Loi anti-casseurs
Cent dix personnes interpellés pour un tir de fusée dans une manifestation
Cent dix personnes ont été interpellées lors d’un rassemblement anticarcéral relativement confidentiel aux abords de la prison de la Santé, dimanche 28 mars à Paris, après que l’un des participants a procédé à un tir de fusée de détresse. Le rassemblement, qui avait été autorisé par la préfecture, devait partir vers 15 heures de la place Denfert-Rochereau et arriver aux abords de la prison, pour un mini-concert du rappeur La K-Bine, selon le tract des organisateurs.
Organisée par des collectifs anticarcéraux, cette «marche contre l’enfermement et en solidarité avec les personnes incarcérées à la prison de la Santé» aurait réuni environ deux cents personnes. C’est donc plus de la moitié du cortège qui a été arrêtée — avec cinquante-sept gardes à vue —, dans le cadre de la loi du 2 mars 2010, dite loi sur les bandes. Selon l’article 222-14 du code pénal modifié, «le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15'000 d’euros d’amende».
«Ratisser large»
C’est la première fois que la loi sur les bandes est appliquée dans le cadre d’une manifestation. À l’origine, ce texte avait été présenté comme un outil pour «l’éradication des bandes de racailles, qui prennent toujours pour cible les plus fragiles de nos concitoyens dans les quartiers les plus populaires», selon les mots du porte-parole du gouvernement, Frédéric Lefebvre. Mais de nombreux juristes y voyaient un retour de la loi «anti-casseurs», abrogée en 1981 par le PS.
Pour Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), les arrestations de dimanche illustrent le fait que «cette loi permet de ratisser large dans les manifestants en leur imputant un phénomène de bande». Il estime qu’il est encore trop tôt pour évaluer l’effectivité du texte et ses dangers : «Il va falloir attendre quel sort les magistrats donneront à toutes ces gardes à vue. Mais même s’il s’avère que la majorité des manifestants ne sont pas poursuivis, ça fera beaucoup de gardes à vue. On pourra alors se poser la question de la pertinence de cette loi et de ses conséquences sur les libertés individuelles.» Ironie de l’histoire, les manifestants défilaient, entre autres choses, contre les gardes à vue abusives.
Interrogée par Le Monde.fr, la préfecture détaille les faits qui sont reprochés aux manifestants : «Une fusée de détresse marine a été tirée par un manifestant vers la vitre d’un appartement, et d’autres avaient enfilé des cagoules.» Les cinquante-sept manifestants placés en garde à vue et ont passé la nuit dans trois commissariats de la capitale. Selon le parquet, dix d’entre eux étaient toujours retenus au poste mardi.
«Aucune violence significative»
Sur le site alternatif Indymédia, un participant raconte le déroulement de la manifestation, convaincu que les arrestations étaient «planifiées» au vu de l’importance du dispositif policier déployé. «La musique est à fond, quelques slogans sont lancés, mais finalement, vu de l’extérieur, ça semble franchement dérisoire, même pas sûr que les prisonniers entendent. Deux fusées de détresse sont tirées en direction de la prison, dont une qui finit sa course dans un immeuble, peut-être l’un des délits qui servira de prétexte […]. Les cordons de CRS s’installent tranquillement, d’abord derrière, empêchant toute retraite, puis sur les côtés. Incrédules, la plupart des gens ne réagissent pas, la manif est déclarée, rien ne laisse présager une interpellation […] ; rapidement, le malaise s’installe […]. Les CRS finissent le boulot, resserrant de plus en plus l’étreinte, ils embarquent les militants un par un dans les cars stationnés non loin.»
Ce récit est confirmé par SUD-Étudiant, dont deux militantes ont également été arrêtées. Le syndicat, qui dénonce une «opération policière proprement scandaleuse», affirme qu’il n’y a eu «aucune violence significative» de la part des manifestants et précise que le chanteur La K-Bine fait partie des personnes emmenées au poste. «Encore une fois, la réaction des autorités quant aux revendications exprimées longuement par une grande partie du mouvement social contre la politique carcérale française est la répression», déplore le syndicat.
Leur presse (Soren Seelow, Le Monde), 28 mars 2010.