Luttes de classes en Égypte - 16 février (2)
20'000 ouvriers du textile en grève à Mahalla
Egypt's Mahalla workers strike, bring demands to the military
More than 20,000 workers in Mahalla have relaunched a strike demanding higher wages and better management.
About 20,000 workers in Al-Mahalla Al-Kobra, more than 100 kilometres north of Cairo, relaunched a strike after a three-day break in the largest spinning and weaving factory in Egypt.
The strike for higher wages and better conditions comes despite the country's new military rulers' warning that more strikes would be “disastrous”.
“We want to set a minimum wage of LE1200 per month for workers,” said Kamal El-Fayoumi, one of the workers who called for the strike in the government-owned factory.
“We also call for the departure of the temporarily appointed manager of the company, who replaced a few years ago the ex-CEO.” The latter was toppled during a strike in 2007.
“The factory still suffers from bad performance despite the huge investments the government poured in to modernise the company”, El-Fayoumi complains, calling also for the dismissal of the manager's advisors, who failed to improve the company's results.
A military representative is currently negotiating with the strikers, trying to convince them to leave the company's headquarters on a promise that he will make sure their demands will be met. The workers, however, decline to leave.
“We closed the gates, so people would stay. We will remain on strike until our demands are met,” El-Fayoumi insists.
Mahalla, the place of rebellions
Al-Mahalla witnessed a successful strike in September 2007, with workers demanding a greater share of the company’s annual profits and removal of company management. The strike ended in victory, with the government succumbing to the workers’ demands after six days.
The head of the local union resigned after he was hospitalised by the strikers while trying to persuade them to disband the strike. The CEO was removed a month later.
A few months after that, in February 2008, leftist organisers in Ghazl El-Mahalla mobilised the biggest anti-Mubarak labour protest since he ascended to power in 1981. Some 10,000 factory workers took to the streets, joined by a similar number of local citizens, demanding a raise in the national minimum wage and chanting against Mubarak and his son Gamal, whom he’d been grooming for succession.
As workers in Ghazl El-Mahalla announced their intention to go on their third strike in less than two years, opposition groups and bloggers launched a call for a general strike, asking the public to stay home. On the 6 April 2008, thousands of police troops occupied the town of Mahalla, and security took control of the factory, preempting the strike.
Spontaneous demonstrations broke out in the town, however, including thousands of the urban poor, the young employed, and workers chanting against the president, corruption, and price increases. The demonstrators were met with tear gas, rubber bullets, and live ammunition, which left at least two young men, ages 15 and 20, dead.
Hundreds were arrested and dozens were critically injured in the ensuing crackdown.
Leur presse (Marwa Hussein,
Ahram Online), 16 février 2011.
Des travailleurs mettent à sac le ministère de l’Agriculture
Angry workers storm the Ministry of Agriculture
Temporary workers have stormed the Ministry of Agriculture, before being stopped by the armed forces.
The workers were trying to reach the office of Ayman Fareed Abu Hadeed, the Minister of Agriculture. They damaged rgw minister's lounge, before the army helped him to evacuate the building.
In the last few days temporary workers in the ministry have held several protests demanding permanent contracts.
Leur presse (Ahram Online), 16 février.
Égypte : L'explosion des revendications ouvrières
Bien peu de temps s'était écoulé depuis l'annonce du départ de Moubarak avant que les généraux du Conseil militaire suprême affirment dans un communiqué télévisé — le numéro 5 — que les «Égyptiens honorables savent que les grèves, dans cette période délicate, produisent des résultats négatifs» et «appellent les citoyens et les syndicats professionnels et ouvriers à assumer leur rôle de la meilleure manière, chacun à sa place».
Les travailleurs, ces «Égyptiens non honorables» sans doute, avaient depuis le départ du dictateur multiplié les mouvements de grève et les sit-in, au Caire et dans d'autres villes. Le responsable d'une organisation syndicale d'opposition jugeait même plus juste, plutôt que de se demander qui est en grève, de poser la question : «Qui ne l'est pas ?»
On peut, malgré l'éloignement, se référer à de nombreux témoignages pour constater que, dans de multiples secteurs de l'industrie et des services, les travailleurs sont mobilisés pour que leurs revendications essentielles, sur les salaires très insuffisants, les conditions de travail souvent moyenâgeuses et la précarité des emplois, soient exprimées, publiquement, dans cette «période délicate», comme la nomment les militaires au pouvoir.
Dans une Égypte de 85 millions d'habitants environ, comprenant près de 27 millions d'«actifs», plus de la moitié de ceux-ci survivraient, selon une statistique syndicale récente, dans le secteur que les économistes nomment «l'économie informelle», de ces petits jobs que tous les travailleurs des pays pauvres connaissent de près. Les autres, quelques millions de paysans pauvres, quelques millions de petits employés de l'État et quelques millions d'ouvriers et employés, ont depuis longtemps accumulé les raisons de se révolter. Le salaire moyen, quelques centaines de livres égyptiennes, soit 50 à 70 euros, permet difficilement, même en cumulant plusieurs emplois, d'assurer à la fois le logement, les études des enfants et la nourriture de la famille. Dans de nombreux secteurs de l'industrie, étatisée ou privée, ainsi que dans la fonction publique, les emplois sont précaires et l'embauche n'est même pas obtenue, parfois, après des années dans la place. Dans les usines du textile, du ciment, dans des services, les équipes de douze heures, six jours sur sept, les heures supplémentaires non payées, sont quasiment la règle. Seul un syndicat officiel, appendice du pouvoir, réglait jusqu'à présent les salaires et les conditions de vie, en «négociant» avec directeurs d'usines et patrons !
Les mouvements de la classe ouvrière se sont bien heureusement rendus très visibles quelques jours déjà avant le départ de Moubarak. Pour n'en citer que quelques-uns : 1500 travailleurs de l'hôpital de Kafr ez-Zayyat, dans le delta, ont organisé un sit-in sur les salaires, bloqués depuis des années ; des milliers d'ouvriers de l'immense usine textile d'État de Mahalla el-Kubra ont fait grève pour les salaires et l'embauche des précaires. Les 15% d'augmentation des ouvriers d'État annoncés en hâte par Moubarak avant son départ ne couvriraient, selon des syndicalistes indépendants, que l'inflation d'une année… 2000 grévistes à la Coke Company d'Helouan, dans la banlieue sud du Caire ; 400 dans l'aciérie de Suez ; des grévistes dans les usines d'armement.
Et après le 11 février les mouvements se sont étendus. 4000 ouvriers des différentes minoteries de l'est du delta exigent 70% de hausse de salaire. Ceux de la sucrerie d'El Fayoum, les employés de la poste, de la pétrochimie, de la banque nationale, de certains ministères formulent les mêmes revendications, et pour cause !
On ne peut pas dire que ces mouvements soient nouveaux, même s'ils sont étendus à de nombreux secteurs, s'ils semblent plus visibles en tout cas. Depuis plusieurs années, les grèves se sont multipliées dans l'industrie et les services, pour obtenir par exemple des primes permettant au moins de rattraper l'inflation, mais aussi pour tenter d'imposer des syndicats indépendants du pouvoir. Une vaste mobilisation des employés des impôts a ainsi abouti à la constitution d'un syndicat indépendant, le premier alors reconnu par le pouvoir. Et surtout, en 2007 et 2008, au milieu de mouvements qui depuis longtemps n'avaient pas compté autant de participants — plusieurs centaines de milliers de grévistes dans le pays au total, selon une ONG — deux importants mouvements ont bloqué à chaque fois pendant plusieurs jours la grande usine textile de Mahalla el-Kubra, où 24'000 ouvriers fabriquent les profits des privilégiés proches du pouvoir, des banques et des groupes capitalistes occidentaux.
Pour ses intérêts propres, mais aussi pour ceux des millions de pauvres qui survivent avec moins de 1,5 euro, ou ceux des petits paysans spoliés depuis tant d'années d'au moins 6 millions d'hectares de terre, la classe ouvrière égyptienne a, espérons-le, seulement commencé à faire entendre sa voix.
Viviane Lafont - Lutte Ouvrière, 18 février.