Sur "Tarnac", 26 novembre 2009
Plusieurs députés et les trois avocats des neuf mis en examen dans l'affaire de Tarnac ont dénoncé mercredi lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale, "une affaire d'État", "une instruction à charge sous couvert de terrorisme" et un État "de plus en plus opaque".
François Hollande, député socialiste de Corrèze, a estimé qu'il "fallait clore l'instruction". "Rien ne peut qualifier le terrorisme sur les faits évoqués et rien ne laisse penser qu'il faudrait prolonger l'instruction", a-t-il affirmé, considérant que "cette affaire était un fiasco".
"Un abus de détention provisoire", a renchéri André Vallini, député socialiste de l'Isère, qui parle de "fuite en avant du pouvoir et de la Justice" et d'une "affaire d'État".
Interpellées pour beaucoup à Tarnac en Corrèze, les neuf personnes proches de la mouvance qualifiée d'"anarcho-autonome" par la police ont été mises en examen à la mi-novembre 2008 dans cette affaire dont la qualification terroriste fait débat. Cinq d'entre elles sont soupçonnées d'avoir participé à des actes de malveillance ayant visé des lignes SNCF.
Parmi elles, Julien Coupat, présenté comme le chef d'une "cellule invisible", est poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, dégradations en réunion en relation avec une entreprise terroriste et direction d'une structure à vocation terroriste. Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire fin mai. Il a toujours clamé son innocence.
Les avocats des neuf mis en examen notent "une singularité qu'on ne retrouve dans aucun autre dossier similaire". Me Thierry Lévy doute ainsi de "l'authenticité des procès-verbaux" et trouve la police judiciaire "suspecte". "On se demande s'ils n'ont pas fabriqué, forgé des éléments pour donner consistance à des faits qui n'existent pas", accuse-t-il.
En cause, un procès-verbal de filature, daté du 8 novembre 2008, d'un membre de la Sous-direction antiterroriste (SDAT) dans lequel il est écrit que Julien Coupat et sa compagne se seraient trouvés au pied de l'une des lignes TGV visées, en pleine nuit pendant 20 minutes. "La seule preuve au bout de sept mois où l'élite de la police française a enquêté sur le groupe de Tarnac", selon Me Jérémy Assous.
"Cela signifierait qu'un fer à béton de 2,5 kilos a été placé en moins de 20 minutes sur un caténaire après l'escalade d'une perche de cinq mètres", a estimé Me Assous. Le conseil de Julien Coupat a expliqué "qu'il est impossible d'approcher à 25 centimètres des caténaires sans être électrocuté immédiatement". Selon lui, "même les agents de la SNCF mettent 45 minutes pour remplacer un caténaire".
"Un simple transport sur les lieux du présumé sabotage du juge d'instruction antiterroriste Thierry Fragnoli pourrait lui permettre de comprendre que Julien Coupat et sa compagne n'étaient pas sur place et que le PV de la SDAT est un faux", a lancé Me Assous. Pour lui, les policiers n'étaient pas là et ils ont tout inventé".
Un témoignage sous X permet également de confondre les présumés terroristes. "Une martingale", pour Me William Bourdon. Ce témoin "affirme avoir été manipulé" et "n'avoir pas été entendu le 14 novembre 2008, comme écrit dans le dossier, mais le 13 novembre", a déclaré l'avocat. "Il a été réentendu le 11 décembre et ses déclarations sont en contradiction avec ses précédentes", a-t-il dit, dénonçant "un florilège de manipulations et de fausses preuves". "Des gens ont été placés en détention sur la base de ce témoignage", accuse le conseil.
Mardi, un nouveau suspect a été interpellé à Tarnac dans le cadre de cette affaire. L'interpellation de cet homme de 33 ans a choqué les politiques, qui font remarquer qu'il tient l'épicerie du village de Tarnac et a deux enfants de quatre et six ans. L'homme interpellé avait déjà été placé en garde à vue fin 2008 avant d'être relâché dans le cadre de cette même enquête.
Les avocats des mis en examen ont estimé que "la SDAT était dans une logique de riposte". "En mettant en cause la loyauté des enquêteurs, il risque d'y avoir une nouvelle interpellation", se sont-ils moqués.
Leur presse (AP), 25 novembre 2009.
Tarnac : le témoin sous X et sa copie truquée
La police aurait fait pression sur Jean-Hugues Bourgeois et antidaté le PV de son audition, afin d’accabler le groupe de Julien Coupat.
Un témoin sort de l’ombre. Et c’est sûrement le plus important rebondissement de l’enquête sur les sabotages des lignes TGV, début novembre 2008. Alors que la sous-direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire a procédé, hier, à une nouvelle interpellation à Tarnac, les avocats de la défense s’apprêtent à demander aujourd’hui l’audition de Jean-Hugues Bourgeois, jeune agriculteur entendu sous X, le 14 novembre 2008. «Il est maintenant établi, écrivent-ils, que Monsieur Bourgeois et le témoin numéro 42 sont une seule et unique personne.»
Sans en dire plus, Bourgeois l’a confirmé à Libération. Sa déposition sous X accusait le groupe de Tarnac d’avoir eu un projet de «renversement de l’État», de faire «peu de cas de la vie humaine» et, pour ce qui est de Julien Coupat, d’envisager «d’avoir à tuer». Accréditant l’idée d’une visée terroriste, ces allégations étaient reprises dans le rapport d’enquête de la Sdat et les réquisitions du parquet.
Mais le 11 novembre, nouveau son de cloche. Une équipe de TF1 fait parler le témoin numéro 42 sur une route mouillée de campagne, flouté, sous l’objectif d’une caméra cachée. Il déclare n’avoir eu «aucune idée du témoignage anonyme», recueilli le 14 novembre 2008 par les policiers de la Sdat. L’un des fonctionnaires lui aurait expliqué qu’il y avait «tout un tas d’infos, d’interceptions de mails» qui n’étaient «pas exploitables dans une procédure judiciaire», et qu’ils avaient «besoin d’une signature». Les policiers auraient donc ajouté des éléments, extraits de leurs dossiers, dans la déposition du témoin.
Sous le choc. Selon «les dires du témoin anonyme», «l’ensemble de son témoignage, recueilli le 14 novembre 2008 à 9 heures, ne refléterait pas ses déclarations», relèvent les avocats de la défense dans un courrier au juge Thierry Fragnoli. Le témoin sous X, «maintenant identifié», a indiqué «avoir signé sa déposition sans la lire» et s’être «associé à cette supercherie sous la pression des policiers», résument-ils.
À l’époque, Bourgeois est victime d’actes de malveillance visant son élevage, et il est en contact avec des gendarmes de Riom. Le 12 novembre 2008, l’adjudant de gendarmerie chargé de cette affaire le contacte, alors que les gardes à vue des personnes interpellées à Tarnac sont en cours. Il sait que Bourgeois y compte des amis et qu’il s’y rend régulièrement. L’adjudant le fait venir à la gendarmerie de Riom, le 13 novembre au matin, vers 8 heures. Dans un bureau, les policiers de la Sdat, arrivés spécialement de Paris, l’attendent. L’audition dure neuf heures. Selon un proche de Bourgeois, c’est une épreuve. Il rentre chez lui sous le choc. Comme s’il avait été «victime d’une agression».
Outre l’éventualité que le groupe de Tarnac puisse attenter à la vie humaine, le procès-verbal du témoin numéro 42 contient très peu de faits précis. Les proches de Julien Coupat «expérimentaient leur logique de territoire». «Ils se présentaient comme les plus aptes à détruire le monde et à en reconstruire un neuf.» On y apprend qu’à l’automne 2007, le groupe se serait «complètement refermé sur lui-même». Le témoin, qui s’y trouvait un mois plus tôt, n’a vu aucun préparatif d’insurrection.
«Manipulation». Une incohérence factuelle entache la déposition numéro 42. L’audition est datée du 14 novembre. Et l’autorisation du juge des libertés et de la détention nécessaire à l’audition sous X a, quant à elle, été délivrée le 13 novembre, à 18h58. Or, Bourgeois aurait été entendu le 13 à 8 heures. Le magistrat, chargé d’instruire l’affaire de harcèlement dont il est victime, est passé le voir. De plus, Bourgeois, le lendemain, s’est rendu à Tarnac. Deux résidents se souviennent de sa visite. «Monsieur Bourgeois ne pouvait se trouver à la fois à Tarnac et dans les locaux de la brigade de recherche de la gendarmerie», font remarquer les avocats de la défense. Ils demandent l’audition des deux fonctionnaires de la Sdat, signataires du procès-verbal, pour «faire toute la lumière sur cette altération de la date d’audition». «Le dossier est émaillé de très graves indices de manipulation, commente Me William Bourdon, l’un des avocats. Y compris concernant le témoin qui a été la pierre angulaire de l’accusation.»
Une autre contradiction de taille a été découverte. En décembre 2008, l’éleveur est recontacté par les policiers de la Sdat qui lui demandent de témoigner encore, mais sous son nom. Démarche curieuse, inexplicable. Est-ce pour brouiller les pistes qui conduiraient au témoin ? Le 11 décembre, soit un mois après son audition sous X, Bourgeois est réentendu, sous son vrai nom.
Et, cette fois, il assure qu’il n’a «jamais» été informé par les résidents de Tarnac de «projets violents visant l’État». Il partage au contraire avec eux «un idéal libertaire qui n’a rien de répréhensible». «Je les conseillais notamment pour leur élevage des bêtes et leurs récoltes», déclare-t-il. Il confie que Julien Coupat est venu deux fois voir son exploitation avec un ami. Il ne le connaît pas plus que ça. «J’ai un peu de mal à croire qu’il est celui que les autorités présentent comme un terroriste», dit-il. Dans sa seconde audition, Bourgeois «ne fournit aucun élément de nature à laisser supposer un quelconque projet terroriste, mais il contredit formellement les soi-disant révélations effectuées sous couvert d’anonymat», concluent les avocats.
«On l’aurait retrouvé au bout d’une corde»
L’éleveur qui a témoigné anonymement contre Coupat était à cran, victime de harcèlement.«Il y a des moments où on est vulnérable, et des gens sont payés pour le savoir», a confié Jean-Hugues Bourgeois à un proche. L’éleveur de 30 ans, installé à Saint-Gervais-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), a vécu sous les menaces pendant six mois avant de devenir témoin à charge dans l’affaire Tarnac. Ses chèvres avaient été tuées, ses granges incendiées et des agriculteurs du cru soupçonnés de vouloir récupérer ses terres. En juin, il a été lui-même mis en examen pour «dénonciation de faits imaginaires» sur la base d’une expertise graphologique. «Il n’y a aucun élément objectif qui permette de dire qu’il ait lui-même tué ses chèvres, brûlé ses granges et son foin», s’insurge son avocat, Me Jean-Louis Borie.
Originaire des Hautes-Alpes, Jean-Hugues Bourgeois s’est installé en 2006 dans le massif des Combrailles sur un terrain humide, entouré de bois. Il construit un chalet, une serre, pose une caravane et une roulotte. Il fait creuser un étang. Les amis viennent de partout. «Le soir, ils refaisaient le monde ici, se souvient Michel Message, un agriculteur proche de la retraite. C’était pas fameux comme terrain, je lui ai proposé la moitié de ma propriété.» Après une adolescence militante à l’extrême gauche, Bourgeois s’est rapproché des autonomes dans les manifestations anti-G8 de Gênes et de Genève. Sa sœur appartient au réseau des coopératives Longo Maï et l’oriente vers l’agriculture bio. Il se range et démarre un élevage chevrier, construit une petite fromagerie, tout en tenant la permanence juridique de la Cimade à Clermont-Ferrand.
Pistolet. Le village de Tarnac et la ferme du Goutailloux, à cent kilomètres de là, il les découvre avec un ami, ancien de Longo Maï, qui s’y est installé. Bourgeois leur vend des chèvres, leur emprunte un bouc.
Le 31 mars 2008, des anonymes frappent son troupeau de chèvres durant la nuit. Dans l’enclos qu’il vient de construire, dix chèvres sont tuées à coups de pistolet d’abattage. Message, son ami, peste contre le juge qui soupçonne Bourgeois d’être l’auteur de ces méfaits : «Un juge qui raconte des trucs comme ça, je le ferais entrer dans un troupeau et essayer d’en tuer une seule, il verrait comment ça se passe !»
Pour la presse, Bourgeois devient «l’éleveur bio harcelé». Une association est montée. La Confédération paysanne le soutient. Mais les mauvais coups continuent. «Les gens d’ici n’arrivent pas à comprendre qu’on puisse aider un jeune, explique Michel Message. Ils se disent : "Si Message n’a pas d’héritier, la terre est pour nous !"»
Des fers à béton sont plantés dans ses champs pour crever les pneus ou casser la faucheuse. Une lettre anonyme menace de viol sa fille de huit ans. Deux incendies détruisent ses réserves de foin bio. Début octobre, le feu ravage la grange de Message : 35 tonnes de foin et 10 tonnes de grain appartenant à Bourgeois partent en fumée. «Monsieur Bourgeois était catastrophé», dit une voisine. Sous le choc, il décide de partir en Bretagne, en décembre 2008. «Je lui ai dit que s’il était resté au pays on l’aurait retrouvé au bout d’une corde», confie Message.
ADN. Au printemps, alors qu’un militant du Front national parisien a été confondu par une trace d’ADN sur une lettre de menaces, Bourgeois est soumis à une expertise graphologique. «L’expert considère que la lettre anonyme en forme de cercueil a vraisemblablement été écrite par vous», avance le juge de Riom, Bruno Méral, qui admet que l’écriture bâton employée «ne permet pas un examen comparatif complet». Bourgeois s’insurge, et se plaint des conditions de l’expertise. Mais le juge le met en examen. «Rien ne vous empêchait d’aller à la grange et d’allumer vous-même l’incendie», déclare-t-il. Poussant les investigations, le juge s’est penché sur le dossier scolaire de Bourgeois. «À l’âge de 14 ans, vous déclariez fabriquer de petits engins explosifs et allumer des petits feux», remarque-t-il. «Vous déclariez vouloir être plus tard chimiste ou terroriste…» «J’avais 14 ans !» a protesté Bourgeois. L’enquête est au point mort.
Leur presse (Karl Laske, Libération), 25 novembre.