Marche pour les droits des travailleurs et travailleuses du sexe - Lyon, 19 mars

Publié le par la Rédaction

«Je suis pute, je suis fière, Collomb/Sarkozy c’est la guerre !»

 

La Marche pour les droits des travailleurs et travailleuses du sexe a bien eu lieu à Lyon le samedi 19 mars à partir de la place des Terreaux. Une marche très colorée, débridée… En voici un compte-rendu.

 

 

Place des Terreaux, à 14h30, nom­breu­ses sont les ban­de­ro­les… et les pho­to­gra­phes. Plusieurs per­son­nes por­tent des cos­tu­mes de putes de tous les temps : une cour­ti­sane, une catin, etc… De nom­breu­ses per­son­nes se camou­flent der­rière des mas­ques blancs, et des per­ru­ques.

 

La marche dura pres­que deux heures pour rejoin­dre l’église Saint-Nizier. [Le 2 juin 1975, un mouvement inattendu est lancé à Lyon : plus d’une centaine de prostituées lyonnaises occupent l’église Saint-Nizier pendant plus d’une semaine pour protester contre le harcèlement policier et les violences dont elles sont la cible. C’était la première fois que des femmes appartenant à l’une des catégories de la population les plus stigmatisées osaient faire front contre la répression. Ce lieu est resté un symbole.]

 

Sur le chemin, dif­fé­ren­tes réac­tions. Un type tente d’insul­ter… il sera dési­gné et montré du doigt au son de «Client ! client ! client !» et vite aban­donné de ses amis. Une lycéenne tra­ver­sera la manif au bras de sa pote, en criant : «Allez vous faire encu­ler !»… Mais la plu­part des pas­sants res­tent obser­va­teurs, sou­vent à l’écoute, dans l’attente.

 

Pour mettre le ton, le devant du cor­tège avance en s’écriant : «Je suis pute, je suis fière, Collomb/Sarkozy c’est la guerre !» Mais dès l’arri­vée de slo­gans reven­di­quant le droit au tra­vail et à payer des impôts, l’arrière du cor­tège a élevé sa propre voix : «On paie pas d’impôts, on est des gros­ses putes !» D’autres phra­ses ont trouvé de l’écho parmi nous : «L’Élysée en feu, les proxos au milieu !» «À bas les maris, à bas les curés, à bas les proxos, à bas l’État !» fut scandé dans un cres­cendo auquel des sou­ri­res ont lar­ge­ment répondu.

 

À la moin­dre appa­ri­tion d’uni­for­mes, une ligne de mani­fes­tants s’arrê­tait en les dési­gnant : «Flics, vio­leurs, assas­sins !» Quant aux bour­geois se bala­dant le samedi après-midi dans le deuxième arron­dis­se­ment, ils ont eu droit à une remise en cause : «Un mari, c’est le même client, pour toute la vie !» et «Mon corps, est un champ de bataille». Sans parler de l’inter­pré­ta­tion de la chan­son de Brel qui les com­pare aux cochons. Pour les plus réticents, une ver­sion expli­cite : «Si je sais faire une pipe, je sais faire une bombe» ! Les ter­ras­ses enso­leillées ont pu s’inter­ro­ger sur le sens de «Moins de maria­ges et plus de pilla­ges !» et «Le bordel, c’est dans la rue !» (contre l’ouver­ture des mai­sons closes).

 

Les jour­na­leux nous ont collé une bonne partie de la manif, jusqu’à ce que les pre­miè­res caca­houè­tes heur­tent leurs lunet­tes. Aux micros de France 3 qui ten­taient d’inter­vie­wer des pas­sants, le son fut saturé de «État proxé­nète, jour­na­lis­tes com­pli­ces !» Harry Roselmack [présentateur de télévision] sou­riait d’un air par­te­naire, sûre­ment fier d’être reconnu.

 

Une dou­zaine d’œufs ont été lancés sur des vitri­nes de ban­ques, et ont de même atterri sur le blou­son de la star télé­vi­sée, au son de «TF1 c’est les putes de l’État !» Et puis, devant l’église, des cris de jouis­san­ces après «Carla Bruni, est une col­lè­gue !» Les portes de l’église Saint-Nizier ont été pres­te­ment fer­mées à notre arri­vée.

 

Enfin, les rues ont été colo­rées de nos pro­pres tein­tes, et malgré l’impos­si­bi­lité de trou­ver des alliés — sachant le deuxième arron­dis­se­ment en zone enne­mie — le défilé nous a permis de nous ren­contrer, d’avan­cer avec cynisme, sans aucun sen­ti­ment de honte ni de culpa­bi­lité.

 

«Je ne retournerai pas à l’usine !

Pute si je veux, soumise quand je veux !»

 

P.-S. : La veille, le 18 mars, les personnes travailleuses du sexe, les putes et autres alliées s’étaient retrouvées à Lyon pour les Assises de la prostitution. La prostitution étant illégale, les personnes sont arrêtées et réprimées pour deux motifs : racolage passif (mini jupe ou annonce) et proxénétisme (partager un appartement, faire le site d’une escorte, distribuer des brochures … ce qui peut les pousser à travailler). Il s’agit de se défendre…

 

Rebellyon, 21 mars 2011.

 

 

«Je suis pute, je mourrai pute et fière de l’être»

 

Ces prostitué(e)s s’auto-nomment «putes» en ce jour de manifestation, comme un homo s’auto-nommerait «pédé» : ils emmerdent ceux dont ils viennent de désamorcer l’insulte, ils sont fiers de l’être et le revendiquent.

 

Le cortège est parti de la place des Terreaux à Lyon, ce samedi 19 mars, pour rejoindre l’église Saint-Nizier, en deux heures. Objet : protester contre le projet de pénalisation du racolage passif, contre la pénalisation du client, contre une politique gouvernementale qui finalement les poussent à travailler dans des conditions toujours plus difficiles, donc plus dangereuses. «La prostitution est autorisée, mais tout ce qui est autour est progressivement interdit. C’est de l’hypocrisie», scande une représentante de l’association Cabiria lors du rassemblement.

 

D’autres associations sont présentes, comme Act Up qui a bien pris soin de noter son nom en bas des pancartes distribuées dans le groupe, mais elles ne semblent pas mener la danse : en tête de cortège, 4 femmes et un homme se passent le micro à tour de rôle pour lancer les chants et slogans, et ce sont tous des «putes» comme il et elles ne se lassent de le répéter. Même ce jeune homme, casquette, survêtement Sergio Tacchini, chaussures Nike requin et «pute depuis 8 ans» : en voilà un briseur de clichés.

 

Sur le bord de la route, les badauds et badaudes regardent le cortège passer, on sent quelques vieux rebutés qui font la grimace, on en sent d’autres un peu plus excités qui s’empressent de sortir leur téléphone/appareil photo pendant que madame ne regarde pas pour prendre à défaut de prendre quelques-unes de ces femmes parfois légèrement vêtues. Il y a aussi un groupe de jeunes qui s’ennuient assez pour suivre le cortège pendant plusieurs minutes et lancer à la va-vite quelques «sales putes». Le côté pute est revendiqué ; le côté sale, le fil des interventions le démentira comme le résume bien cette dame, la quarantaine avancée déguisée et maquillée à la mode Louis XIV : «Je ne vais pas risquer ma vie pour des inconnus, bien sûr que j’impose la capote. Et celui qui refuse aura beau danser autour du camion, il restera dehors.»

 

Il y a les journalistes aussi. RTL, France 3, et Harry Roselmack en observation. Quelques cacahouètes en guise d’insulte leur sont jetées par un groupe dans le groupe, au son de «État proxénète, journalistes complices !» Ce même groupe à la créativité augmentée produira d’autres slogans tels «Sarkozy, ta femme est une confrère», «Notre corps est un champ de bataille», «Un mari est un client pour la vie» puis se lanceront dans la simulation vocale débridée d’une partouze géante qui ne manquera pas de mettre (très) mal à l’aise cette famille avec enfants sur le trottoir juste derrière l’église.

 

Car ici, ce ne sont pas les prostitués et autres participants qui ont honte mais plutôt les gens autour. Sont-ils mal à l’aise pour ces prostitués qui manifestent, dans une empathie leur permettant d’entrevoir les difficultés que les «travailleurs et travailleuses du sexe» endurent au quotidien ? Ou bien comme le crie au mégaphone cette femme mûre et ventripotente dont le débit parolier ferait blêmir n’importe quel orateur-né, parce que «beaucoup de ces messieurs [sont] sûrement déjà venus [les] voir» ? Ou encore parce que de nombreuses femmes participant à la manifestation ne répondent pas au code vestimentaire et social accolé au mot «prostituée» et pourraient très bien être ma mère ?

 

L’église Saint-Nizier signe la fin de la manifestation, il est temps pour nos prostitué(e)s leaders de prendre la parole. Saint-Nizier parce qu’en 1975, lors de l’occupation des lieux par des prostituées, un prêtre leur avait donné refuge, de quoi manger et se laver quand elles en avaient eu besoin, en faisant ainsi un symbole de lutte. Au moins deux l’ont vécu et racontent leur combat de l’époque quand l’église ferme ses portes juste derrière elles. L’une d’elles s’énerve : «Je suis chrétienne et catholique, mais dans des moments pareils, j’en ai honte. Ils devraient se souvenir que nous sommes toutes des descendantes de Marie. Notre travail est un travail social et humanitaire.» Le jeune homme au survêtement poursuit : «Et ils ne devraient pas oublier non plus qu’ils sont aussi nos clients. Vatican, nos clients ! Vatican, nos clients !» Enfin, notre prostituée-chrétienne-catholique revient à la charge, arrache le micro et lance : «Ça fait cinquante ans que je suis pute. Je suis pute, je mourrai pute et fière de l’être !»

 

Florentin Cassonnet - Remplir des sacs, 22 mars.

 

 

Assises de la prostitution : «C'est de pire en pire»

 

Les Assises de la prostitution étaient organisées à Lyon vendredi 18 mars pour la cinquième année consécutive. Les travailleurs et travailleuses du sexe se réunissaient à cette occasion pour évoquer les difficultés qu'ils rencontrent au quotidien. Récit.

 

 

Être écouté et entendu. C'est la principale revendication qui est ressortie de la 5e édition des Assises de la Prostitution vendredi 18 mars à la maison des associations de Lyon (4e). «Les assises ne sont pas seulement un lieu pour faire le bilan de la loi de 2003, sur le racolage passif, mais une plateforme de revendication», a précisé en effet Sarah-Marie Maffesoli, juriste pour le collectif Droit et Prostitution ainsi que pour le STRASS (Syndicat du travail sexuel). «Pourtant, depuis la création des Assises, la situation est de pire en pire», a-t-elle résumé.

 

«J'aimerais avoir la parole pour une fois !»

 

Trois ans après les arrêtés municipaux pris par la Ville de Lyon, pour empêcher le stationnement des camionnettes de prostituées à Perrache et Gerland, les conditions de travail des travailleuses du sexe continuent de se dégrader. Violences, agressions, stigmatisation pour l'accès au logement, dégradation de l'accès au soin, etc. Aucune amélioration n'a été constatée et les principales intéressées désespèrent de se faire entendre. «Les politiques prennent des décisions sans nous demander notre avis. J'aimerais avoir la parole pour une fois, qu'on nous écoute, on a des choses à dire», s'indigne Karen, prostituée à Gerland. Pour tenter d'expliquer la situation, elle a même envoyé un courrier aux 577 députés de l'Assemblée nationale. Seulement deux lui ont répondu.

 

Pour combattre cette situation, les acteurs des Assises dont Cabiria, l'association bien connue à Lyon de santé communautaire qui vient en aide aux prostituées, le STRASS et le collectif Droit et Prostitution, tous et toutes ont souligné l'importance d'un changement de loi sur la prostitution, ainsi que l'élaboration d'actions pour améliorer les conditions d'exercice des travailleuses du sexe. Parmi les solutions évoquées : sensibiliser les clients sur les maladies sexuelles, avoir à disposition un terrain identifié sur lequel travailler afin d'éviter agressions et violences. Ou encore, lutter contre le délit de «proxénétisme de soutien» qui vise ceux aident ou favorisent le travail d'une prostituée. «Aujourd'hui, si un ami m'emmène sur mon lieu de travail ou me prête sa camionnette, il est considéré comme proxénète de soutien !», s'insurge Karen.

 

Pénalisation des clients et maisons closes

 

«Client prostitueur» : la notion sera au centre du rapport sur la prostitution en France qui doit sortir fin mars. Dirigé par la socialiste Danielle Bousquet (1re circonscription des Côtes-d'Armor), il  évoque la possibilité de pénaliser demain les clients par une amende. Une idée dénoncée par les travailleurs du sexe et Miguel Ange Garzo, psychologue, chargé de prévention au sein de l'association Arcat. «Lutter contre les clients, c'est mettre en danger les prostituées, c'est signer un retour en arrière du combat contre le sida», selon lui. Thierry, travailleur du sexe depuis 8 ans est du même avis. Il craint «une baisse de salaire, un manque de temps et de sécurité».

 

Sur la question d'une possible réouverture des maisons closes, une idée proposée par certains députés français, les travailleurs du sexe se sont prononcés à  une écrasante majorité contre ce vendredi 18 mars à Lyon. Cela n'aurait pour conséquence que de «parquer tout le monde au même endroit», et restreindrait l'autonomie des clients et des prostitués. Mais l'idée «d'un bordel auto-géré» : de petits appartements ou maisons tenues par les prostitués en copropriété séduit. «On serait tous sur le même pied d'égalité, personne ne commanderait», conclut Karen, la prostituée voit en effet trop de différences entre les conditions de travail des prostituées de luxe et des filles de la rue comme elle. «Si les politiques veulent taper sur les clients, ils doivent taper sur tout le monde. Des mecs comme Benzema ne seront jamais emmerdés. Les riches peuvent baiser tranquillement !», s'étonne-t-elle.

 

Leur presse (Fanny Badoil, Gaëlle Grès,
Lyon Capitale), 21 mars.

 


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