Luttes de classe en Égypte - 18 février
Égypte : les manifestants de nouveau place Tahrir pour maintenir la pression
Une semaine après le départ de Hosni Moubarak, des milliers de manifestants sont revenus vendredi place Tahrir au Caire pour fêter la chute de son régime et maintenir la pression sur l'armée pour qu'elle libère les détenus et assure de vraies réformes démocratiques.
Les manifestants agitant des drapeaux égyptiens ont commencé à se rassembler dans une atmosphère de fête dans ce haut lieu de la révolte populaire qui a forcé M. Moubarak à mettre un terme à trois décennies de pouvoir sans partage.
«C'est une fête, nous sommes très heureux, Moubarak est parti. Je pense que nous allons revenir toutes les semaines, tous les vendredis», déclare Nasser Mohammed, 50 ans.
La place était toutefois entourée de chars et un cordon de militaires vérifiait les identités aux différents points d'accès. Des membres de comités populaires composés de manifestants assuraient aussi des contrôles.
Mais l'armée participait aussi à la fête, avec un orchestre militaire en grand uniforme jouant des airs patriotiques devant une foule ravie.
M. Moubarak a quitté le pouvoir le 11 février après 18 jours de manifestations massives sans précédent qui ont fait au moins 365 morts selon un bilan officiel.
Il a remis le pouvoir à l'armée qui a suspendu la Constitution et dissous le Parlement tout en s'engageant à préparer un retour à un pouvoir civil élu dans un délai indicatif de six mois.
La «Coalition des jeunes de la révolution», un groupe de militants pro-démocratie qui a participé au déclenchement de la révolte le 25 janvier, a demandé que la manifestation de vendredi soit l'occasion «de se souvenir des martyrs de la liberté, de la dignité et de la justice».
Dans un message sur Facebook, elle réclame aussi «la libération immédiate de tous les détenus» arrêtés lors des manifestations anti-Moubarak, et le remplacement de l'actuel gouvernement, formé dans les derniers jours au pouvoir de M. Moubarak, et chargé par l'armée d'expédier les affaires courantes.
Selon Gamal Eid, un avocat du Réseau arabe pour l'information sur les droits de l'Homme, «des centaines de personnes sont détenues», certaines par l'armée, «mais leur nombre exact n'est pas connu».
«Si les personnes arrêtées ne sont pas libérées, sans parler des prisonniers politiques plus anciens, cela montrerait que l'armée n'est pas sincère dans ses promesses de réformes politiques», a déclaré à l'AFP Mohamed Waked, un des organisateurs de la manifestation.
Les organisations Amnesty International et Human Rights Watch ont fait état de témoignages de manifestants torturés par des militaires.
L'armée, qui fut l'épine dorsale du régime Moubarak, continue toutefois d'être populaire en Égypte où elle est saluée pour ne pas avoir tiré sur les manifestants.
Jeudi, trois anciens ministres dont celui de l'Intérieur Habib el-Adli, et Ahmad Ezz, un influent homme d'affaires proche du fil de l'ancien président, Gamal Moubarak, ont été arrêtés pour malversations financières et placés en détention provisoire.
Le départ de Habib el-Adli, honni par une grande partie de la population, avait été réclamé avec insistance par les manifestants antirégime. L'armée a également confirmé une hausse de 15% des salaires des fonctionnaires et des retraites, alors que le pays connaît une vague de grèves et de mouvements sociaux.
À l'étranger, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a annoncé que son pays allait offrir une aide de 150 millions de dollars à l'Égypte pour soutenir la transition politique et l'économie. William Burns, sous-secrétaire d'État aux affaires politiques, et David Lipton, conseiller de la Maison Blanche chargé de l'économie internationale, sont attendus en Égypte la semaine prochaine.
Paris a de son côté levé ses restrictions sur les voyages en Egypte du fait d'un «quasi-retour à la normale» dans le pays.
Leur presse (Agence Faut Payer), 18 février 2011.
Les ouvriers du textile à Mahalla en voie de constituer un syndicat indépendant
Mahalla employees calls for independent syndicate
Workers start petition after three-day pause in strikes
The workers of Ghazl El-Mahalla, the largest public-owned spinning and weaving factory in Egypt, have announced plans to create an independent syndicate separate from the Egyptian Trade Union Federation, known to be controlled by the government.
Employees have started to collect signatures for the creation of the new syndicate. More than 3,000 of the factory's 20,000-strong workforce having signed a petition in favour of the move.
Ghazl El-Mahalla workers relaunched their strike yesterday after a three-day break but trouble arose after the army prevented a second shift of protesters from entering the factory premises and closed the enterprise for three days.
Leur presse (Marwa Hussein,
Ahram Online), 17 février.
Égypte : Les jours d’après
Près de 24 heures de fête ont suivi la chute de Moubarak. Démantèlement du camp de la place Tahrir. Premières mesures «institutionnelles» du Conseil suprême des forces armées concernant la dissolution du Parlement, la suspension de la Constitution, la nomination d’une commission chargée de réviser cette même Constitution… Une liste de 43 personnes de l’ancien régime a été dressée avec interdiction de quitter le pays et gel de leurs avoirs financiers.
Si certains «Jeunes révolutionnaires» de la place Tahrir ont été reçus par les nouveaux maîtres de l’État égyptien, c’est sur le «front social» que les choses vont se déplacer, en particulier chez les fonctionnaires, les salariés des entreprises d’État et les travailleurs des plus grandes entreprises où les revendications portent sur la démission des membres des directions, les salaires, la couverture maladie, l’embauche des salariés précaires dans des contrats fixes…
Comme cela était prévisible, l’armée a appelé à la fin des grèves. Il n’est pas sûr qu’elle soit entendue. L’enjeu des prochains jours et semaines est de voir comment la rébellion sociale naissance, multiforme mais pas généralisée, va utiliser cette situation nouvelle à son profit.
Après la gueule de bois… il reste encore beaucoup à faire
Samedi 12 février 2011
12:25 heure du Caire
Aujourd’hui, nous nous sommes réveillés dans un pays plus libre. Dans un monde plus libre. Un tyran a été abattu par la ferme détermination de la volonté populaire.
L’Égypte s’est levée avec une gueule de bois consécutive d’une longue nuit de fête qui, en fait, ne semble pas s’être encore terminée dans de nombreux endroits. Sur la place, cette chanson n’a cessé d’être écoutée.
Comme cela a déjà été l’accent dominant jusqu’à présent, les révolutionnaires égyptiens nous donnent une nouvelle leçon. Des centaines de membres des brigades populaires de nettoyage de Tahrir se sont mises à la collecte des ordures, avec l’aide des nettoyeurs de l’entreprise sous-traitante de la municipalité du Caire.
Les balais et les sacs sont distribués pour achever le travail aussi rapidement que possible. Apparemment, ce type d’intervention a également lieu ailleurs dans le pays. Sur la place, pendant ce temps, des appels depuis la radio se font entendre de se concentrer un peu, d’essayer de faire que l’euphorie de la victoire d’hier ne fasse pas perdre de vue la lutte engagée. Il faut se souvenir qu’aucun membre de l’armée, qui a formellement soutenu le pouvoir aujourd’hui, ne s’est encore adressé aux groupes de l’opposition pas plus qu’aux rebelles de Tahrir. Il y a encore beaucoup de choses à changer. L’avenir de la Constitution, les deux chambres du parlement, les élections présidentielles ou l’état d’exception sont probablement les questions les plus importantes. Bien qu’il semble clair que la plupart des rebelles n’ont pas l’intention de lever le camp de la place, on peut entendre quelques discussions sur la nécessité de continuer de se battre de la même façon. La plupart de ceux qui appellent à la levée du camp sont des gens qui n’y ont pas été dormi. «Tu n’as pas ce que tu voulais ? Maintenant qu’est-ce qui manque ?», demande un homme… «Des garanties», répond un révolutionnaire cairote. Il semble donc que le camp se poursuivra jusqu’à la satisfaction des exigences de la révolution. Reste à voir comment cela va se traduire dans la pratique. Personne ne sait encore si la place va être ouverte à la circulation même si la maintenir fermée pourrait finir par créer des confrontations inutiles avec certains citoyens.
12:56 heure du Caire
Preuve que ce n’est pas fini, nous parviennent des informations de mobilisations dans la ceinture ouvrière du Caire. La plupart viennent du blogueur Hossam El Hamalawy. 5000 travailleurs de l’entreprise sucrière de Hawamdiya viennent à l’instant de se déclarer en grève. Les travailleurs temporaires de la métallurgie à Helwan ont aussi arrêté les machines. Des travailleurs des transports publics sont aussi semble-t-il en train de manifester au Caire.
15:13 heure du Caire
L’armée vient de faire une nouvelle déclaration. Ils assurent qu’ils transfèreront le pouvoir à un gouvernement civil, mais n’ont pas précisé ni quand ni comment exactement. Pendant ce temps, déclarent-ils, ils garderont le gouvernement actuel, c’est à dire les mêmes ministres qu’avait nommé Moubarak au cours de la première semaine de la rébellion. Ils disent faire cela pour ne pas paralyser le pays.
00:48 heure du Caire
Il devient très difficile, voire impossible, de décrire l’explosion de bonheur qui a accompagné la chute du régime dans le pays. Une nouvelle Égypte est née et a voulu sortir dans la rue pour le célébrer. Plus de 30 heures après que Soleiman ait mis fin à un règne de 30 années de Moubarak, on peut encore entendre les klaxons dans les rues, sous un couvre-feu toujours en vigueur et dans une partie de la ville assez éloignée du centre névralgique de cette révolution. L’Égypte est sortie faire la fête, dans les formes les plus diverses, à travers tout le pays. Elle a extériorisé une joie de construire un nouveau pays, un processus dont tout le monde est conscient qu’il sera long et difficile. Mais le premier pas a été fait et l’espoir a rempli les rues. Des milliers de jeunes ont pris des balais et des pelles et ont rendu la ville plus propre que jamais. D’autres se sont dédié à nettoyer les tanks qui avaient été recouverts, au cours de la révolte, des slogans de la révolution réclamant la chute du régime. D’autres encore ont décidé de traduire sur les murs l’optimisme que la Révolution du 25 Janvier a entraîné chez un peuple resté prostré pendant trois décennies. Musique, fête et honneur pour tous ceux qui sont tombés dans la place Tahrir, transformée pendant un jour et demi en un véritable festival.
L’information exprimée par l’armée au début de l’après-midi, assurant que les chambres du parlement seront dissoutes, que le pouvoir sera transféré à un gouvernement civil élu avec des garanties démocratiques et la fin de l’état d’urgence semble avoir convaincu la majorité de la population. Ce qui va se passer avec les manifestants de la place Tahrir est une question où il y a encore de nombreux facteurs en jeu. Alors que beaucoup ont été satisfaits des déclarations de l’armée cet après-midi et sont rentrés chez eux, d’autres disent qu’ils resteront sur la place pour «défendre la révolution», c’est-à-dire pour s’assurer qu’elle se déroulera comme convenu. Il est encore difficile de prévoir quels seront ces effets au quotidien. À ce stade, il semble assez difficile pour les manifestants de maintenir la place fermée à la circulation et en contrôlant les accès, de sorte qu’il faudra voir comment maintenir l’occupation. Certains parlent déjà de former une plateforme politique, y compris sous la forme d’un parti politique, afin d’engager des poursuites contre la corruption.
L’armée a commencé à bouger et à quitter la ville. J’imagine que cela va se faire lentement, mais il y a quelques minutes j’ai été témoin d’au moins 7 tanks en train d’être remorqués hors de la ville. Le couvre-feu, bien que très réduit, est toujours en vigueur et il faudra voir comment les policiers vont revenir dans leurs locaux après le divorce total avec la population suite aux événements du 28 janvier.
Les choses ne se sont pas calmé non plus à Suez, l’un des points les plus chauds lors du soulèvement populaire. Il semble que des grèves sont en cours dans des usines de divers secteurs, la plupart avec un arrière-fond lié à la corruption. Cela s’ajoute aussi à l’exigence populaire d’en finir avec le gouverneur de la ville, à qui il est reproché, en sus de la corruption, les crimes de sang commis au cours de la dure répression contre les manifestants. Dans d’autres grèves en cours actuellement dans le pays, l’armée a tenté d’intercéder, la plupart du temps sans succès. Les travailleurs des transports publics à Alexandrie semblent suivre les traces leur collègues du Caire et sont en grève. Des grèves ont été annoncées dans le secteur du pétrole pour demain, entre autres, en demandant de cesser de vendre du gaz à Israël.
Nous allons voir comment tout cela va évoluer. Il y a encore un long chemin à parcourir. Mais aujourd’hui nous vivons un peu plus libres. Avec la preuve évidente de la force du pouvoir du peuple.
L’armée essaie de démanteler le camp de Tahir
Dimanche 13 février 2011
12:22 heure du Caire
L’armée tente de démanteler le camp Tahrir, mais les manifestants disent qu’ils ne partiront que lorsqu’ils auront l’assurance que les promesses sont tenues. Il semble que, à l’instant, la police militaire aurait ouvert la place à la circulation. Il semble que les tentes ont également été enlevées. Diverses manifestations ont lieu dans tout le pays, la plupart pour des questions du travail, augmentations de salaires ou bien dénonciations des directions corrompues, ou les deux. La police, en dépit de sa popularité au plus bas niveau depuis la répression sévère qu’elle a exercé au début de la révolution, se manifeste dans tout le pays exigeant des augmentations de salaire. Certains appellent également à la poursuite de l’ancien ministre de l’Intérieur Habib El Adly, qui est responsable de la répression brutale exercée contre la population. Habib El Adly est également poursuivi, entre autres, pour sa participation apparemment directe dans l’attaque terroriste contre une église copte à la fin de l’année dans la ville d’Alexandrie.
14:16 heure du Caire
Il semble que des manifestations sont en train de se produire dans tout le pays. La Transition, en lettres capitales, semble avoir démarré très fort.
La grève des transports publics
Lundi 14 février 2011
Il semble que la grève des travailleurs des transports publics est une de celles qui a eu le plus de force ces derniers jours. Voici un bref résumé : 15'000 travailleurs des transports publics sont actuellement en train de manifester devant le bâtiment de la radio-télévision (dans le centre du Caire). Leurs revendications sont :
— Destitution du président du Service, Saleh Farag,
— Hausse du salaire minimum à 1200 livres (150 euros environ),
— Engagement pour le paiement immédiat de la Sécurité sociale,
— Inclusion de l’Autorité des transports publics au sein du ministère des Transports,
— Résoudre le problème de la Fédération générale des syndicats d’Égypte (le syndicat vertical du Régime),
— Augmentation de 7% des heures supplémentaires.
En dehors de ce qui s’est passé en Algérie, il apparaît également que pour la première fois il y a de l’agitation politique pour le changement à Bahreïn, en plus de celle déjà en cours depuis plusieurs jours au Yémen. Le Soudan, la Jordanie et la Mauritanie ont également connu des manifestations. En Libye des manifestations contre le régime ont également été appelées pour le 17, et dans une de ses excentricités classiques, Kadhafi a dit qu’il y participera. La Syrie, où ont échouées quelques tentatives précédemment, ou le Maroc pourrait en vivre sous peu.
Les luttes sociales continuent pendant que l’armée dissout le Parlement
Deux jours après la chute du régime, il y a des signes qui montrent clairement que la route sera longue et difficile. Un grand nombre de mouvements de lutte de travailleurs, qui ont été essentiels au moment de faire tomber le dictateur, sont en cours. Particulièrement importants pour leurs positions stratégiques semblent être ceux touchant le pétrole et le gaz. Les travailleurs des entreprises pétrolières publiques sont actuellement devant le ministère du Pétrole à Nasr City, et exigent l’amélioration des conditions de travail et l’arrêt de la vente de gaz à Israël. Un grand rassemblement s’est déroulé hier, aussi, devant le centre de communications Ramsès, au Caire et il y a eu d’autres manifestations dans plusieurs usines. Il y eu aussi des protestations de la police pour l’augmentation des salaires et exigeant même que soit jugé l’ancien ministre Habib el Adly, qu’ils rendent responsable de toute la répression.
Pour sa part, l’armée a dissous le Parlement, en assurant qu’elle se maintiendra au pouvoir jusqu’à la tenue des élections, dans une période qui pourrait durer environ 6 mois. Cela ne semble pas satisfaire les principaux défenseurs du noyau de la révolution, qui demandent également l’abrogation de l’état d’urgence. Hier, la police militaire a forcé l’ouverture de la place à la circulation et a démantelé le camp, contre l’avis des personnes présentes. Quoi qu’il en soit il y a beaucoup de mouvement politique sur la place.
Bataille à la Fédération générale des syndicats d’Égypte
Une centaine de manifestants, membres des trois seuls syndicats libres à ce jour dans le pays, a tenté hier manifester au siège de la Fédération générale des syndicats d’Égypte, la «branche ouvrière» du syndicat vertical du régime. Les manifestants demandaient la liberté d’association syndicale et l’éviction du président de la fédération, le pro-Moubarak Hussein Megawer. Ils ont essayé de pénétrer dans le bâtiment, où ils se sont heurtés à un groupe de gros bras qui les ont attaqués, causant des dégâts matériels et plusieurs blessés. Cet incident intervient dans une atmosphère remplie d’exigences de salariés qui ne cessent pas.
En fait des représentants de la «Jeunesse de la Révolution», un ensemble regroupant des révolutionnaires de la place Tahrir, ont rencontré dimanche les chefs de l’armée. Le groupe reconnaît que des progrès ont été réalisés, mais demande instamment l’adoption de 12 points jugés essentiels. Parmi ceux-ci, le plus important serait la cession d’urgence, dans les 30 jours, du pouvoir à un gouvernement civil technocrate qui ait une plus grande légitimité. Ils mettent en avant également la libération de tous les prisonniers et la fin de l’état d’urgence qui régit le pays depuis l’arrivée de Moubarak au pouvoir. Ils assurent que l’application de ces demandes calmera momentanément la situation dans le pays et surtout l’agitation dans le monde du travail.
Informations complémentaires
El-Arish
Ce sont finalement dix personnes qui auraient été tuées et 35 autres blessées vendredi dans des affrontements entre manifestants et forces de sécurité dans la ville égyptienne d’El-Arish, selon des sources de sécurité locales. Les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogène pour dissiper les manifestants qui avaient afflué dans les rues pour se joindre à la vague de contestation nationale qui réclamait le départ du président égyptien Hosni Moubarak. Les milliers de manifestants n’étaient pas satisfaits du discours qu’avait prononcé jeudi soir M. Moubarak, qui, selon eux, n’a pas répondu à leurs aspirations (afriscoop.net). Selon d’autres sources (Reuters), les manifestants auraient attaqué le poste de police avec des cocktails Molotov pour libérer les prisonniers. Les mouvements sociaux touchent tous les secteurs.
Le Caire
Tarek Amer, président de la banque d’État National Bank of Egypt, la principale banque commerciale du pays, a été contraint de démissionner dimanche après que 2000 employés en colère l’aient empêché d’atteindre son bureau. Le nombre d’employés mobilisés n’a cessé de croître tout au long de la journée. Un peu plus loin, même scène devant la Bank Misr, second établissement du pays. En tête des revendications : la démission des membres du conseil d’administration. «Ils ont embauché la nièce de l’ancien Premier ministre Nazif comme conseiller média auprès du président. Elle gagne 200'000 livres par mois [env. 25'000 euros]. Elle est dentiste. Qu’est-ce qu’un dentiste peut conseiller dans une banque ?» interroge un directeur de succursale parmi les manifestants (Ahram Online). Du coup, les bureaux de la Banque centrale d’Égypte sont restés fermés. Tout comme la Bourse. La télévision a annoncé que la Banque centrale resterait fermée jusqu’à jeudi à cause des grèves dans le secteur bancaire.
Au Caire, des milliers de fonctionnaires se sont mis en grève et ont manifesté à plusieurs reprises, tandis que les grèves se poursuivent ailleurs, notamment chez les dockers de Suez (où le gouverneur de la ville est en fuite) et de Port Saïd.
Les employés du ministère de l’Éducation, de même que ceux de l’Autorité des services vétérinaires, sont en grève et demandent la démission de leur directeur ainsi que des augmentations de salaires.
Le personnel du ministère du Travail a également protesté pour exiger le départ de la ministre Aïcha Abdel Hadi, membre du parti de Moubarak, tandis que les fonctionnaires de l’Organisation gouvernementale de la Jeunesse et des Sports manifestaient sur la place Tahrir.
Des centaines de conducteurs d’ambulances se sont également rassemblés sur l’autre rive du Nil avec des revendications similaires. Les archéologues et les journalistes étaient aussi dans la rue, dans des manifestations séparées. La différence de salaires entre la direction et les employés est l’un des principaux thèmes soulevés par les grévistes. Les travailleurs demandent en outre une couverture médicale et leur titularisation.
Au Caire, plusieurs centaines de travailleurs ont manifesté devant la Fédération des travailleurs égyptiens, syndicat vertical contrôlé par l’État, pour exiger la démission de son président Hussein Megawer, très impopulaire, ainsi que les membres de son conseil d’administration, accusés de complicité avec le régime de Moubarak et de corruption.
Les travailleurs de l’industrie touristique ont organisé lundi une manifestation devant l’entrée de la Grande Pyramide. Environ 150 salariés (dont beaucoup de guides) se sont rassemblés sur le plateau de Gizeh, en dehors du Caire, pour exiger des augmentations de salaires et aussi pour appeler les touristes à revenir en Égypte.
Un mouvement de grève affecte aussi la compagnie aérienne nationale EgyptAir, qui a programmé seulement 31 vols internationaux et 12 dessertes intérieures ce lundi, contre au total 145 liaisons quotidiennes. L’agence officielle Mena a fait état de manifestations dans d’autres villes, dont Assouan (sud) et Alexandrie (nord).
Les travailleurs chargés du nettoyage d’un tunnel routier très important du Caire ont dressé des barricades à l’entrée et réclament comme partout, des augmentations de salaire, des contrats en fixe (certains ont des contrats temporaires depuis onze ans), une assurance-maladie.
La direction de la Arafa Holding, le plus grand exportateur de vêtements d’Égypte, a décidé de fermer ses usines de Ramadan City jusqu’au 17 février en raison de la grève de ses usines situées à la périphérie du Caire regroupant 6000 travailleurs.
À Alexandrie, deuxième ville du pays, des milliers de travailleurs du secteur bancaire, des hôpitaux, des magasins d’État et de l’industrie étaient en grève pour la troisième journée consécutive.
À Kerdassa, au sud de la capitale, plus de 5.000 ouvriers d’une grande entreprise textile ont entamé un sit-in pour réclamer de meilleures conditions de travail et réclamer des contrats permanents et non plus provisoires.
À Assiout plusieurs entreprises, cimenterie (4000 travailleurs de l’Assiut Cement Company), chimie (2000 de l’Assiut Fertilizer Factory) ont organisé des sit-in et sont en grève pour des salaires plus élevés et des contrats fixes.
Pétrochimie, textile, aluminium, raffinage du sucre, postiers… les mouvements de lutte et de grève se poursuivent depuis maintenant trois jours… ce qui n’est pas vraiment ce que la junte militaire au pouvoir peut accepter longtemps.
L’armée contre les grèves
Le Conseil suprême des forces armées, au pouvoir en Égypte, a critiqué lundi ces grèves. Dans un «communiqué numéro 5» diffusé par la télévision publique, les militaires soulignent que «les nobles Égyptiens voient que ces grèves, dans cette période délicate, produisent des résultats négatifs». L’armée «appelle les citoyens, les organisations professionnelles et les syndicats à jouer pleinement leur rôle». «À présent, tous les citoyens doivent conjuguer leurs efforts pour garantir la sécurité de la patrie», a indiqué l’armée.
Selon les militaires, les grèves et les actions de protestation dégénèrent souvent en désordres qui portent atteinte à la sécurité nationale et privent les autorités de la capacité d’approvisionner les citoyens en biens de première nécessité.
«Le Conseil suprême des forces armées appelle les citoyens et les syndicats à assumer leur rôle, chacun à sa place. Nous espérons que tout le monde participera à la création d’un climat propice à la gestion des affaires du pays jusqu’à ce qu’elle soit remise au pouvoir civil, élu par le peuple», dit la déclaration.
L’armée a prévenu que les actions de protestation entravent la vie quotidienne des Égyptiens et «portent atteinte à l’économie nationale».
Armée égyptienne, armée du peuple ?
L’armée égyptienne qui a pris le contrôle de l’appareil d’État, se veut le garant de la transition démocratique de l’après-Moubarak.
Mais cette armée n’est pas seulement une structure essentielle du pouvoir politique depuis un demi-siècle, un appareil militaire, une institution représentative et symbolique de la nation et de l’État. Elle est aussi devenue une véritable puissance économique, sans doute la première du pays, représentant la majeure partie de ce qui reste du capitalisme d’État hérité de l’ère nassérienne, nationaliste et socialisante. Contrôlant à l’origine une industrie d’armement naissante à l’époque de Nasser (1954-1970), comportant une vingtaine d’unités de production de blindés, de munitions…, l’armée égyptienne a diversifié ses activités depuis la paix signée avec Israël en 1978. Accords de paix (dits de Camp David) qui lui ont en outre garanti une subvention étatsunienne annuelle de 1,3 milliard de dollars.
Les hauts dignitaires de l’institution militaire ont pu ainsi acquérir des intérêts dans divers secteurs civils, l’industrie du ciment, l’hôtellerie, la construction, l’immobilier, le pétrole, les eaux minérales, l’industrie alimentaire (conserveries), l’huile d’olive… Comme en Turquie, en Algérie, et dans beaucoup d’autres pays, il existe un complexe militaro-industriel puissant, contrôlant aussi l’import-export et se rémunérant sur les transactions commerciales les plus juteuses. Complètement opaque, cette économie est évaluée par certains à environ 25% du PIB.
Si Moubarak et sa clique ont été virés par la rue — mais aussi grâce au rôle décisif de l’armée — il est clair que cette «bourgeoisie-militaire» entend maintenir le cadre général dans lequel évolue la société égyptienne : sans doute prête à accepter certaines réformes répondant à l’effondrement du régime précédent, elle acceptera d’autant plus des réformes que ses intérêts et privilèges ne seront pas menacés.
La poursuite des grèves et des mouvements de rébellion dans tous les secteurs et de la part de toutes les figures sociales (ouvriers, paysans, fonctionnaires, mal-logés, chômeurs, prolétaires des ateliers de l’économie informelle, femmes de toutes ces catégories…) ne peut que se heurter à la clique des généraux qui, non contents de contrôler une partie de l’économie, se sont emparés directement des pouvoirs de l’État. Les illusions du type «l’armée et le peuple, c’est pareil», si, bien sûr, il est fait une distinction entre les conscrits et les généraux, ne devraient pas résister longtemps à l’épreuve des faits.
L’activité — et les mouvements sociaux qui vont avec — sont suspendus ce mardi, jour férié marquant l’anniversaire de la naissance du prophète Mahomet.
Mais rien n’indique qu’ils ne reprendront pas dès le lendemain.
La «Coalition de la Jeunesse Révolutionnaire» a appelé à une marche de la victoire vendredi prochain dans tout le pays pour maintenir une sorte de pression sur l’armée.
Le 15 février 2011
À suivre…
P.-S. : Source Egiptebarricada, et autres informations.
Organisation Communiste Libertaire, 16 février.
Le chaudron de la révolte
Egypt’s Cauldron of Revolt
It was striking workers that first inspired the Egyptian uprising. And they're still at it.
In the sprawling factories of El-Mahalla el-Kubra, a gritty, industrial town a few hours' drive north of Cairo, lies what many say is the heart of the Egyptian revolution. “This is our Sidi Bouzid,” says Muhammad Marai, a labor activist, referring to the town in Tunisia where a frustrated street vendor set himself on fire, sparking the revolution there.
Indeed, the roots of the mass uprising that swept dictator Hosni Mubarak from power lie in the central role this dust-swept company town played years ago in sparking workers' strikes and grassroots movements countrywide. And it is the symbolic core of the latest shift in the revolution: a wave of strikes meant to tackle social and economic inequities, which has brought parts of Egypt to a standstill.
Here in Mahalla's smog-beaten, faded yellow factories and textile mills, a series of workers' strikes demanding better pay and benefits erupted in 2006. The actions, in a country where large demonstrations were rare and independent labor organizing remains illegal, galvanized a youth movement that played a key role in eventually toppling Mubarak.
More than 24,000 workers at dozens of state-owned and private textile mills, in particular the mammoth Egypt Spinning and Weaving plant, went on strike and occupied factories for six days in 2006, winning a pay raise and some health benefits. Similar actions took place in 2007.
Then, on April 6, 2008, thousands joined protesting workers in one of the town's central squares, a frenetic array of vegetable stalls and shouting street vendors. “At first, there were only a few of us,” said Marai. “We chanted ‘Down, down with Hosni Mubarak!’ and people started joining us.”
Within hours, the protest had grown to thousands and riveted the country. Incredibly, demonstrators pulled down a poster of Mubarak and stomped on it; some clashed with the police and torched vehicles. Such images had not been seen in Egypt for almost 30 years and shook the government to its core, according to former officials.
The workers immediately won concessions — as they had in the strikes of 2006 and 2007 — including bonuses and pay hikes. The success spawned a Facebook group, the April 6 Youth Movement, which has played a prominent part in the current uprising, and inspired a strike wave over the next two years.
“After Mahalla in 2008, the first weaknesses in the regime appeared,” says Gamal Eid of the Arabic Network for Human Rights Information. “Nothing was the same in Egypt after that.”
Perhaps most importantly, the Mahalla strikes birthed a new opposition movement as socialists, left-wing lawyers, and Internet activists forged lasting links with labor leaders and facilitated connections between factories. The U.S. Embassy observed at the time that “in Mahalla, a new organic opposition force bubbled to the surface, defying current political labels, and apparently not affiliated with the [Muslim Brotherhood]. This may require the government to change its script,” according to a classified document released by WikiLeaks.
In recent weeks, Mahalla workers joined a nationwide general strike that started on Feb. 9 and likely tilted momentum in favor of the Tahrir Square protesters and hastened Mubarak's fall two days later. “The workers have tremendous power to change society,” says Kamal al-Fayumi, a labor leader who works at a power station and has been imprisoned a number of times for his activities. “When we entered the picture, it signaled the end for Mubarak.”
Once a symbol of the grandeur and vision of the country's economic nationalism, Mahalla was home to the first fully Egyptian-owned enterprise, the Egypt Spinning and Weaving plant, established in the 1930s. By the 1960s, the plant was the largest factory in the Middle East, employing tens of thousands.
But under Mubarak, a large number of state firms were privatized, including some in Mahalla, pushing thousands into relative job insecurity. And many state subsidies were slashed — food subsidies alone dropped by more than half during his rule.
After 2004, these changes accelerated with the appointment of a “reform cabinet” of business tycoons who pushed further liberalization of the economy along IMF-suggested lines. On the one hand, this produced robust growth rates and attracted investment; on the other it fostered official corruption and exacerbated woes for the poor, who faced soaring inflation and food prices.
By 2008, the U.S. Embassy was noting that the “fundamental unspoken Egyptians [sic] social pact — the peoples' obeisance in exchange for a modest but government-guaranteed standard of living — is under stress,” according to the document leaked by WikiLeaks.
Many in Mahalla say the reforms have put tremendous pressure on them. “I have five children and I can barely survive,” says Khala Muhammad, a striking worker. “I can't afford even basic things.”
Fayumi, who works at the power station, says he and his colleagues work double shifts or two jobs to make ends meet. He works from 7 a.m. to 12 a.m. every day and still finds it difficult to pay the rent.
Wages have not kept pace with rising staple prices. According to official statistics, the average base salary for employees in Mahalla is about $100 a month, a derisory sum that is nonetheless more than in many other towns, thanks to the previous strikes. Elsewhere, this could be as low as $50 a month.
Such pressures have fueled widespread labor actions across the country, buoyed by the anti-Mubarak protests and growing since his departure. There have been work stoppages and protests in government banks, the oil and gas ministry, the transportation sector, the telecommunications ministry, the health ministry and more, in dozens of cities across the country.
Many of the strikers are state employees or workers in public-sector factories who are concerned about privatization. “Privatization would make us like temporary workers who can be fired on whim,” says Yasser Ishaq Ahmed, who is on strike from Elegikt, a state-owned electricity company.
Most are also demanding raising (and enforcing) the minimum wage. “How can I support my children? I make 400 pounds a month,” about $65, he says. “All of the workers in the company make 135,000 pounds per month combined, but the CEO alone makes 180,000.”
A number of strikes have already won some or all of their demands, most notably at the Tawfiq al-Nour department store chain, when 5,000 employees from around the country descended on Cairo to demand shorter working hours and benefits. Strikers won a 12-hour day (down from 16) and a sizable pay raise.
The spread of strikes in the wake of Mubarak's resignation has alarmed Egyptian officials. On Feb. 14, citing economic instability, the Army urged strikers to “go back to work,” in what many took to be a thinly veiled threat. On state TV and radio the striking workers have been repeatedly denounced as selfish and upsetting the economy, even while the protesters who were in Tahrir are now praised.
But the two groups are not so easily separated — thousands of workers joined the demonstrations in Tahrir, and many say the political space provided by Mubarak's fall has emboldened them to strike. “This is the time to act. We want an overthrow of this whole system, not just the removal of one person,” says a labor leader from Mahalla, speaking on the condition of anonymity.
Still, labor organizers say they take the Army's threats seriously — the memory of a pair of striking workers hanged by the new government following the 1952 revolution, which brought Gamal Abdel Nasser to power, has not faded. And as economic instability continues, they risk losing the urban middle-class allies that helped make the revolution possible. “Dear Egyptians, go back to your work on Sunday,” tweeted Wael Ghonim, a Google marketing executive whose account of his detention by Egyptian security services galvanized protesters. “Work like never before and help Egypt become a developed country.”
In Mahalla's crowded coffee shops, where the air is thick with shisha smoke and the tea served in dirty glasses, labor activists are debating and planning their next move. Ironically, while the rest of the country is engulfed in labor unrest, there have been no strikes in Mahalla this week.
Instead, workers here are planning the launch of an independent labor union, a rarity in a country where most unions are tied to the state. Some see this as a move with clear political implications. “When you are fighting a state-controlled union, that is inherently a political demand, not just an economic one,” says Marai, the Mahalla labor activist.
In fact, many of the strikes assert political and economic demands simultaneously, in part because the CEOs of many firms are tied to the Mubarak regime. And with a few exceptions, such as steel magnate and National Democratic Party kingpin Ahmed Ezz, those CEOs are still in positions of power.
“A lot of us here in Mahalla are talking about democracy and political freedom alongside better wages and living conditions,” says Marai. “Some people felt that our mission was accomplished after Mubarak fell, but I think our revolution is just beginning.”
Leur presse (Anand Gopal,
Foreign Policy), 16 février.