Meurtre de Mohamed Boukrourou par la police le 12 novembre 2009 à Valentigney : La reconstitution
Affaire Boukrourou : Une longue et minutieuse reconstitution
Hier, rue Carnot, à Valentigney (Doubs), s’est déroulée une longue reconstitution pour éclairer la justice sur les circonstances précises dans lesquelles Mohamed Boukrourou, 41 ans, a trouvé la mort lors de son interpellation musclée, le 12 novembre 2009, dans le fourgon de police où il avait été traîné de force.
Débutée à 14 heures, hier après-midi, la reconstitution de l’interpellation tragique de Mohamed Boukrourou, décédé dans le fourgon de police où il avait été traîné de force par quatre policiers, s’est poursuivie jusqu’à une heure très avancée de la soirée dans la rue Carnot bouclée par un impressionnant dispositif policier : pas moins de soixante-dix CRS et une noria de fonctionnaires en tenue et en civil du commissariat de Montbéliard ont tenu les badauds à distance pour permettre le bon déroulement des opérations placées sous l’autorité de deux juges du pôle de l’instruction de Montbéliard cosaisies du dossier, Mmes Sophie Baghdassarian et Isabelle Mendi. Sur place, on notait la présence de Thérèse Brunisso, procureure de la République de Montbéliard, du commissaire principal Christophe Charles et des fonctionnaires de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) qui ont mené l’enquête.
«Une interpellation non justifiée»
Vers 20 heures, seule la première phase de la reconstitution, celle concernant les événements survenus à l’intérieur de la pharmacie de la rue Carnot ainsi que la sortie de force de Mohamed Boukrourou traîné par les policiers jusqu’au fourgon avait été réalisée. «On remarque aussitôt que les conditions de cette interpellation ne sont pas légales du tout. Car il faut qu’il y ait eu commission d’une infraction ou volonté d’en commettre une. Ce qui n’a pas été du tout le cas», commentait le bâtonnier belfortain Me Alain Dreyfus-Schmidt. L’avocat, qui assiste la famille Boukrourou aux côtés de Me Thierry Mudry, associé de Gilbert Collard, du barreau de Marseille, et Me Jean-Louis Pelletier, du barreau de Paris, ajoutait que «la disproportion des moyens employés par la police saute aux yeux quand on voit le gabarit des trois colosses masculins qui l’ont saisi par les bras et les jambes. Même la policière est très athlétique. Certes, Mohamed Boukrourou pesait près de 100 kg pour 1,80 m. Mais on ne peut pas parler d’usage de la force strictement nécessaire.» Pour Me Dreyfus-Schmidt, «il n’y avait aucune raison d’interpeller cet homme et de le traîner de force dans le fourgon. On a bien vu, dans la pharmacie, qu’il tenait des propos incohérents, mais surtout qu’il était calme à l’arrivée de la police. Ce qu’il lui fallait, c’était le Samu et un médecin.» Pour la seconde phase, la plus délicate puisqu’elle s’est achevée par la mort de Mohamed Boukrourou, les juges ont préféré attendre la tombée de la nuit pour recréer les conditions de lumière proches de ce 12 novembre tragique. Comme il pleuvait ce soir-là, le fourgon a même été arrosé d’eau pour que les vitres offrent les mêmes conditions de visibilité de la scène qui se déroulait à l’intérieur et que des témoins ont aperçue depuis l’extérieur.
«Des contradictions dans les versions des policiers»
D’après les policiers, assistés par MMe Randall Schwerdorfer, du barreau de Besançon et Richard Belin, du barreau de Belfort, la victime a succombé accidentellement, sous l’effet du stress. Les quatre policiers, qui n’ont jamais été mis en examen, ont été entendus par les fonctionnaires de l’IGPN avant d’être auditionnés, sous statut de témoins assistés par un juge instructeur. Pour l’heure, le dossier, toujours à l’instruction, se nourrit en outre de plusieurs expertises médicales censées établir si le cœur de la victime a pu défaillir sous l’effet d’une pathologie cachée. Or, de récentes conclusions (le Pays de jeudi) affirment qu’il n’en est rien. «Le cœur de notre frère a lâché sous l’effet d’un stress physique et émotionnel intense. Ce qui veut dire qu’il est mort sous les coups des policiers», estime Abdelkader Boukrourou, porte-parole de la famille, qui espère beaucoup de cette reconstitution : «Le dossier laisse apparaître des contradictions, non seulement entre les déclarations des différents policiers impliqués, mais aussi dans les propres versions de chacun. Nous espérons que la justice va admettre la réalité et la gravité des coups portés par les policiers, comme l’ont affirmé les témoins extérieurs, et procéder enfin à leur mise en examen», commentait, hier, le frère cadet de Mohamed Boukrourou.
Leur presse (José Gonzalvez,
Le Pays), 9 avril 2011.
Les «failles» de l’interpellation
Montbéliard. Cette reconstitution était importante pour la famille de Mohamed Boukrourou, ce Boroillot de 41 ans décédé le 12 novembre 2009 dans un fourgon de police à Valentigney : «Nous l’avions demandée. Elle a été acceptée. Nous allons revenir sur certaines déclarations contradictoires entre les différents témoins, les policiers et les pompiers», confiait Thierry Mudry (collaborateur de Gilbert Collard), représentant les parties civiles, à son arrivée à la gare de Montbéliard.
Quatre heures sur l’interpellation
Hier, dès 14 heures, un important dispositif de sécurité a été installé au centre-ville de la commune. Une compagnie de 70 CRS a été déployée sur place. Tous les axes attenants à la rue Carnot, là où s’est noué le drame, ont été interdits à la circulation, à la surprise, souvent, des habitants. Et le comble, le jour du carnaval des écoliers (lire encadré).
Pendant près de quatre heures, la phase de l’interpellation a été répétée. Cet après-midi du 12 novembre, où vers 16h30, le pharmacien (Farge) alerte les policiers pour un homme «excité» car on a lui proposé des médicaments génériques auquel il n’est pas habitué. «À l’arrivée des forces de l’ordre, l’homme est calme, assis. C’est au moment où les policiers lui demandent de sortir, où ils l’empoignent qu’il s’énerve. Il ressort de cette reconstitution que l’interpellation était illégale, car elle n’était pas motivée par une infraction ou une tentative d’infraction», assène Me Dreyfus-Scmidt, qui intervient aussi pour le compte de la famille. Quant à l’emploi d’une force disproportionnée pour le traîner dans le fourgon, l’avocat belfortain n’en doute pas : «Sur ces quatre policiers aujourd’hui présents (N.D.L.R. : hier), deux ont un physique de rugbymen. Pour figurer la victime, les enquêteurs ont fait appel à un collègue boxeur de 110 kg. Pas le profil de la victime. Le Boroillot avait l’air costaud, mais il était légèrement handicapé, pas carré d’épaules, du gras au ventre.»
Cette reconstitution d’envergure, conduite par les juges d’instruction Sophie Baghdassarian et Isabelle Mendi, a peut-être mis en exergue, si besoin est, une «erreur d’appréciation», la non prise en compte de la fragilité de Mohamed : «Le pharmacien s’en veut énormément. Il aurait pu alerter le SAMU. Les témoins réaffirment aujourd’hui que Mohamed Boukrourou hurlait, dans la rue, alors que les policiers tentaient de le maîtriser, Au secours, Appelez les policiers. D’ailleurs, ces derniers, dans le fourgon, ont contacté les secours en disant qu’un homme faisait une crise de démence.»
Vers la mise en examen ou non
Vers 20 heures ce vendredi, la scène du fourgon où le décès est survenu (un soir d’hiver), a été reproduite devant deux membres de la police des polices (IGPN) en charge de l’enquête. Cruciale, qui a été également longue. La reconstitution permettra peut-être aux deux juges d’instruction de trancher : aller vers la mise en examen des quatre policiers pour homicide involontaire ou non. La famille espère que leur responsabilité soit reconnue. «Mon frère a été frappé par les policiers», confie encore son frère Abdelkader Boukrourou. S’est-on, pour autant, approché de la vérité ?
Troisième avocat des familles, Me Jean-Louis Pelletier, du barreau de Paris, se montrait prudent : «Dans une reconstitution, on ne fait qu’essayer d’imager ce qui s’est passé de manière objective. C’est presque une habitude, elle est parfois essentielle, d’autres fois non. Je ne dirige pas la procédure mais nous pourrons, en tant que parties civiles, faire des requêtes, soulever, si besoin est, l’incompétence du tribunal, demander une requalification criminelle.» Mais chaque chose en son temps…
Leur presse (Aude Lambert,
L’Est républicain), 9 avril.
Mort de Mohamed Boukrourou : la reconstitution, un espoir de vérité…
La famille Boukrourou place beaucoup d’espoir dans la reconstitution qui sera organisée par la justice, vendredi, pour comprendre le mécanisme qui a conduit à la mort de Mohamed dans un fourgon de police, le 12 novembre 2009, à Valentigney.
Reconstitution sous haute surveillance, sans doute, vendredi, à Valentigney, sur la place du centre-ville proche de la pharmacie où Mohamed Boukrourou, 41 ans, avait trouvé la mort dans un fourgon de police, au cours de la soirée du 12 novembre 2009. Un décès qui reste inexpliqué un an et demi après le drame. La famille de Mohamed mène, depuis ce jour, un combat exemplaire de par sa dignité pour que la vérité soit dite sur les circonstances de la mort tragique de ce père de famille sans histoire.
Est-il mort des suites d’une défaillance cardiaque ou sous l’effet des coups que lui ont portés quatre policiers lors d’une interpellation musclée ? Abdelkader, frère cadet de Mohamed, assure que la famille ne demande qu’à faire confiance à la justice pour établir la vérité. «Mais on a l’impression qu’elle travaille surtout à décharge des policiers», déplore celui qui se retrouve être l’aîné de la fratrie depuis le décès de Mohamed.
À l’appui de ses doutes, la famille produit les résultats de récentes analyses médicales sur l’état de santé des tissus du cœur de la victime. «Les conclusions sont claires et nettes : mon frère ne souffrait d’aucune pathologie cardiaque. Son cœur s’est arrêté de battre sous l’effet d’un stress physique et émotionnel intense. Pour nous, il est évident qu’il a succombé sous les coups que lui portaient les quatre policiers, dont deux femmes. Les fonctionnaires nient avoir frappé notre frère, mais des témoins affirment le contraire. La justice dispose de tous les éléments pour mettre les quatre fonctionnaires en examen. Nous ne comprenons pas pourquoi la procédure traîne ainsi en longueur. Mais on dirait que l’enquête cherche à disculper les policiers», déplore Abdelkader, qui ignorait, hier encore, que les policiers avaient finalement été entendus sous statut de témoins assistés par l’une des deux juges du pôle de l’instruction de Montbéliard co-saisies du dossier.
La famille sera présente, vendredi, à Valentigney. Désormais assistée par trois avocats, MMe Gilbert Collard, du barreau de Marseille, Jean-Louis Pelletier, du barreau de Paris et Alain Dreyfus-Schmidt, bâtonnier du barreau de Belfort, elle place de l’espoir dans cette reconstitution qui permettra de confronter les témoignages des uns et des autres et de, peut-être, enfin dissiper le voile d’incertitudes qui subsiste aux yeux de la justice.
Leur presse (José Gonzalvez,
Le Pays), 7 avril.