Métro : La coopérative de la resquille

Publié le par la Rédaction

 

Des militants constitués en petits groupes sautent les portillons et se cotisent pour payer les amendes, revendiquant la gratuité des transports en commun.


Ce sont des fraudeurs. Des resquilleurs qui enjambent ou sautent les portiques de sécurité du métro, entrent par la sortie, et ne se séparent jamais de leur kit de survie : un ticket non composté, parce que «quand tu te fais contrôler, l’amende est moins forte si tu présentes un titre de transport, même vierge». Des petites bandes qui s’échangent des tuyaux pour éviter les stations «à risque». «À Châtelet, tu as toutes les chances de te faire contrôler», dit l’un. «Et bizarrement, ajoute un autre, beaucoup plus en banlieue que dans les quartiers chics de Paris.» De simples petits tricheurs des transports en commun ? Point. Des défenseurs d’un nouveau genre de la fraude organisée, des militants de la gratuité, adhérents de mutuelles qui se partagent les amendes en cas de coup dur : un contrôle.

 

Combien sont-ils ? Qui sont-ils ? Avant d’accepter une rencontre, ils se sont réunis, concertés. Faut-il «communiquer» ? Un collectif parisien a fini par accepter. Trois membres de longue date ont été désignés. Rendez-vous pris dans un troquet, aux portes de la capitale. Discrétion oblige, ils préfèrent garder l’anonymat. «Ce qui compte, c’est le collectif et ce pour quoi nous militons», précise d’emblée Arsène [Les prénoms ont été modifiés]. Ne nous méprenons pas. Ces quidams ne fraudent pas pour le plaisir d’une séance de gymnastique offerte quotidiennement par la RATP. Ils revendiquent un accès libre et gratuit aux transports en commun. Un mot d’ordre qu’ils appliquent à la lettre en refusant de payer leur titre de transport. À l’image des Robins des bois de l’énergie, qui rebranchent les compteurs électriques de personnes en difficulté, ou du collectif Jeudi noir, qui s’attaque au mal-logement en réquisitionnant des immeubles, ils ont décidé de passer à l’acte. L’idée de la mutuelle s’est alors imposée d’elle-même, comme «un outil d’entraide entre militants».

 

Le principe est simple, calqué sur celui des mutuelles de santé ou les assurances. Les adhérents versent chaque mois une cotisation qui sert à régler leurs contraventions. «Le prix a été fixé de manière empirique à 7 euros, indique Bonnie. Dans d’autres mutuelles, il peut varier de 5 à 10 euros.» Le montant peut aussi être adapté au budget de chacun : «Les membres les plus précaires donnent ce qu’ils peuvent. Le but, c’est de s’entraider. Mais nous ne proposons pas un service», nuance un des membres. Rares sont ceux qui ne viennent que par utilitarisme, assurent-ils. Les cotisations ne financent d’ailleurs pas uniquement les amendes. Elles permettent également d’imprimer des tracts, des autocollants ou un journal occasionnel revendiquant la gratuité des transports.

 

 

«Taille humaine». Mais qui se cache derrière ces adhérents ? «Il n’existe pas de profil type.» Impossible de creuser, nos trois affiliés ne sont pas venus pour parler d’eux. Simplement, on apprend que les mutuelles regroupent des étudiants, quelques retraités, des salariés, des chômeurs… En somme, Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Des syndicalistes ? «Parfois.» Des salariés de la RATP ? «Une fois, on a eu un chauffeur de bus. Il était en désaccord avec la politique de l’entreprise.»

 

Les premières mutuelles de ce type sont nées au début des années 2000, sous la houlette d’un collectif regroupant des militants de tout poil et malicieusement baptisé Réseau pour l’abolition des transports payants (RATP). La plupart de ses membres sont engagés aux côtés d’associations, de syndicats, voire de partis politiques. Des combats multiples que les membres de la mutuelle ne souhaitent pas évoquer. «Certains avaient participé aux manifs de chômeurs de 1998», glisse Bonnie. Maigre indice. Depuis, ces collectifs ont essaimé dans plusieurs villes comme Lyon et Marseille. À Paris, il en existerait une dizaine. Nos resquilleurs, eux, seraient en contact avec au moins cinq d’entre eux. Ces groupes sont volontairement limités à quelques dizaines d’adhérents : «On ne pourrait pas gérer ne serait-ce que 100 personnes.» La mutuelle de ces trois fraudeurs entend rester «sans leader» et «à taille humaine». «Nous préférons voir naître de nouveaux collectifs plutôt que de créer des superstructures», assure Clyde.

 

La plupart d’entre elles fonctionnent par connaissances. Des réseaux autonomes, mais solidaires. «Lorsque l’un d’entre eux a des problèmes de trésorerie, les autres peuvent lui venir en aide», précise l’un des fraudeurs. Au lobbying, les membres de ce collectif ont ainsi préféré «une forme d’action directe». «Nous ne cherchons pas de contacts auprès des élus», explique Arsène. Leurs arguments sont pourtant bien rodés. Les trois resquilleurs n’hésitent pas à assimiler «ce service indispensable» à «un droit fondamental qu’est la liberté de se déplacer». «Comment tendre vers plus d’égalité sans favoriser la liberté de circulation ?» interroge Clyde.

 

«Laboratoire». À l’appui de leurs revendications, ils évoquent l’école gratuite pour tous et appellent à faire tomber «la barrière idéologique du financement». Selon eux, les sommes englouties dans le contrôle, infrastructures et personnels compris, pourraient financer la gratuité de l’accès au réseau. «Au final, nous payons pour être contrôlés», ironisent-ils. Et le collectif de contester également «l’arsenal sécuritaire» mis en place sur le réseau de transport francilien devenu, à leurs yeux, «le laboratoire des politiques gouvernementales». «Portiques, caméras, patrouilles en arme… Imaginez un tel panel sécuritaire sur la voie publique», s’emporte Arsène. Un argumentaire qui fait dire au Syndicat des transports en Île-de-France (Stif) qu’il s’agit bel et bien d’une «question politique». Le Stif botte en touche sur le sujet de la gratuité. Tout comme la RATP qui se contente d’évoquer un manque à gagner lié à la fraude estimé à près de 80 millions d’euros par an.

 

Des sanctions salées
Voyager sans ticket peut coûter cher. Les contrevenants s’exposent à de lourdes sanctions financières, voire à de la prison ferme. La fraude «habituelle» constitue ainsi un délit. Au-delà de 10 PV non réglés sur une période de douze mois, les contrevenants encourent jusqu’à 7500 euros d’amende et six mois de prison. Une mesure adoptée en 2001, sous le gouvernement Jospin. La plupart des tribunaux rechignent à l’appliquer. Ils se contentent d’infliger une forte amende ou de la prison avec sursis. Mais certains fraudeurs récidivistes se retrouvent malgré tout derrière les barreaux. Une vingtaine de condamnations seraient prononcées chaque année.


Leur presse (Libération), 25 mai 2010.

 


Publié dans Transports

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