Sixième semaine de grève des travailleurs sans papiers
Les travailleurs sans papiers déterminés à être régularisés
Commencé le 12 octobre, le mouvement n’a cessé de s’amplifier. D’après les syndicats, il rassemble aujourd’hui 5200 grévistes dans plus de 70 sites à travers toute la France. Mille huit cent entreprises seraient touchées. «Et nous sommes chaque jour plus nombreux», s’enthousiasme Raymond Chauveau de la CGT.
Face à l’afflux de travailleurs à la Fafih, chaque communauté a désigné un délégué pour organiser le quotidien. Principal intermédiaire des 1082 travailleurs africains, Koné Faganda, 49 ans, est arrivé en France il y a 8 ans. Plongeur puis commis, il n’a pas participé au mouvement social de l’année passée. Ce sont des amis qui lui ont parlé de la grève orchestrée par la CGT. «Ici, explique-t-il, il y a un peu de tout : des Maliens, des Mauritaniens, des Sénégalais, des Camerounais… 99% d’entre eux travaillent dans la restauration depuis plusieurs années, mais c’est la première fois qu’ils font grève.»
«Heureusement, l’ambiance est bonne»
Depuis le début de l’occupation des locaux, la police est venue une dizaine de fois. «Nous sommes juste à côté du commissariat et du ministère de l’Intérieur. Ils ne nous ont pas expulsés, mais ça viendra. En attendant, tout se passe bien», explique Éric Wichegrod, délégué CGT qui a participé au mouvement de 2008. Chaque nuit, un groupe d’une vingtaine de grévistes dort sur place. L’espace est exigu, mais la vie en commun réglée comme une partition.
Chaque communauté s’occupe de sa propre intendance. «On se cotise, on passe commande et puis certains d’entre nous vont chercher le riz, le poulet et la sauce déjà cuisinés dans les foyers», explique Koné Faganda. Les groupes s’accroupissent autour des récipients pour partager le mafé. Au rez-de-chaussé, certains jouent aux cartes, parcourent un livre, partagent une paire d’écouteurs ou un café. Une dizaine de nattes ont été disposées à même le sol pour les plus fatigués. «On n’a rien d'autres à faire qu’attendre», explique un Algérien de 41 ans.
L’homme, qui souhaite rester anonyme, vit et travaille en France depuis 6 ans. «Réglo», il a payé ses impôts et cotisé jusqu’à son licenciement en août. «Le nouveau patron a “découvert” que j’avais des faux papiers», ironise-t-il. C’est la Cimade qui lui a conseillé de rejoindre les grévistes de la Fafih. «C’est presque aussi pénible que d’aller travailler. On se lève tôt, il faut rester sur place jusqu’à 18 heures, on traîne. Je me sens un peu inutile. Heureusement, l’ambiance est bonne.»
«Difficile de faire plier un gouvernement»
En 2008, les grévistes occupaient essentiellement leurs entreprises pour faire pression sur leurs patrons. Cette année, le mouvement est plus massif et touche aussi bien la restauration que le BTP, le gardiennage, la confection et les entreprises d’intérim. «On se bat pour être régularisés, mais surtout pour une bonne circulaire (sur la régularisation par le travail)», explique Koné Faganda. Des discussions sont en cours entre le ministère de l’Immigration et les syndicats CGT, CFDT, FSU, UNSA et Solidaires. «C’est plus difficile de faire plier un gouvernement», observe Bernard Rondeau, photographe-militant qui a couvert la grève de l’année dernière et créé un journal pour les travailleurs sans papiers.
À ses côtés, Adama Camarra salue les copains. Ancien gréviste des restaurants Chez Papa, il a été régularisé en 2008. Grand Malien de 35 ans, il est venu aujourd’hui pour soutenir ses camarades. «Je sais que le mouvement est plus rude cette année, dit-il, mais on a servi d’exemple. Il faut garder espoir.»
Les sans-papiers chinois ont rejoint le mouvement
À leur tête, une jeune femme frêle au sourire déterminé : Yang Feng Qun. À 35 ans, cette ancienne professeure de chinois originaire du Guangdong, dans le sud du pays, est un peu «la reine de la Fafih». C’est du moins l’avis des travailleurs maliens qui s’écartent sur son passage avec une affection mêlée de respect. Pourtant, avec ses boucles d’oreilles, ses ongles soignés et son foulard en lin joliment noué autour du cou, Feng n’a rien d’une pasionaria.
Paradoxalement, c’est son patron qui l’a mis en contact avec la CGT. Le même patron qui l’a déclarée et a engagé des démarches auprès de la préfectures pour qu’elle soit régularisée. Mais les autorités lui ont refusé le titre de séjour et, harcelée par la police, Feng a fini par démissionner. Depuis quatre mois, elle vit de ses économies dans une petite chambre du nord de la capitale. Faute de temps, elle n’a pas pu apprendre le français. Elle le parle pour dire l’essentiel : elle travaille, elle paie des impôts, elle veut des papiers.
D’après une étude menée par Véronique Poisson et Gao Yun pour le BIT (Bureau international du travail) en 2005, les Chinois représentent 12% à 24% de l’immigration clandestine en France. Ils seraient environ 50.000 à vivre dans l’illégalité, sachant que, chaque année, près de 6000 nouveaux clandestins font leur entrée sur le territoire.
Les femmes mènent la lutte
«Les gens pensent que les Chinois préfèrent se cacher, qu’ils ont peur. C’est vrai que c’est dur, mais aujourd’hui ils veulent se battre», explique Lin, une jeune femme franco-chinoise. Proche de Feng, elle est très impressionnée par le courage et la capacité de mobilisation de son amie. «Sans elle, personne ne serait ici. Elle a été la première à rejoindre la grève, la première à envoyer des messages sur des sites Internet en chinois.» Il y a encore un mois, c’était une inconnue. Aujourd’hui, ils sont trois cents à ne jurer que par elle.
Comment s’y est-elle pris pour convaincre ses compatriotes de sortir de leur silence ? «En leur disant la vérité, explique Lin. La police française n’est pas comme la police chinoise. On n’est pas battu, on ne risque rien. Au pire, on va en prison. Mais nous avons le droit de vivre comme tout le monde.»
Sun Jian Zhong, 31 ans, est l’un des rares hommes à avoir rejoint Feng. «Ici, ce sont les femmes qui mènent la lutte pendant que les maris travaillent et s’occupent des enfants», raconte Éric Wichegrod, délégué CGT. Jian, lui, travaille depuis 6 ans dans un atelier de confection du 19e arrondissement. En Chine, il était ouvrier dans la région de Wenzhou, au sud de Shanghaï. À Paris, il vit seul et assiste Feng à la tête du mouvement.
«Nos dialectes ne sont pas les mêmes. Il y a des gens de plusieurs provinces de Chine. C’est presque plus difficile de nous comprendre que de parler français», explique Jian. Pour faciliter les communications, Yang Feng Qun a près d’elle une personne de chaque province qui la seconde et transmet les messages. Chaque tract est traduit, chaque réunion résumée. «Ils sont remarquablement organisés», observe Éric Wichegrod. Si jusqu’ici leur situation était tellement précaire qu’ils remplissaient rarement les critères exigés pour la régularisation, l’obtention d’une circulaire améliorée pourrait changer la donne. «C’est pour ça qu’ils sont prêts à tenir. Ils ne peuvent plus passer leur vie à se cacher», assure Lin.
Des travailleuses sans papiers s’invitent au Salon des services à la personne
Difficile d’évaluer leur nombre. Une grosse cinquantaine sont venues à la Porte de Versailles. L’association Droits devant!!! qui lutte pour la régularisation des travailleurs sans papiers, est en contact avec plus d’une centaine d’entre elles mais il ne s’agit que de celles qui ont fait la démarche de se montrer au grand jour. Les autres vivent leur situation dans la solitude et avec beaucoup moins de possibilité de se faire entendre que les sans-papiers masculins travaillant dans des entreprises. «On travaille seules chez les gens, explique Fatima. On ne peut pas faire la grève et on reste dans l’obscurité.»
La plupart des femmes qui sont venues à cette manifestation sont en France depuis de nombreuses années. Leurs employeurs savent qu’elles n’ont pas de papiers, mais les promesses d’embauches qu’ils leur signent n’y font rien. Chaque fois qu’elles reviennent du travail, elles ont «peur du contrôle», explique Aïcha. Avec pourtant l’impression d’être utiles à leurs employeurs et de faire un travail essentiel.
L’aide à la personne est présentée comme en plein développement jusque dans les discours officiels du gouvernement. Pourtant, contrairement au bâtiment ou à la restauration, elle n’est pas considérée comme un secteur «sous tension» et n’ouvre donc pas de droits à la régularisation. «On ne manque pas de mains», estime Laurent Wauquiez, qui a promis aux femmes sans papiers qu’il allait étudier leur cas.
Toumani Traoré, neuf ans de travail sans papiers, réclame sa régularisation
Les discussions sur une nouvelle circulaire de régularisation par le travail progressent entre le ministère de l’Immigration et les syndicats CGT, CFDT, FSU, UNSA et Solidaires. Dans un «document de synthèse» du 16 novembre, les syndicats qui soutiennent le mouvement de grève des travailleurs sans papiers notent des «avancées» jugées encore «très insuffisantes». Le ministère veut étendre la possibilité de régularisation de 30 métiers à la liste des 150 ouverts aux ressortissants de l’Union européenne. Mais cette possibilité serait subordonnée à la situation «trimestrielle» de l’emploi dans les régions. «Les salariés sans papiers ne sont pas des nouveaux arrivants, ils sont pris en compte dans les statistiques de l’emploi», objectent les syndicats.
En 2008, un premier mouvement de grève s’était soldé par l’ouverture de 2500 procédures de régularisation. Trop peu pour les syndicats qui soutiennent le nouveau mouvement, lancé le 12 octobre. Celui-ci n’a cessé de s’amplifier en Ile-de-France, touchant aujourd’hui 1800 sociétés d’intérim et entreprises de la restauration, du BTP, de la propreté et du gardiennage. Porté à l’origine par des sans-papiers africains, le mouvement, qui réunit près de 5200 travailleurs, est de plus en plus rejoint par des Chinois.
C’est à peine arrivé, début 2001, de son Mali natal, un visa de tourisme en poche, que Toumani Traoré, alors âgé de 19 ans, a appris par des camarades que la société ADEC cherchait des bras. Il se présente sur un des chantiers de l’entreprise et est aussitôt enrôlé, sans plus de questions. Le soir même, le chef de chantier, satisfait de son travail, lui indique la société d’intérim Synergie qui doit lui remettre «une feuille d’horaires». À aucun moment, on ne lui demande de préciser son statut administratif. Depuis, il fait consigner chaque jour ses heures travaillées par son chef d’équipe : il ramène tous les vendredis à Synergie cette feuille dûment remplie pour toucher sa paie.
Ses semaines de travail varient de 35 à 43 heures. Mais même s’il y ajoute un maximum d’heures supplémentaires, cela ne lui permet guère de gagner que 15 euros de plus par semaine. «On nous paye 5 euros l’heure supplémentaire et jamais plus de trois, même si on en fait plus», explique Toumani, dont le salaire de base n’a jamais été augmenté en neuf ans.
Pourtant, il a progressé. Ayant commencé comme simple ouvrier à ramasser les gravats, il est aujourd’hui «chalumiste» et conducteur d’engin. Métier qu’il a appris sur le tas, n’ayant jamais bénéficié d’aucune formation. «Je conduis des pelles de 5 tonnes et des bobcats (pelleteuses) mais sans avoir le permis spécial.»
Quand il fait de la soudure, il n'est pas davantage équipé des gants, lunettes et masque requis par la réglementation. «Les seules fois où l’on nous en donne, dit-il, c’est lorsque l’inspection du Travail vient sur le chantier. Si l’un de nous a un accident, le chef le dépose à l’hôpital et lui dit “à toi de te débrouiller !” Et quand il veut reprendre le travail, il n’y a plus de boulot pour lui.»
Toumani affirme avoir «de la chance», n’ayant jamais eu ni accident ni été congédié, même pour une semaine. «Depuis 2001, j’ai toujours eu du boulot douze mois sur douze», relève-t-il. «C’est de l’esclavage moderne. Mais on n’a pas le choix et on assume pour faire vivre la famille», explique-t-il avec amertume. Parti du Mali à la suite du décès de son père, Toumani, premier des garçons d’une fratrie de sept enfants, envoie tous les mois à sa famille 400 euros.
Il assume. Mais cette fois, Toumani Traoré et 61 autres de ses collègues ont dit stop. Ils ont décidé de se mettre en grève et d’occuper leur chantier du moment, un ancien bâtiment du ministère des Affaires étrangères du 16e arrondissement de Paris, réhabilité pour devenir un hôtel de luxe. Au prétexte d’un début d’incendie, l’entreprise a bien essayé, le 24 octobre, de les évacuer, en faisant intervenir pompiers et forces de l’ordre. En vain. Le soir même, ils réinvestissaient les lieux en passant par une fenêtre laissée entrouverte.
Sur quelque 70 sites déjà occupés par les grévistes, plus d’une trentaine ont été évacués par les forces de l’ordre, par voie de référés, astreintes financières ou ordonnances d’évacuation. «Parfois, sur simple appel du chef d’entreprise, sans qu’aucune décision de justice n’ait été prise, comme le chantier Bouygues de la tour First (ancienne tour Axa) à la Défense», relève Raymond Chauveau de la CGT. Mais ces opérations de police n’entament pas la volonté des grévistes qui vont immédiatement occuper un autre site.
Comme tous les grévistes, Toumani Traoré est déterminé à maintenir la pression jusqu’à ce qu’une nouvelle circulaire édite des critères clairs de régularisation. Il veut obtenir de sa société de BTP, ADEC, ce qu’elle a jusqu’ici toujours refusé : une promesse officielle d’embauche, soit le sésame pour la régularisation qui lui permettrait d’avoir «enfin un vrai emploi avec (son) vrai nom».
Ils travaillent dans la restauration, la confection ou le BTP. Depuis un mois et demi, 1433 travailleurs sans papiers occupent le pavé près de la Madeleine. Africains, Chinois, Maghrébins… Ils ont investi le siège du Fonds d’assurance formation de l’industrie hôtelière (Fafih) pour obtenir le droit de rester en France.
Commencé le 12 octobre, le mouvement n’a cessé de s’amplifier. D’après les syndicats, il rassemble aujourd’hui 5200 grévistes dans plus de 70 sites à travers toute la France. Mille huit cent entreprises seraient touchées. «Et nous sommes chaque jour plus nombreux», s’enthousiasme Raymond Chauveau de la CGT.
Face à l’afflux de travailleurs à la Fafih, chaque communauté a désigné un délégué pour organiser le quotidien. Principal intermédiaire des 1082 travailleurs africains, Koné Faganda, 49 ans, est arrivé en France il y a 8 ans. Plongeur puis commis, il n’a pas participé au mouvement social de l’année passée. Ce sont des amis qui lui ont parlé de la grève orchestrée par la CGT. «Ici, explique-t-il, il y a un peu de tout : des Maliens, des Mauritaniens, des Sénégalais, des Camerounais… 99% d’entre eux travaillent dans la restauration depuis plusieurs années, mais c’est la première fois qu’ils font grève.»
«Heureusement, l’ambiance est bonne»
Depuis le début de l’occupation des locaux, la police est venue une dizaine de fois. «Nous sommes juste à côté du commissariat et du ministère de l’Intérieur. Ils ne nous ont pas expulsés, mais ça viendra. En attendant, tout se passe bien», explique Éric Wichegrod, délégué CGT qui a participé au mouvement de 2008. Chaque nuit, un groupe d’une vingtaine de grévistes dort sur place. L’espace est exigu, mais la vie en commun réglée comme une partition.
Chaque communauté s’occupe de sa propre intendance. «On se cotise, on passe commande et puis certains d’entre nous vont chercher le riz, le poulet et la sauce déjà cuisinés dans les foyers», explique Koné Faganda. Les groupes s’accroupissent autour des récipients pour partager le mafé. Au rez-de-chaussé, certains jouent aux cartes, parcourent un livre, partagent une paire d’écouteurs ou un café. Une dizaine de nattes ont été disposées à même le sol pour les plus fatigués. «On n’a rien d'autres à faire qu’attendre», explique un Algérien de 41 ans.
L’homme, qui souhaite rester anonyme, vit et travaille en France depuis 6 ans. «Réglo», il a payé ses impôts et cotisé jusqu’à son licenciement en août. «Le nouveau patron a “découvert” que j’avais des faux papiers», ironise-t-il. C’est la Cimade qui lui a conseillé de rejoindre les grévistes de la Fafih. «C’est presque aussi pénible que d’aller travailler. On se lève tôt, il faut rester sur place jusqu’à 18 heures, on traîne. Je me sens un peu inutile. Heureusement, l’ambiance est bonne.»
«Difficile de faire plier un gouvernement»
En 2008, les grévistes occupaient essentiellement leurs entreprises pour faire pression sur leurs patrons. Cette année, le mouvement est plus massif et touche aussi bien la restauration que le BTP, le gardiennage, la confection et les entreprises d’intérim. «On se bat pour être régularisés, mais surtout pour une bonne circulaire (sur la régularisation par le travail)», explique Koné Faganda. Des discussions sont en cours entre le ministère de l’Immigration et les syndicats CGT, CFDT, FSU, UNSA et Solidaires. «C’est plus difficile de faire plier un gouvernement», observe Bernard Rondeau, photographe-militant qui a couvert la grève de l’année dernière et créé un journal pour les travailleurs sans papiers.
À ses côtés, Adama Camarra salue les copains. Ancien gréviste des restaurants Chez Papa, il a été régularisé en 2008. Grand Malien de 35 ans, il est venu aujourd’hui pour soutenir ses camarades. «Je sais que le mouvement est plus rude cette année, dit-il, mais on a servi d’exemple. Il faut garder espoir.»
Élise Barthet
Les sans-papiers chinois ont rejoint le mouvement
Il y a un mois, ils étaient une quarantaine. Aujourd’hui, ils sont plus de trois cents à avoir quitté leurs restaurants et leurs ateliers de confection pour rejoindre le mouvement de grève des travailleurs sans papiers. Contrairement à l’année passée, ils sont venus en nombre aux côtés des Africains. Installés dans les locaux de la Fafih (Fonds d’assurance formation de l’industrie hôtelière), ils se battent pour être régularisés.
À leur tête, une jeune femme frêle au sourire déterminé : Yang Feng Qun. À 35 ans, cette ancienne professeure de chinois originaire du Guangdong, dans le sud du pays, est un peu «la reine de la Fafih». C’est du moins l’avis des travailleurs maliens qui s’écartent sur son passage avec une affection mêlée de respect. Pourtant, avec ses boucles d’oreilles, ses ongles soignés et son foulard en lin joliment noué autour du cou, Feng n’a rien d’une pasionaria.
Paradoxalement, c’est son patron qui l’a mis en contact avec la CGT. Le même patron qui l’a déclarée et a engagé des démarches auprès de la préfectures pour qu’elle soit régularisée. Mais les autorités lui ont refusé le titre de séjour et, harcelée par la police, Feng a fini par démissionner. Depuis quatre mois, elle vit de ses économies dans une petite chambre du nord de la capitale. Faute de temps, elle n’a pas pu apprendre le français. Elle le parle pour dire l’essentiel : elle travaille, elle paie des impôts, elle veut des papiers.
D’après une étude menée par Véronique Poisson et Gao Yun pour le BIT (Bureau international du travail) en 2005, les Chinois représentent 12% à 24% de l’immigration clandestine en France. Ils seraient environ 50.000 à vivre dans l’illégalité, sachant que, chaque année, près de 6000 nouveaux clandestins font leur entrée sur le territoire.
Les femmes mènent la lutte
«Les gens pensent que les Chinois préfèrent se cacher, qu’ils ont peur. C’est vrai que c’est dur, mais aujourd’hui ils veulent se battre», explique Lin, une jeune femme franco-chinoise. Proche de Feng, elle est très impressionnée par le courage et la capacité de mobilisation de son amie. «Sans elle, personne ne serait ici. Elle a été la première à rejoindre la grève, la première à envoyer des messages sur des sites Internet en chinois.» Il y a encore un mois, c’était une inconnue. Aujourd’hui, ils sont trois cents à ne jurer que par elle.
Comment s’y est-elle pris pour convaincre ses compatriotes de sortir de leur silence ? «En leur disant la vérité, explique Lin. La police française n’est pas comme la police chinoise. On n’est pas battu, on ne risque rien. Au pire, on va en prison. Mais nous avons le droit de vivre comme tout le monde.»
Sun Jian Zhong, 31 ans, est l’un des rares hommes à avoir rejoint Feng. «Ici, ce sont les femmes qui mènent la lutte pendant que les maris travaillent et s’occupent des enfants», raconte Éric Wichegrod, délégué CGT. Jian, lui, travaille depuis 6 ans dans un atelier de confection du 19e arrondissement. En Chine, il était ouvrier dans la région de Wenzhou, au sud de Shanghaï. À Paris, il vit seul et assiste Feng à la tête du mouvement.
«Nos dialectes ne sont pas les mêmes. Il y a des gens de plusieurs provinces de Chine. C’est presque plus difficile de nous comprendre que de parler français», explique Jian. Pour faciliter les communications, Yang Feng Qun a près d’elle une personne de chaque province qui la seconde et transmet les messages. Chaque tract est traduit, chaque réunion résumée. «Ils sont remarquablement organisés», observe Éric Wichegrod. Si jusqu’ici leur situation était tellement précaire qu’ils remplissaient rarement les critères exigés pour la régularisation, l’obtention d’une circulaire améliorée pourrait changer la donne. «C’est pour ça qu’ils sont prêts à tenir. Ils ne peuvent plus passer leur vie à se cacher», assure Lin.
Élise Barthet
Des travailleuses sans papiers s’invitent au Salon des services à la personne
Elles s’occupent de jeunes enfants ou de personnes âgées, font le ménage ou changent les couches. Ces «perles rares» occupent des emplois de confiance dans des centaines de foyers français et c’est en toute logique qu’elles sont allées, vendredi 20 novembre, au Salon des services à la personne, Porte de Versailles, à Paris. Sauf que Rita, Fatima et Aïcha n’ont pas de papiers. Elles sont venues se faire entendre du secrétaire général à l’Emploi, Laurent Wauquiez.
Difficile d’évaluer leur nombre. Une grosse cinquantaine sont venues à la Porte de Versailles. L’association Droits devant!!! qui lutte pour la régularisation des travailleurs sans papiers, est en contact avec plus d’une centaine d’entre elles mais il ne s’agit que de celles qui ont fait la démarche de se montrer au grand jour. Les autres vivent leur situation dans la solitude et avec beaucoup moins de possibilité de se faire entendre que les sans-papiers masculins travaillant dans des entreprises. «On travaille seules chez les gens, explique Fatima. On ne peut pas faire la grève et on reste dans l’obscurité.»
La plupart des femmes qui sont venues à cette manifestation sont en France depuis de nombreuses années. Leurs employeurs savent qu’elles n’ont pas de papiers, mais les promesses d’embauches qu’ils leur signent n’y font rien. Chaque fois qu’elles reviennent du travail, elles ont «peur du contrôle», explique Aïcha. Avec pourtant l’impression d’être utiles à leurs employeurs et de faire un travail essentiel.
L’aide à la personne est présentée comme en plein développement jusque dans les discours officiels du gouvernement. Pourtant, contrairement au bâtiment ou à la restauration, elle n’est pas considérée comme un secteur «sous tension» et n’ouvre donc pas de droits à la régularisation. «On ne manque pas de mains», estime Laurent Wauquiez, qui a promis aux femmes sans papiers qu’il allait étudier leur cas.
Antonin Sabot
Huit étrangers s’évadent d’un centre de rétention
Huit étrangers en situation irrégulière se sont évadés dans la nuit de jeudi 19 à vendredi 20 novembre du centre de rétention administrative de Palaiseau (Essonne), et l’un d’eux a été interpellé vendredi matin, a-t-on appris de source judiciaire.
Vers minuit et demi, ils ont réussi à s’échapper du premier étage, d’où ils sont descendus grâce à un drap, après avoir démonté le grillage d’une fenêtre, selon cette source, confirmant une information du Parisien.fr. Il s’agirait de deux Roumains, deux Marocains, trois Algériens et un Burkinabé, âgés de 24 à 44 ans.
Selon une source proche du dossier, un audit sur la sécurité du centre avait été effectué, et le responsable du centre avait alerté très récemment les autorités compétentes, à savoir la préfecture, de la nécessité d’effectuer des travaux de sécurisation. Les huit sans-papiers auraient également pu profiter du fait qu’ils se trouvaient dans une zone qui n’était pas éclairée, a-t-on précisé de source judiciaire.
Leur presse (Le Monde), 20 novembre 2009.
Toumani Traoré, neuf ans de travail sans papiers, réclame sa régularisation
Neuf ans ! Neuf ans que Toumani Traoré travaille, sous un nom d’emprunt, pour la même entreprise de BTP, ADEC, filiale du groupe Sageret. Neuf ans qu’il est rémunéré par la même société d’intérim, Synergie, et touche le même salaire mensuel, 1260 euros net. Rémunéré mais sans contrat de travail : Toumani n’en a jamais signé bien qu’il cotise et paye des impôts. Comme tous ces travailleurs sans-papiers qui sont déjà dans leur sixième semaine de grève pour obtenir leur régularisation.
Les discussions sur une nouvelle circulaire de régularisation par le travail progressent entre le ministère de l’Immigration et les syndicats CGT, CFDT, FSU, UNSA et Solidaires. Dans un «document de synthèse» du 16 novembre, les syndicats qui soutiennent le mouvement de grève des travailleurs sans papiers notent des «avancées» jugées encore «très insuffisantes». Le ministère veut étendre la possibilité de régularisation de 30 métiers à la liste des 150 ouverts aux ressortissants de l’Union européenne. Mais cette possibilité serait subordonnée à la situation «trimestrielle» de l’emploi dans les régions. «Les salariés sans papiers ne sont pas des nouveaux arrivants, ils sont pris en compte dans les statistiques de l’emploi», objectent les syndicats.
En 2008, un premier mouvement de grève s’était soldé par l’ouverture de 2500 procédures de régularisation. Trop peu pour les syndicats qui soutiennent le nouveau mouvement, lancé le 12 octobre. Celui-ci n’a cessé de s’amplifier en Ile-de-France, touchant aujourd’hui 1800 sociétés d’intérim et entreprises de la restauration, du BTP, de la propreté et du gardiennage. Porté à l’origine par des sans-papiers africains, le mouvement, qui réunit près de 5200 travailleurs, est de plus en plus rejoint par des Chinois.
C’est à peine arrivé, début 2001, de son Mali natal, un visa de tourisme en poche, que Toumani Traoré, alors âgé de 19 ans, a appris par des camarades que la société ADEC cherchait des bras. Il se présente sur un des chantiers de l’entreprise et est aussitôt enrôlé, sans plus de questions. Le soir même, le chef de chantier, satisfait de son travail, lui indique la société d’intérim Synergie qui doit lui remettre «une feuille d’horaires». À aucun moment, on ne lui demande de préciser son statut administratif. Depuis, il fait consigner chaque jour ses heures travaillées par son chef d’équipe : il ramène tous les vendredis à Synergie cette feuille dûment remplie pour toucher sa paie.
Ses semaines de travail varient de 35 à 43 heures. Mais même s’il y ajoute un maximum d’heures supplémentaires, cela ne lui permet guère de gagner que 15 euros de plus par semaine. «On nous paye 5 euros l’heure supplémentaire et jamais plus de trois, même si on en fait plus», explique Toumani, dont le salaire de base n’a jamais été augmenté en neuf ans.
Pourtant, il a progressé. Ayant commencé comme simple ouvrier à ramasser les gravats, il est aujourd’hui «chalumiste» et conducteur d’engin. Métier qu’il a appris sur le tas, n’ayant jamais bénéficié d’aucune formation. «Je conduis des pelles de 5 tonnes et des bobcats (pelleteuses) mais sans avoir le permis spécial.»
Quand il fait de la soudure, il n'est pas davantage équipé des gants, lunettes et masque requis par la réglementation. «Les seules fois où l’on nous en donne, dit-il, c’est lorsque l’inspection du Travail vient sur le chantier. Si l’un de nous a un accident, le chef le dépose à l’hôpital et lui dit “à toi de te débrouiller !” Et quand il veut reprendre le travail, il n’y a plus de boulot pour lui.»
Toumani affirme avoir «de la chance», n’ayant jamais eu ni accident ni été congédié, même pour une semaine. «Depuis 2001, j’ai toujours eu du boulot douze mois sur douze», relève-t-il. «C’est de l’esclavage moderne. Mais on n’a pas le choix et on assume pour faire vivre la famille», explique-t-il avec amertume. Parti du Mali à la suite du décès de son père, Toumani, premier des garçons d’une fratrie de sept enfants, envoie tous les mois à sa famille 400 euros.
Il assume. Mais cette fois, Toumani Traoré et 61 autres de ses collègues ont dit stop. Ils ont décidé de se mettre en grève et d’occuper leur chantier du moment, un ancien bâtiment du ministère des Affaires étrangères du 16e arrondissement de Paris, réhabilité pour devenir un hôtel de luxe. Au prétexte d’un début d’incendie, l’entreprise a bien essayé, le 24 octobre, de les évacuer, en faisant intervenir pompiers et forces de l’ordre. En vain. Le soir même, ils réinvestissaient les lieux en passant par une fenêtre laissée entrouverte.
Sur quelque 70 sites déjà occupés par les grévistes, plus d’une trentaine ont été évacués par les forces de l’ordre, par voie de référés, astreintes financières ou ordonnances d’évacuation. «Parfois, sur simple appel du chef d’entreprise, sans qu’aucune décision de justice n’ait été prise, comme le chantier Bouygues de la tour First (ancienne tour Axa) à la Défense», relève Raymond Chauveau de la CGT. Mais ces opérations de police n’entament pas la volonté des grévistes qui vont immédiatement occuper un autre site.
Comme tous les grévistes, Toumani Traoré est déterminé à maintenir la pression jusqu’à ce qu’une nouvelle circulaire édite des critères clairs de régularisation. Il veut obtenir de sa société de BTP, ADEC, ce qu’elle a jusqu’ici toujours refusé : une promesse officielle d’embauche, soit le sésame pour la régularisation qui lui permettrait d’avoir «enfin un vrai emploi avec (son) vrai nom».
Leur presse (Laetitia Van Eeckhout, Le Monde), 19 novembre.