Récit de la libération de terres du 28 mars à Dijon et appel à venir cultiver !
Lors de la manifestation du dimanche 28 mars à Dijon, divers collectifs, des citadins bêches à la main, des jardiniers en herbe ou des maraîchers en luttes ont libéré des terres.
Des explications et rendez-vous pour la suite…
Appel pratique :
Avant tout compte-rendu, un peu de pratique : le potager collectif qui s’installe sur les terres libérées cette semaine à Dijon, rue Phillipe Guignard (au rond point juste à coté du collège des Lentillères et le long de la voie ferrée) est ouvert à tous et toutes. Son maintien, son ampleur et sa dynamique ne tiennent qu’à vous. Des moments de jardinage, bêchage, défrichage et préparations de semis sont prévus tout au long de la semaine, en particulier mercredi et samedi après-midi. Ces mêmes jours a 18h auront lieu des assemblées-goûters des usager-e-s du potagers pour s’organiser ensemble sur la suite.
Contact mail, mais le mieux reste de se rencontrer sur place en bêchant ou autour d’un goûter.
Récit :
Lors de la manifestation du dimanche 28 mars, divers collectifs, des citadins bêches à la main, des jardiniers en herbe ou des maraîchers en lutte ont libéré des terres.
Malgré le temps très mauvais ce jour là, le nœud lunaire réputé défavorable au travail du sol, et le changement d’heure, autant de facteurs propres à décourager tout-e participant-e-s potentiel-le au pique-nique annoncé, c’est environ deux cents personnes qui se sont retrouvées vers 13h sous l’abri du kiosque de la place Wilson et autour.
Quelques interventions introductives ont d’abord eu lieu. Un représentant de l’AMAP de Plombières a souligné la demande croissante sur ce type de structure et le besoin que des terres soient laissées à disposition pour des projets paysans locaux. Un maraîcher affilié à la Confédération paysanne a rappelé les luttes menées par son syndicat à ce sujet et mentionné avec une certaine émotion qu’il y a dix ans, lui et sa compagne avaient dû partir des très bonnes parcelles qui allaient être occupées aujourd’hui à cause d’un hypothétique projet d’urbanisme et qu’elles avaient été laissées en friche depuis. Une militante de Terre de liens a parlé des initiatives d’aides collectives développée par son association pour accéder au foncier, tandis que des agriculteurs du réseau Reclaim the Fields (Réclamons les terres), venus de Mayenne, d’Ardèche ou du Morbihan ont appuyé sur la pertinence d’action de ce type en ville ou à la campagne, et au-delà, sur la nécessité de développer une nouvelle «paysannerie» pour sortir de l’impasse de l’agriculture industrielle.
Au son d’une batukada internationaliste, la manifestation a pris les allées du Parc et s’est dirigée droit au but (tenu caché), avec des brouettes pleines de petits plants et quelques dizaines de bêches, pioches, faux et fourches brandies qui lui donnait des airs de jacquerie urbaine. À l’arrivée au coin de la rue Phillipe Guignard l’ensemble des manifestant-e-s ont pénétré directement sur la première parcelle en friche de la rue, s’avançant mètres par mètres en défrichant en ligne ce champ envahi par les ronces. Au bout de quelques heures d’intense ébullition collective, grâce au ravitaillement assuré par Food not bombs et sous les rythmes véhéments de la batukada, une bonne partie du champ était déjà retourné et en voie d’être ensemencé. Les quelques policiers présents se sont contentés d’observer et de condamner, médusés.
Une première assemblée du potager a permis de se donner rendez-vous pour la suite, d’organiser la diffusion de l’information, le début des cultures et le maintien de l’occupation. Bon nombre de voisins, qui voyaient les terres et les maisons alentour se dégrader depuis des années, sont venus s’enquérir avec enthousiasme de l’action et sont repartis en promettant de repasser bêche à la main ou avec quelques prospectus pour relayer l’information dans le quartier.
Voici pour continuer le texte du tract qui a été distribué ce jour là et depuis dans Dijon afin d’expliquer le contexte et les objectifs de cette «libération de terres» et esquisser comment elle peut prendre corps par la suite, notamment, à travers des potagers collectifs :
Cette belle parcelle endormie représentait une partie de plusieurs hectares d’anciennes terres maraîchères à fort potentiel agronomique («une terre noire, profonde, sol limoneux, sableux, plein d’humus, parfaite pour le potager», selon les connaisseurs).
Ces hectares sont laissés progressivement à l’abandon depuis une dizaine d’années. Ces terres situées dans le quartier dit «des Abattoirs», le long de la rue Philippe Guignard, font en effet l’objet d’un projet d’urbanisme chapeauté par la mairie de Dijon dans un ensemble plus grand d’une vingtaine d’hectares destinés à devenir un nouveau quartier. Certaines ont déjà été rachetés par la Mairie, d’autres, sur lesquelles elle exerce son droit de préemption, sont «gelées» en l’attente d’un rachat. Elles risquent de rester en friche pendant plusieurs années encore. À terme, le Plan Local d’Urbanisme, en cours de validation, affiche une volonté de conserver une partie de ces terres pour du maraîchage local en zone péri-urbaine ou des potagers. En réalité, il semble que priorité pourrait être laissée au béton. Au-delà des effets d’annonce officiels parfois trompeurs, nous avons donc voulu montrer qu’il était possible dès aujourd’hui de cultiver une partie de ces terres.
À travers cette occupation, nous souhaitons mettre en avant qu’il y a bel et bien des terres disponibles en zone péri-urbaine pour du maraîchage bio, local, direct — que ce soit ces terres ou d’autres — et qu’il y a de fortes demandes à ce sujet.
Nous proposons, à partir de l’occupation de ce dimanche, de mettre en place sur ces parcelles des projets de potagers collectifs larges et ouverts à tou-te-s celles et ceux qui désirent un bout de jardin en ville pour produire une partie de leur nourriture et apprendre. Elles s’ouvrent aussi à des paysans encore «sans-terres» qui voudraient se faire les dents, bénéficier de soutien et partager leur savoir avec d’autres.
Nous voulons faire en sorte qu’une zone large du terrain en question reste réellement en zone potagère/maraîchère et ne soit pas bétonnée par la suite.
L’occupation d’aujourd’hui est le début d’une aventure. Ses dynamiques et formes d’organisation restent à défricher, à expérimenter collectivement et (on l’espère) à essaimer au fil du du temps avec toutes les personnes intéressées.
Il sera possible de passer tous les jours dès cette semaine pour démarrer progressivement les potagers et se rencontrer. Un petit local avec des panneaux d’infos, outils, plan(t)s, graines, coin cuisine a été installé rue Philippe Guignard (voir plan). Pour cette semaine, nous projetons notamment des moments de jardinage collectif plus larges mercredi et samedi après midi, ainsi que des assemblées-goûters à 18h mercredi et samedi pour s’organiser.
Les propositions d’ateliers, échanges de savoirs, jeux, discussions, repas et autres moments partagés sur place sont les bienvenus.
Pour l’accès aux terres et l’autonomie alimentaire
Pour défricher ensemble les bases d’une agriculture locale, directe, bio et s’émanciper collectivement du modèle productiviste et industriel…
Pour faire sauter le verrou de l’accès au foncier en zones rurales ou péri-urbaines. Libérons les terres !
Dans sa course au rendement, le modèle agricole dominant, basé sur une logique industrielle et productiviste, requiert un usage massif de pétrole, de pesticides, d’engrais, d’emballages plastiques, le transport des aliments sur des milliers de kilomètres et provoque la stérilisation des sols et des cours d’eau, la désagrégation des liens sociaux dans les campagnes et l’exode rural, l’exploitation et le maintien dans la misère de millions de sans-papier-e-s et sans-terres en Europe et dans le monde. Son développement à l’échelle mondiale n’aura fait qu’aggraver les inégalités sociales, la destruction de la biosphère et livrer le vivant, des champs jusqu’aux semences et engrais, aux tenants de l’agro-industrie mondiale et à leurs trusts.
L’agriculture industrielle est un cercle vicieux dévastateur. Des mythes progressistes aux mentalités conservatrices, du rouleau compresseur économique aux choix étatiques, son offensive est toujours féroce, même relookée «écolo». Partout dans le monde, des millions de paysans se battent pour garder un contrôle sur leur ressources, pouvoir nourrir les leurs et ne pas finir dans des bidonvilles. En Europe, les politiques alimentaires ont presque réussi à faire disparaître totalement la «paysannerie» en faisant en sorte qu’il soit presque impossible pour les petits agriculteurs de vivre du travail de la terre et pour les jeunes de s’installer comme paysan. Elles ont rendu la plupart d’entre nous complètement dépendant-e-s, coupé-e-s de tout savoir-faire, espaces et pratiques connectées à la production de notre alimentation.
Autour de Dijon, des maraîchers, paysans et des associations regroupant des citadins ou des ruraux, dénoncent et défient la domination de l’agriculture conventionnelle. Des initiatives variées mettent l’accent sur les divers freins institutionnels et politiques à l’installation que rencontrent notamment des projets bios orientés vers la vente directe et locale ou vers des associations, pour lesquels l’accès au foncier demeure souvent problématique.
Chaque jour, dans le monde, des hectares de terres sont grignotées par le béton, et les anciennes ceintures maraîchères font sans cesse place à des zones commerciales, des parkings et des immeubles. Dijon ne transige pas à la règle : les campagnes alentours sont tenues par les gros producteurs, la ceinture maraîchère est en friche ou bitumée, et les jardins ouvriers, reflets de communautés sociales et trésors de débrouilles, tendent à disparaître, malgré les fortes demandes à ce sujet. On nous parle sans cesse d’éco-quartiers, mais au delà du flon flon vert pour l’image et de la réalité eco-aseptisée qu’elle cache, ce que nous souhaitons (re)créer aujourd’hui ce sont des zones maraîchères au sein et en périphérie des villes. Nous voulons des terres où puissent se développer des projets agricoles pour des paysans qui souhaitent s’installer, aussi bien que des potagers qui permettent à des citadins de cultiver une partie de leur nourriture.
Les initiatives de libération de terres laissées en friche ou vouée au béton, et la mise en place de potagers collectifs sont parmi les moyens possibles pour défricher les bases d’une agriculture, locale, directe, bio… Elles questionnent les modes de productions et le cloisonnement producteurs-consommateurs. Elles permettent de briser en acte le brevetage et la commercialisation systématique du vivant, et de fertiliser les liens qui se tissent à partir d’une terre partagée, habitée et travaillée…
Parce que la nourriture est un besoin primaire, parce que sortir l’alimentation des mains de l’agro-industrie est à la charnière de tout projet social émancipateur, parce que nous voulons mettre nos idées en pratique et relier des actions locales aux luttes globales, parce que le refus de la nourriture industrielle ne se situe pas sous plastique et hors de prix dans un rayon high tech de supermarché : libérons les terres !
Avec la participation de : la Confédération Paysanne 21, de jeunes agriculteurs locaux, le réseau européen Reclaim The Fields, l’association Plombières environnement, l’association Kir, Espace autogéré des Tanneries, les Faucheurs volontaires 21, Food not Bombs Dijon, Groupe libertaire Dijon…
Brassicanigra, 31 mars 2010.