Tunisie : Le mouvement de contestation sociale et politique ne s'essoufle pas !
Déclaration d’un groupe trostkiste concernant les événements qui se déroulent en Tunisie.
DÉCLARATION DE L’ÉTOILE NORD AFRICAINE ANTICAPITALISTE DU 2 JANVIER 2010
LE MOUVEMENT DE CONSTESTATION SOCIALE ET POLITIQUE NE S’ESSOUFLE PAS !
Où en est le mouvement de l’Intifada de Sidi Bouzid alors que l’on aborde une troisième semaine de mobilisations ; que l’on fête la nouvelle année 2011 avec comme prochain anniversaire le 5 janvier, date du démarrage de l’Intifada de Rédeyef et des villes minières du bassin minier de Gafsa dont les conditions de déclenchement, les modalités d’actions et les mots d’ordre résonnent en s’amplifiant dans la nouvelle situation.
Nous l’avons déjà remarqué, à la différence de l’Intifada de Redeyef et de celle de Ben Gardanne celle de Sidi Bouzid a «embrasé» le pays et c’est une première leçon.
Les coups de semonce qu’assènent les mouvements sociaux et politiques contre la dictature commencent à apporter leurs fruits.
Plus rien ne sera plus comme avant Bouzid et Bouzaienne, les deux villes martyrs qui ont été cette fois-ci l’épicentre du nouveau tsunami qui frappe les fondations de la dictature de Ben Ali.
Il faut écouter la sœur de Bouazizi, s’exprimant sur «Nessma TV», la chaîne «Ben ammaro-berlusconnienne» défendre l’honneur de son frère. Quelle leçon de dignité ! Et quelle leçon de politique à l’endroit de ceux «qui n’expriment que leur apitoiement solidaire» alors qu’ils sont sensé représenter des «partis de l’opposition politique» ayant pignon sur rue, et en principe avoir des perspectives concrètes à offrir à ceux qui sont en révolte contre la dictature.
Il faut écouter et réécouter les prises de parole sur la même chaîne des habitants de Sidi Bouzid et Bouzaienne. Quelle formidable leçon ils donnent «aux politiciens de métier». Quelle conscience politique dans la bouche de jeunes et de «chibanis» que l’on a toujours taxés «d’apolitiques». Mais où trouvent-ils la justesse de leurs arguments ? Ceux-là, que les «partis politiques d’opposition» et les «personnalités de la société civile» voulaient ; dans un mépris qui n’a d’égal que l’endroit à partir duquel on profère les sentences en forme de catéchisme politique ; «diriger».
Il faut entendre ce vieux «chibani» dont le journaliste «berlusconnien», Heythem Makki n’a même pas daigné nommer, comme il ne nommera pas les interviewés auxquels on a consacré quelques précieuses minutes durant une émission de presque deux heures consacrées en forme d’émission spéciale «Sidi Bouzid» aux évènements. Mais celà, c’est le propre des «médias berlusconiens», montrés comme modèle de communication, mais qui sont, en fait, le nouvel arsenal de décervelage au service de la dictature. Des médias qui sont à l’affut de «temps de cerveaux disponibles».
Que retenir de ces interventions de ces simples citoyens si ce n’est le haut niveau de compréhension de la situation politique. Qu’affirment ces simples citoyens, courageusement, devant les caméras de «la petite brise» Nesma TV.
Premièrement, «nous ne faisons plus confiance aux élus qui ne représentent qu’eux-mêmes et qui ne peuvent être à la fois le nœud et la solution du problème».
D’où l’insistance du «contrôle» des élus par la base. Le Chibani a repris en boucle «El Mouraquaba, El Mouraquaba , El Mouraquaba» (le contrôle).
Voici une revendication qui devrait servir à la plate-forme à laquelle il faut réfléchir dès maintenant pour l’après dictature.
«El Mouraquaba», c’est la réclamation pour que les deniers publics servent à ceux qui en ont le plus besoin.
«El Mouraquaba» ! Comment peut-on contrôler nos «élus» ? De nombreuses expériences existent et on peut s’en inspirer.
Pour empêcher qu’un élu ne se transforme en petit «féodal» sur sa circonscription, il est nécessaire de réduire son salaire pour le faire correspondre à celui d’un salarié moyen, ni plus ni moins. Aucun privilège ne doit être octroyé en termes de logement de «fonction», moyens de transport, de téléphone, de bons d’essence etc…, en dehors de l’essentiel pour le fonctionnement de sa délégation. Tout doit être vérifiable par n’importe quel citoyen réclamant des comptes à l’élu.
Les élus n’auront droit qu’à deux mandats exclusivement. Cela empêchera que l’on s’encroûte dans des fonctions de délégations. Cela vaut pour toutes les instances politiques, syndicales, associatives.
La rotation des fonctions est un des moyens pour stopper la bureaucratisation.
Le deuxième thème qui s’exprime par la bouche d’un jeune diplômé de Sidi Bouzid, dont on ne connaîtra pas l’identité, porte sur le travail comme base de la dignité humaine. Il faut entendre ce jeune s’exprimant parfaitement, dans une langue épurée, à propos du malaise qui touche plus de la moitié des jeunes de ce pays.
Pour donner du travail dans une situation économique que tout le monde reconnaît comme étant difficile, à cause d’une crise économique mondiale qui s’approfondit de l’avis unanime, il n’y a d’autres solutions que le partage du travail entre toutes les mains disponibles.
Notre camarade Hamma Hammami, du Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie (PCOT) a avancé, dans une intervention sur le net, l’idée d’une «allocation jeune» pour tous les jeunes diplômés chômeurs et l’idée doit être creusée en l’élargissant à tous les chômeurs. Mais la question qui se pose est quel serait le montant de cette allocation de survie.
Jusqu’à présent le régime a préféré des procédures d’aides versées aux entreprises et sociétés qui embauchent pour des contrats à durée déterminée des diplômés chômeurs. Ce qui revient à faire porter par la communauté et pour le seul bien des capitalistes la charge de cette aide.
Comment empêcher ce type de détournement des deniers publics pour le grand bénéfice des seuls patrons. De plus, aucune évaluation sérieuse n’est venue corroborer cette politique de soutien quant à l’insertion des jeunes sur le marché du travail.
Nous proposons et c’est aujourd’hui d’une actualité brûlante la création d’une association des chômeurs diplômés et non diplômés. Cette association reconnue et financée par des subventions publiques, devra avoir des relais dans toutes les régions du pays pour regrouper les chômeurs, représenter leurs intérêts matériels et moraux. C’est cette association de chômeurs qui établira la réelle cartographie de la situation du chômage dans le pays. Elle contribuera à une réelle évaluation des besoins de ces derniers en matière de compléments de formation, d’orientation et de conseil.
Elle peut être constituée à la suite d’assises régionales et nationales sur le thème du chômage et de ses causes. C’est à elle que reviendra, démocratiquement, la représentation des revendications des chômeurs.
Troisièmement, la question de la répartition des richesses est sur toutes les lèvres lorsque l’on pointe les «familles mafieuses» qui ont fait main basse sur la ville. Pas un citoyen qui ne soit au courant des «affaires» concernant l’enrichissement illicite des parrains issus du sérail de Carthage. D’où le mot d’ordre «De l’argent, il y en a dans la poche de la mafia».
Cette dignité, exprimée au courant d’une émission (sur commande) de la télévision périphérique Nesma TV et durant quelques minutes de reportages à Sidi Bouzid, donne un aperçu du degré de politisation des gens du peuple qu’ils soient jeunes ou âgés.
C’est une vraie leçon de choses pour tous ceux qui n’ont jamais désespéré de la générosité populaire.
Quant à l’analyse que l’on peut faire de cette émission et de la télé «berlusconienne» qui l’a programmée, certains analystes y ont décelé un début de décrispation de la chape de plomb imposée par le régime sur toute forme d’informations en provenance de la région.
Notre lecture est tout autre. «Nesma TV» reflète une frange de la bourgeoisie tunisienne qui a pris conscience du danger, pour sa domination de classe, d’une fermeture totale du système. Elle représente la fraction la plus «intelligente», la plus «moderne» qui sait que l’on peut manipuler le «populo» par les médias en le maintenant dans un monde «irréel» où les individus ont le sentiment d’agir sur le réel à travers les médias de type «berlusconien».
C’est le concept «C’est mon choix», «Vis ta vie», et les émissions «El Moussamih Karim» et autres «joyeuseries» qui visent à faire croire que l’on est tous «égaux» dans la vie. Qu’il n’y a pas de dominants et de dominés. Qu’il n’y a pas d’exploitants et d’exploités, bref qu’il n’y a pas de lutte de classes. C’est ce que font les Berlusconi, les Sarkozy, les Ben Ali et consorts.
Cette frange de la bourgeoisie veut le beurre et l’argent du beurre. Des travailleurs dociles, facilement exploitables, et une société qui ne rechigne pas devant les sacrifices, mais en même temps elle ne supporte pas la présence policière et le corset que la dictature de Ben Ali a instauré pour que ces travailleurs courbent l’échine. Parce qu’elle veut que l’on «tonde» les exploités, qu’ils soient permanents ou précaires, et que dans le même temps on puisse les «amuser» par le spectacle de leur propre «tonte». C’est le concept à la mode aujourd’hui : «Gagnant-gagnant».
Cette fraction de la bourgeoisie voudrait amuser la galerie dans «des guerres picrocholines dans lesquelles le microcosme médiatique s’étripe à coups d’épées de bois et de pistolets à eau. Ces flatulences polémiques sont inversement proportionnelles à l’importance des enjeux, comme s’il fallait s’inventer à tous prix de bonnes causes domestiques pour mieux se détourner des grandes causes qui ébranlent le monde.» (D. Ben Saïd)
C’est une période intéressante, celle que vit la Tunisie aujourd’hui. De celle à laquelle on assiste tous les deux ou trois décennies.
Lenine disait que les périodes prérévolutionnaires se caractérisaient par le fait «que ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant et ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant». Nous avions un petit avant goût de cela non seulement en Tunisie, mais aussi en Égypte, en Algérie, et sur s’autres continents.
Dans ces moments, il faut que l’énergie déployée par les masses soit concentrée pour atteindre l’objectif qui est scandé dans toutes les manifestations : «De Redeyef à Bengardanne, de Bouzid à Bouzaienne la mobilisation en vue la chute de Ben Ali».
Il est urgent de se rassembler autour de cet objectif dans un seul mouvement unitaire et réellement démocratique. Lui seul pourra réaliser ce qui apparaissait il n’y a pas si longtemps comme de l’ordre de l’impossible.
«Mahi ken el Bidayya, Ouel Massira moustamira ou Ben Ali Ala Barra.»
Ce n’est qu’un début, Continuons le combat…
Lundi 3 janvier 2011.