Leur presse sur le procès de trois manifestants du 31 janvier 2009
Nota Bene : Ce «compte-rendu» a été commenté par Claude Guillon, sous le titre «Robespierre ? Un tondeur de femmes !»
Tarnac : l’engagement en procès
Hier [mercredi 1er décembre], trois participants aux manifestations de soutien à Julien Coupat, en janvier 2009, ont été jugés à Paris.
«Vous avez tous les trois une forme de philosophie de l’engagement […]. Jusqu’où va votre philosophie de l’engagement ?» Les trois prévenus questionnés hier par une juge de la Xe chambre correctionnelle de Paris ont participé à la manifestation du 31 janvier 2009, à l’appel des comités de soutien aux inculpés de Tarnac. Âgés de 25 à 32 ans, ils répondent de «violences en réunion sur personnes dépositaires de l’autorité publique». Jets de bouteilles, tirs de fusées devant la prison de la Santé, cinq CRS blessés. Ils nient les faits.
«Symbolique». Ils ont été interpellés quand la manifestation se dispersait, sur le témoignage de trois policiers en civil, dont deux mêlés au cortège (le chef était trop vieux pour être pris pour un jeune). Qui était camouflé ? Tous, prévenus et policiers, portaient des masques blancs, percés aux yeux, avec «TERRORISTE» écrit dessus : «Symbolique», disent les prévenus, pour signifier que «n’importe qui aujourd’hui peut être terroriste».
Photos, vidéos : personne n’est reconnaissable au moment des tirs. Pourtant, malgré masques et capuches, les policiers infiltrés sont formels : c’est cette jeune fille-là, métisse à lunettes, c’est ce jeune homme-ci, mat aux cheveux bruns, qui entourent le grand qui lance la fusée. On ne retrouve pas le tube ? «Il a dû s’en débarrasser» : «Je m’étais éloigné par discrétion», dit le policier qui les filait… Le droit à manifester est un droit essentiel, proclament juges et procureure. «On ne parle pas de Jérôme [Julien, ndlr] Coupat ni de Tarnac aujourd’hui. Là, on est sur la manifestation du 31 janvier.» Mais, peu après : «Vous en saviez quoi, de cette affaire de Tarnac ?» Et y a-t-il eu des «violences policières» ? Il n’y en a pas eu, on le fera dire aux prévenus, plus d’une fois. Police irréprochable, même infiltrée.
Étape suivante : les prévenus doivent dire qu’ils condamnent, qu’ils regrettent. Question : «À quel moment est-ce que ça dérape et pourquoi ?» Réponse : «Je n’ai pas à répondre de violences que je n’ai pas commises.» La juge : «Soit on se sent solidaire, soit on quitte la manifestation.» Réponse : «Je suis solidaire des raisons qui motivent la manifestation.» Solidaire des motifs ou des violences ? «Vous n’avez participé à rien ?» — «À une manifestation, mais à aucune violence.» L’autre juge est philosophe : «Vous vous désolidarisez effectivement, au sens philosophique du terme ?» — «Il m’est impossible d’entrer dans des considérations morales pour des faits que je n’ai pas commis», dira un prévenu. Et l’autre : «La prise de la Bastille, on m’a appris à l’école que c’était bien.»
«Bons». La procureure requiert huit mois avec sursis : «Il y a eu la prise de la Bastille, mais il y a eu aussi le Comité de salut public et les femmes tondues à la Libération.» La défense demande : «A-t-on attrapé les bons ?» On juge un délit de violence, pas un délit d’opinion : tous l’auront dit, mais si différemment. «Philosophie de l’engagement» ? Décision le 5 janvier.
Leur presse (Philippe Buttgen, Barbara Cassin,
Libération), 2 décembre 2010.