend sûrement et les PV lui ont été lus par les policiers.
Concernant le 2e moyen de nullité soulevé, à savoir une durée de garde à vue excessive étant donné que la situation administrative de M. Cissé était connue et aurait permis un placement plus rapide en rétention, cette même avocate fait remarquer une jurisprudence constante qui dit qu’une garde à vue inférieure à 24 heures n’est pas excessive et que là ça n’a duré que 8 heures. C’est vrai 8 heures enfermé dans quelques mètres carrés, sans lacets, ni ceinture à son pantalon, sans pouvoir téléphoner ni aller aux toilettes quand on veut, ni …, ni …, c’est vraiment rien du tout !
Bien sûr la juge rejette les nullités, M. Cissé reste en rétention.
Arrive le tour de Mme Valtre.
Maître Diop, l’avocat qui est déjà intervenu pour M. Soumaré, le monsieur gréviste, remet ses conclusions. La juge s’enquiert «C’est écrit lisiblement ? Le but c’est que je lise avant l’audience.»
Elle se retire.
La greffière demande «Maître vous avez un passeport ?»
Pendant le temps d’attente, apparaît le fait qu’un des retenus a eu son ordonnance de maintien en rétention rédigée avant son passage. On entend l’avocate de la Préfecture dire «Elle est grave, mais de toute façon ce moyen est toujours rejeté devant le JLD.»
La juge revient.
L’avocat a soulevé plein de moyens de nullité :
Le 1er concerne l’incompatibilité de l’état de santé de cette dame âgée avec un maintien en rétention. La juge prétend que ce n’est pas au JLD de se prononcer là-dessus. L’avocat insiste sur le fait qu’elle a le pouvoir de mettre fin à la rétention et qu’il y a un PV du médecin qui atteste de l’incompatibilité de l’état de santé de la dame avec cette mesure.
Le 2e moyen soulevé concerne la procédure, Mme Valtre s’étant retrouvée au commissariat pour porter plainte après une agression.
Parmi les autres nullités soulevées (je n’ai pas tout noté) :
— Une entrave à la liberté de communication de Mme Valtre et de ses enfants, ceux-ci s’étant vus refuser un droit de visite sans aucune motivation médicale lorsqu’ils ont voulu lui rendre visite la veille à l’Hôtel Dieu.
— Un problème de notification des droits en garde à vue, Mme Valtre ne sachant pas lire le français. Elle a d’ailleurs refusé de signer le PV de garde à vue pour ce motif.
— Un problème d’avocat : Mme Valtre a demandé un commis d’office. Le PV de notification de fin de garde à vue stipule qu’elle aurait rencontré cet avocat mais aucun autre PV ne mentionne cette rencontre qui de toute façon n’a apparemment pas eu lieu.
12h37, La juge accepte l’un des moyens de nullité, celui sur le problème de notification de garde à vue semble-t-il.
Nous sommes plusieurs à sortir. Les enfants de Mme Valtre sont contents, l’un d’eux nous souhaite une future rencontre parce qu’il faut continuer à lutter.
Il reste deux personnes dont la liberté est suspendue au couperet de la juge Mme Auriol. Nous ne saurons pas ce qu’elles sont devenues mais il y a de fortes présomptions pour que la décision ait été «Nullités rejetées, rétention prolongée».
Liste RESF, 22 juin 2010.