Mortelle randonnée

Publié le par la Rédaction

 

À Fukushima, le nucléaire vient encore de montrer de quoi il est capable, en matière de meurtre en gros et en détail. Bon nombre d’irradiés, en première ligne les liquidateurs, risquent déjà, aujourd’hui et dans le proche avenir, de crever de façon plus ou moins rapide et peu enviable. Sans parler des maladies et des malformations, mortelles ou non, qui apparaîtront plus tard, dans la région et au-delà des frontières du pays d’Hiroshima. Les mesures d’urgence prises pour tenter de différer, voire d’éviter, des conflagrations encore plus monstrueuses dans la centrale n’y changent rien, d’autant qu’elles portent en elles la mort et la désolation, en dispersant les sources de radioactivité, dans le sol, dans l’air et dans la mer, pour des centaines, parfois pour des milliers d’années.

 

 

Pourtant, la page sombre n’est pas prête d’être tournée, pas plus qu’au lendemain de Tchernobyl. En annonçant que «la France ne renoncera pas au programme électronucléaire», Sarkozy réaffirme ce que d’autres adorateurs de l’atome défendirent avant lui, dans des circonstances analogues. Tel Rosen, ponte de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), chargé de la sécurité sanitaire, qui osa affirmer en 1987 : «Même s’il y avait un accident de ce type tous les ans, je considérerais le nucléaire comme l’une des sources intéressantes d’énergie.» Profonde vérité ! L’énergie, c’est l’or en barre du capital : sans en produire et en distribuer, il ne saurait exister. Et le nucléaire en est la corne d’abondance présumée. Il n’est donc pas question d’arrêter la course à l’abîme mais, même au prix des pires ravages et de l’instauration de mesures de militarisation, de l’accélérer. D’où la décision, qui n’est pas limitée à la France, d’allonger de plusieurs décennies la durée de vie des centrales. D’où la construction de l’EPR et d’autres monstres nucléaires et thermonucléaires, comme ITER, nullement inoffensifs comme leurs promoteurs l’affirment, dont le gigantisme exclut la mise en œuvre dans le cadre de l’État nation. Supervisés par des institutions supranationales, comme l’AIEA, ils sont financés par des sociétés et des États qui mobilisent des chercheurs de toutes les nationalités. La même AIEA, en collaboration avec les nucléocrates en blouse blanche de l’OMS, prétend surveiller l’évolution de la filière nucléaire, au Japon et ailleurs. La main qui contrôle est aussi celle qui assassine.

 

Pas question non plus de renoncer à la force nucléaire, moyen de destruction sans égal dans l’histoire. Elle est trop utile aux États qui la monopolisent. Par l’effroi de la solution finale par l’atome qu’elle inspire, elle leur permet de tenir en laisse leurs administrés respectifs, en jouant le rôle de protectrices face au danger qu’elles contribuent à créer. Elles ont commencé à mettre à la ferraille les missiles et les bombes dépassées de l’époque de la Guerre froide, mais elles n’ont pas hésité à arroser des régions entières à l’uranium appauvri, dès la première guerre du Golfe, en Iraq. Et elles effectuent des essais plus sophistiqués en laboratoire, comme sur le nouveau site du Barp, près de Bordeaux. Là, on tente de créer des armes de moindre puissance, mieux adaptées aux opérations de terreur diversifiées qui caractérisent les guerres «préventives» actuelles.

 

Avec Fukushima, la «transparence» est à l’ordre du jour et sanctionne la fin de la gestion du nucléaire, sur le mode exclusif de l’obéissance militaire et de la censure. L’État prend le pouls de la prétendue «société civile» et fait mine de l’associer au diagnostic, car, depuis Tchernobyl, il ne peut plus lui mentir comme avant. Bien que la prise de conscience des risques soit encore plus ou moins refoulée, il préfère les minimiser plutôt que les nier en bloc. Les superlatifs sont désormais de mise dans la présentation médiatisée des crises nucléaires, mais le règne de l’omerta n’est pas terminé. Le mensonge par omission passe d’autant mieux qu’on y associe quelques vérités. Ainsi, la catastrophe en cours est présentée comme une tornade imprévue dans le ciel, paraît-il plutôt serein depuis vingt ans, de la société nucléarisée, alors qu’elle en constitue le paroxysme. Lorsque les médias et les chefs d’État versent des larmes de crocodile sur les sacrifiés de Fukushima, ils escamotent par la même occasion les cadavres et les estropiés à vie qui se comptent par dizaines de millions, victimes des retombées civiles et militaires de l’atome, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 

S’ils soulèvent le coin du voile, c’est donc pour mieux faire avaler l’essentiel, histoire de calmer les irradiés potentiels et de maintenir l’ordre. La catastrophe de Fukushima est officiellement reconnue comme telle mais, simultanément, à Tokyo, les retombées n’auraient pas d’incidence notable sur les habitants ! Le Premier ministre leur demande de ne pas bouger, de vaquer à leurs occupations et d’attendre les prochaines directives ! Belle banalisation de la catastrophe ! L’objectif est double : reconnaître, parmi les conséquences sanitaires des radiations, celles qui apparaissent le plus vite dans la zone la plus contaminée, ce qui amène la population à accepter les autres ; associer la même population à leur gestion au nom de la coresponsabilité du risque. Ainsi, en focalisant l’attention sur l’iode radioactif et la prise de capsules d’iode neutre qui peut, parfois, en empêcher la fixation sur la thyroïde, l’État fait passer à la trappe le cocktail d’éléments radioactifs rejetés par les réacteurs en déroute. Car, face à eux, l’institution médicale est impuissante. L’OMS ne reconnaît pas l’origine nucléaire des maladies les plus différées et les plus diffuses qui en découlent depuis Tchernobyl. Quant aux plus irradiés, l’armée les trie, les parque dans des camps autour des zones mortelles de Fukushima, avec interdiction d’en sortir, sous prétexte de les soigner. En réalité, pour les étudier à titre de cobayes. Magnifique laboratoire en plein air pour les adeptes de la médecine de catastrophe ! Comme à Tchernobyl.

 

Face au désastre, les partis et des lobbies écologistes européens ressortent leurs propositions de réformes introuvables, tel le misérable réseau Sortir du nucléaire qui n’a rien trouvé de mieux, dans son communiqué du 15 mars 2011, que de proposer «la fermeture immédiate des seize réacteurs français les plus âgés» et la «planification de la sortie du nucléaire» pour les autres, associées à la mise en place «ambitieuse de l’éolien», créant des «centaines de milliers d’emplois», l’ensemble prenant comme modèle la cogestion à l’allemande de la merde radioactive, dans laquelle les Grünen jouent le rôle de conseillers de Merkel. La question du nucléaire militaire est, elle, passée sous silence. De tels cadavres politiques, dans des conditions où le capital ne réforme plus mais innove, participent à la poursuite du nucléaire car ils jouent le rôle de liquidateurs préventifs de tentatives d’opposition effectives. Leurs propos fumeux restent sur le terrain qu’ils contestent à genoux : au problème social posé par le nucléaire, ils opposent, en véritables technocrates, des solutions techniciennes, contribuant à perpétuer la domination qu’ils prétendent rejeter.

 

Plus que jamais, l’arrêt du nucléaire n’est pas négociable. À moins d’accepter d’être exposé pour longtemps à des radiations, à des accidents, à des catastrophes au cours desquelles apparaît de façon paroxystique la fonction première de l’État : assurer la sécurité et la survie de la société par la négation de la liberté et de la vie des individus. La militarisation des populations indignées, atterrées, confinées, déportées, condamnées à crever et la neutralisation des rétifs, y compris par la fusillade, prévues par les plans d’urgence nucléaire, en France et ailleurs, en sont la preuve. Certes, jusqu’à aujourd’hui, la masse de nos contemporains préfère souvent ne pas y penser. Car le nucléaire est intégré à leur vie de tous les jours comme dispensateur d’énergie, particulièrement en France, chose sans laquelle ils ne peuvent, en règle générale, imaginer vivre. Certes, la création d’oppositions de masse radicales au monde nucléarisé ne dépend pas que de poignées d’irréductibles. Pourtant, il est impossible de rester les bras croisés face à ce qui existe déjà et à ce qui est en train d’advenir, avec la complicité des partis et des lobbies écologistes. À moins d’oublier en quoi consiste la liberté humaine.

 

julius93 - Le 19 mars 2011.

 

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Publié dans Terre et environnement

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