Lutte contre l'exploitation minière aux Philippines : Une résistance sans fin

Publié le par la Rédaction

La lutte contre l’exploitation minière dans le barangay d’Anislagan - Placer - Surigao del Norte aux Philippines : Une résistance sans fin

 

Anislagan, qui s’étend sur une superficie totale de 841,24 hectares et dont le paysage court de la plaine à la montagne en passant par un relief vallonné, s’inscrit dans le bassin versant de Placer. Sa population totale compte 1392 habitants (répartis en 319 familles) dont la plupart sont des cultivateurs produisant principalement de la noix de coco, du riz et de la banane. Dans les années 1980, Anislagan a été frappé gravement par le typhon Lilang, qui a dévasté jusqu’au moindre moyen de subsistance et toute propriété, contraignant les habitants à se rabattre sur l’orpaiillage pour nourrir leurs familles.

 

Depuis, rien n’avait empêché les habitants de retourner à leur gagne-pain, jusqu’à l’arrivée de la MMC (Manila Mining Corporation) en 2000. Au mois d’août de cette année-là, la MMC a mené une mission sanitaire dans le barangay. Des photos ont été prises, pendant qu’on faisait signer les habitants qui comptaient sur les services médicaux. Le mois suivant, la MMC revenait pour convoquer une réunion publique au cours de laquelle les représentants de la companie informaient les habitants que leur société allait entreprendre la prospection minière des montagnes d’Anislagan. Malgré l’opposition manifestée par les habitants, il leur fut rétorqué que les projets miniers se feraient de toutes façons. Dans la foulée les habitants pétitionnaient auprès du maire de la commune et des autres autorités concernées (DENR, Bureau des mines et des géosciences [MGB], ministère de l’Agriculture).

 

Une rencontre de la MMC avec les membres du Conseil du barangay a eu lieu le 24 février 2001. Au cours de cette réunion, les représentants de la compagnie avertissaient les conseillers qu’étant d’ores et déjà en possession d’une autorisation délivrée par le Bureau des mines, les travaux de prospection allaient commencer. Les habitants répliquèrent aussitôt en organisant un barrage sur la grand’route menant à Sitio Payao, le site prévu pour les opérations étaient prévues. Cette action s’est poursuivie jusqu’en avril, obligeant la compagnie à convoquer une autre rencontre avec la population du barangay. Cependant, cette réunion a été un fiasco : plutôt que d’y assister, les habitants érigèrent une barricade et fermèrent le bâtiment polyvalent pour en défendre l’accès aux représentants de la compagnie. 

 

En dépit de la résistance de la population locale, la compagnie a continué l’exploration minière dans la zone. Ses employés prélevaient discrètement des échantillons et établirent un campement sur le site visé. Quand les habitants eurent vent des activités de la compagnie, et face au refus de déguerpir de la part des ouvriers, une assemblée générale, tenue le 26 septembre 2001, examina un plan d’action à la mesure de la situation. C’est lors de cette réunion que les habitants constituèrent l’ABAKATAF, élisant comme président Gay Reveche, un prêtre de l’Église unifiée du Christ aux Philippines - United Church of Christ in the Philippines (UCCP) à Anislagan. L’équipement minier, confisqué conformément à la décision de cette assemblée, a été stocké dans la salle du barangay. La compagnie répliqua en déposant plainte contre plusieurs meneurs de l’ABAKATAF — le tribunal se refusera à trancher entre les intérêts des deux parties en conflit. Quand débutèrent les opérations de forage, les habitants mirent en place un nouveau barrage, sur lequel des membres des Églises catholique (UCCP) et pentecôtiste vinrent en soutien, ce qui permit aussi à l’ABAKATAF de nouer des liens avec le Centre d’action socio-pastoral œcuménique de Caraga - Caraga Ecumenical Socio-Pastoral Action Centre (CESPAC), avec le LRC-KSK ainsi qu’avec d’autres centres sociaux du Surigao du Nord.

Avec la décision de statu quo judiciaire, la compagnie poursuivit la prospection. Le barrage des habitants tint six mois durant, pendant lesquels le LRC-KSK et le CESPAC menèrent une action éducative auprès des participants. Le barrage interdisait l’accès aux ouvriers qui amenaient l’équipement de forage avec le concours de la police de la ville de Butuan. Malgré cela, la compagnie trouva le moyen de construire les infrastructures sur le site. Afin d’amadouer la population, elle mit aussi en branle un Centre de relation et de développement du barangay - Barangay Development Relationship Centre sensé fournir de quoi subvenir aux besoins des habitants. Seule une poignée d’habitants pro-mine ayant recours à ces services, le centre ne tarda pas à fermer. Pendant ce temps, la tension grandissante dans la région amena le
barangay de Sangguniang à ouvrir une enquête.

En août 2002, alors que les ouvriers de la MMC, escortés par neuf policiers, tentaient d’accéder à la carrière via le barangay voisin de Makalaya, ils se heurtèrent au barrage tenu conjointement par les habitants d’Anislagan et de Makalaya et soutenu par les religieux. Les ouvriers exaspérés détruisirent les pancartes des barricadiers, mais la tentative policière de procéder à des arrestations fut mise en échec. Les ouvriers revinrent le même jour, accompagnés du juriste de la compagnie et d’une escouade d’agents de sécurité. Le juriste essaya de parlementer, pour se voir opposer fermement par les habitants leur refus que la compagnie poursuive la prospection. Malgré une mise en demeure du tribunal local rendue le 21 août, le barrage fut maintenu par les habitants. Le lendemain, la police enleva les panneaux.

Un jour de septembre 2002 à 2 heures du matin, les habitants furent réveillés par la cloche de l’église, puis marchèrent sur deux véhicules transportant les ouvriers et l’équipement de la mine. Les véhicles traversèrent Anislagan en trombe. Au lieu de se rendre à la mine, les ouvriers se réfugièrent auprès de la police locale du barangay de Silop. Là, leur séquestration dura cinq jours, et ce n’est que sur l’insistance des religieux que les habitants acceptèrent de leur fournir des repas. Le dialogue entre les deux parties renoué, il n’aboutit pas, chacun campant sur ses positions : d’un côté la compagnie arguant de la validité de sa concession, de l’autre les habitants faisant valoir le refus méprisant de la compagnie de se conformer à leur accord nécessaire. Deuxième jugement de statu quo.

Le 10 octobre 2002, l
es habitants, ayant établi un nouveau barrage pour empêcher l’accès à la mine, se rendirent à la carrière et se retrouvèrent face à 200 ouvriers qui étaient passés par le barangay de Makalaya. Une bataille rangée s’ensuivit, modérée par l’arrivée de la police — ce qui n’empêcha pas le matériel de la compagnie de partir en fumée. Le ledemain, les habitants revinrent à la carrière exiger le dépat des ouvriers. La police rappliqua, mais les ouvriers refusèrent de partir. Les habitants incendièrent le camp. Après quoi le directeur régional du Bureau des mines et des géosciences (MGB) se pointa, avec une autre équipe à même d’établir un dialogue, sans succès — les habitants, n’étant pas dupes, ayant perdu confiance dans l’agence.

Anislagan fut alors déclarée «zone rouge» (Communist Party of the Philippines - National Democratic Front - CPP-NDF) / NPA influenced area) afin de châtier la vigilance et l’opposition de ses habitants. Concrètement, l’armée déploya son 20e Bataillon d’Infanterie dans le barangay le 10 décembre 2003, soit-disant en tant que mesure countre-insurrectionnelle. Cette unité fut déplacée et redéployée à Leyte lorsqu’un de ses soldats tua un habitant après une beuverie.

Outre la MMC, la Silangan Mindanao Mining Corporation, Incorporated, qui découvrit des gisements aurifères à Boyongan, un barangay voisin d’Anislagan, a tenté d’obtenir le droit de passage de la part de l’Estela Odtojan, le capitaine du barangay — sans succès. Le 28 janvier 2005, le conseil du barangay d’Anislagan émettait une motion demandant au Bureau des mines de ne pas renouveler la concession accordée à la MMC et aux autres compagnies minières.

Bien que l’opposition sans faille de la population d’Anislagan ait fini par contraindre la MMC à mettre fin à ses travaux de prospection à la mi-2004, les habitants avaient plusieurs raisons de ne pas dire merci. Premièrement, la compagnie avait complètement méprisé leur situation, restant sourde à leurs interpellations. Deuxièmement, la compagnie avait intimidé les habitants en déposant pas moins de 18 plaintes au pénal et au civil, plaçant même le pasteur Gray, leader du mouvement anti-mine, sous filature. Troisièmement, la compagnie avait monnayé le soutien de plusieurs chefs de barangay ; d’où l’élection d’une nouvelle brochette dirigeante à profession de foi anti-mine en 2002. Quatrièmement enfin, le spectre de la mort et de la destruction continue d’hanter la population locale : les dégâts tant environnementaux que socio-économiques dus au désastre des trois carrières de la MMC entre 1995 et 2000 près de la ville de Placer à Anislagan.

La constitution de l’ABAKATAF, la succession des mobilisations menées et les agissements de la MMC renforcèrent la coopération et l’unité de la population locale. Il a fallu combattre — avec l’aide des barangay voisines et de leurs centres sociaux (
LRC-KSK, CESPAC, KASAMA-KA, ainsi que le diocèse de la ville de Surigao) — les procédures judiciaires lancées par la compagnie. À l’heure actuelle, les membres de l’ABAKATAF continuent leur vigilance, afin de protéger leurs vies, leur environnement et leurs sources de subsistance. Les meneurs pensent que, face aux offensives de la MMC et des autres compagnies minières, il est essentiel de poursuivre l’action selon une stratégie adéquate.


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Traduit de l’anglais (courriel du 31 mai) par nos soins.



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ANTI-MINING STRUGGLE IN BRGY. ANISLAGAN PLACER SURIGAO DEL NORTE, PHILIPPINES (A View of Endless Resistance)

Anislagan, characterized by plain, rolling to hilly and mountainous terrain, with a total land area of 841.24 hectares forms part of the watershed area of Placer. Its total population is 1,392 persons (around 319 households). Majority of the residents are farmers, mainly producing coconut, rice and banana. Anislagan was severely hit by typhoon Lilang in 1980’s, which practically destroyed livelihood and property. This forced the residents to engage in gold panning along the river to feed their families.

The residents went on with their livelihood activities, unhampered, until MMC (Manila Mining Corporation) entered the community in 2000. In August 2000, MMC conducted a medical mission in the Barangay. Pictures were taken, and signatures were obtained from the residents who availed of the medical services provided. The following month, MMC came back and called for an Assembly. The company’s representatives informed the residents that the company would undertake mineral exploration in the mountains of Anislagan but the residents would not support. The former retorted that they would go on despite the opposition of the local people. This prompted the residents to send petition letters to the office of the Municipal Mayor, DENR, MGB, and Department of Agriculture.

 

On February 24, 2001, MMC met with the members of the Barangay Council. In the meeting, they informed the council members that they would go on with the exploration since they already have a permit from the MGB. Thereafter, the residents held a picket on the highway that leads to Sitio Payao, the target site for mining exploration. This action lasted until the month of April 2001. This forced the mining company to conduct another consultation with the people in the Barangay. The meeting however was a failure. Instead of attending the meeting, the residents formed a barricade and locked up the multipurpose building to prevent the company’s representatives from entering the venue.

Notwithstanding the resistance of the local people, the company continued its mining exploration in the area. Its personnel discreetly took samples and put up a camp in the target site. When the residents learnt about the company’s activities, the local people requested the workers to vacate the site. But the latter refused to leave. This had moved the residents to hold a general assembly meeting on September 26, 2001 to discuss appropriate actions on the company’s refusal to heed their appeals. In the said meeting, the residents formed ABAKATAF with Gay Reveche, a United Church of Christ in the Philippines (UCCP) pastor assigned in Anislagan, as the first elected president. They have also decided to confiscate the mining equipment of the company and had them kept at the Barangay Hall. The company responded by filing a case against several leaders of ABAKATAF. It also went on with its drilling operation. This annoyed the residents who immediately staged another picket. In effect, the court issued a status quo order to the two conflicting parties. Meanwhile, the picket drew support from members of the Catholic and protestant churches (UCCP and Pentecostal) and linked for ABAKATAF with Caraga Ecumenical Socio-Pastoral Action Centre (CESPAC), LRC-KSK and other CSO’s in Surigao Del Norte.

With the issuance of the status quo, the company continued its mining exploration. The residents responded by staging another picket that lasted for six months. During the picket, LRC-KSK and CESPAC conducted education sessions among the participants. This picket prevented the entry of the company’s workers who carried with them drilling equipment with the support of police forces from Butuan City. Despite the people’s action, the company still manage to establish camp in the mining site. To soften anti-mining sentiments, it also put up a Barangay Development Relationship Centre that provides livelihood support to the local people. Yet, only a handful of residents who are pro-mining availed of its services. The Centre eventually closed. Meanwhile, the heightened tension in the area compelled the Sangguniang Barangay to investigate the case.

In August 2002, MMC workers accompanied by nine policemen, tried again to enter the mining site via Barangay Makalaya, a neighbouring barangay of Anislagan. The human barricade staged by a combined force of the residents of Anislagan and Makalaya and their supporters notably priests, nuns, and other members of the religious groups thwarted their plan. Exasperated, the company’s workers destroyed the streamers of the picketers. Before they left, the police attempted to arrest some of the residents but the picketers held their ground. That day, the workers came back with the company’s legal officer and a handful of bodyguards. The legal officer attempted to negotiate, but the local people stood firm on their position to disallow the company from pursuing its mining exploration. A temporary restraining order was issued by the local court on 21 August 2002, but the residents went on with their picket. Police forces came and took the streamers on the next day.

At 2’oclock in the morning of September 2002, the residents woke up to the ringing of the church bell and converged thereafter to go after the two vehicle’s loaded with company’s workers and drilling equipment. These vehicles swiftly passed by the center of Anislagan. Instead of proceeding to the site, the workers made a stopover at the house of a Tanod, local security force of Barangay Silop. They were then held up for five days, and the local people refused entry of the food delivered for the workers. Upon the prodding of the priests and nuns, the residents allowed the workers to accept the food for delivery. This prompted the Sangguniang Bayan to facilitate a dialogue between the conflicting parties. The dialogue failed because both parties maintain their position. While the company argued the legality of its mining permit, the resident’s cited the company’s non compliance with the required community approval and its refusal to heed the appeals of the local people. After this, another status quo order was issued.

In 10 October 2002, the residents held another barricade to prevent entry to the company’s vehicle. They also went to the mining site where they met 200 workers who manage to enter through Barangay Makalaya. A confrontation soon ensued but the arrival of the police forces prevented the situation from worsening. The residents where furious at the blatant disrespect shown by the MMC. At the height of the confrontation, the residents set fire to the company’s equipment. The next day, the residents went to the drilling site and asked the workers to vacate the place. Police forces came, but, the workers refused to leave. This prompted the residents to set fire to the camp. Thereafter the MGB Regional Director arrived, along with other staff, to facilitate a dialogue, albeit without success. The residents had lost their confidence in the MGB; hence, they suspected the intention of the agency.

Anislagan was then branded a “red zone” (Communist Party of the Philippines- National Democratic Front- CPP-NDF)/ NPA influenced area) due to the vigilance and opposition of the residents. In effect, the military deployed its 20th Infantry Batallion in the Baranagay on 10 December 2003 supposedly as a counter-insurgency measure. This unit was pulled out and deployed to Leyte when one of its members killed a resident after drinking session.

Apart from MMC, Silangan Mindanao Mining Corporation, Incorporated (Silangan), which discovered gold deposits in Boyongan, a neighbouring barangay of Anislagan, attempted to get the consent of the Estela Odtojan, the Barangay Captain, to use the barangay in going to and from its Boyongan project. Odtojan denied the request. On 28 January 2005, the Barangay Council of Anislagan passed a resolution asking the MGB to deny the application for the renewal of the exploration permit of the MMC and other mining companies.

The strong opposition of the people in Anislagan forced the MMC to stop its mining exploration in mid-2004. The residents refused to accede for several reasons. First, the company completely disregarded their position and had been unrelenting to their appeals. Second, it attempted to harass and intimidate the residents by filing 18 criminal and civil cases and undertaking surveillance on their leader (Pastor Gay). Third, the company obtained the support of several barangay leaders by giving out financial support. This prompted the residents to elect a new set of leaders with an anti-mining stance in the 2002 Barangay elections. Fourth and last, the spectre of death and destruction continues to haunt the local people. Clearly, the environment and socio-economic damages resulting from the collapse of three tailing dams between 1995 and 2000 within the MMCs mine site near the town centre of Placer provide set back the company’s expansion project in Anislagan.

The formation of ABAKATAF, the series of mobilizations carried out by the members and the actions of the MMC strengthened the cooperation and unity of the local people.  There were concerted efforts among the residents in thwarting the series of cases filed them by the company. This was made possible with support from the neighbouring barangays and CSO’s, e.g., LRC-KSK, CESPAC, KASAMA-KA, and Diocese of Surigao City. Presently, ABAKATAF members continue their vigilance, intent on protecting their lives, their environment, and their livelihood. Their leaders believe that there is a need to sustain the actions using effective strategies to counter the offensives of MMC and other mining companies.

 

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Publié dans Terre et environnement

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