Le Figaro travaille à Poitiers
Les casseurs de Poitiers sont venus du Grand Ouest
Perruques, cagoules, fusées marines, cocktails Molotov, marteaux de chantier, masques à gaz, sans oublier d'immenses bambous taillés comme des pieux — les mêmes que ceux qui ont servi à tabasser l’avant-veille un pauvre vendeur de téléphone Bouygues du centre-ville — : la moisson de pièces à conviction ramassées sur le champ de bataille de Poitiers après les émeutes de samedi a beaucoup impressionné le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, en visite lundi dans la capitale de la Vienne.
Dans la cour de l’hôtel de police de la ville, les officiels du cru n’en menaient pas large. Une question revenait sur toutes les lèvres : «Pourquoi la police n’a-t-elle rien vu venir ?» «Il ne faut pas que ça recommence !», lançait une vendeuse de chaussures à l’adresse du cortège ministériel.
Le jour des événements, il est vrai, seulement une petite vingtaine d’agents étaient présents en centre-ville au début des échauffourées, dont une bonne partie gentiment mobilisée sur un stand pour les «journées de la sécurité intérieure». Le gros de la troupe, soit soixante-dix hommes, était occupé à sécuriser le transfèrement des détenus de la vieille prison de Poitiers à celle de Vivonne, à 25 kilomètres de là…
Vendredi, la veille des troubles, les agents de la Sdig (ex-RG) et ceux de la DCRI avaient annoncé à leur préfet une journée à peu près tranquille avec soixante militants d’extrême gauche tout au plus. Au lieu de quoi, ils étaient dix fois plus que les policiers en ville ! Les casseurs progressaient comme un essaim bourdonnant, protégés des tirs de Flash-Ball par de larges bâches tendues devant et derrière leur cortège. «C’est leur technique désormais», s’inquiétait lundi Brice Hortefeux, en montrant des photos prises par ses services. Le ministre ne pouvait s’empêcher de relever un paradoxe : «Ceux qui reprochent à la police son manque de prévoyance sont les mêmes qui veulent la priver de loi contre le port de la cagoule, de fichiers performants et de caméras de vidéo-protection dans les rues !»
Des interpellés «entre 14 et 51 ans»
Dans la tourmente, la police a resserré les rangs. Aux renforts de police venus de Vivonne se sont ajoutés ceux des agents partis en week-end. Bilan : «91 arrestations», se félicite le préfet, Bernard Tomasini, un ancien du cabinet Pasqua. Les interpellés avaient «entre 14 et 51 ans», dit-il. Seulement dix-huit ont été placés en garde à vue. Ceux-là ont une vingtaine d’années, sont étudiants ou chômeurs. «Mais 60% nous étaient inconnus», confie le ministre. D’où, à ses yeux, l’importance de fichiers de police à jour.
«Les casseurs de Poitiers venaient du Grand Ouest, de Bretagne, de Bordeaux. Il y avait même un Gallois», assurait hier une élue locale. Sur les huit présentés hier en comparution immédiate, six étaient de la région de Poitiers. La police pointait du doigt hier «certains milieux contestataires» des facs de Toulouse et de Rennes, Nantes et Grenoble. «Ils prennent exemple sur les Black Blocs allemands, comme si le mouvement d’avril à Strasbourg commençait à essaimer dans l’Hexagone», s’inquiétait un policier de haut rang. Sur le mur d’une agence Bouygues aux vitres étoilées, les casseurs ont pris le temps de coller cette invitation : «Manif de soutien aux luttes de l’Ouest, samedi 17 octobre, place de la Garde, à Rennes». «Mais cette fois, prévient un gradé de la police, il y aura du bleu en face.»
La police prise de court par la stratégie de l’ultragauche
Surprise par la brusque irruption de quelque 250 casseurs au cœur d’une manifestation festive organisée à Poitiers, la police s’efforçait lundi de tirer les leçons de cette flambée impromptue de vandalisme et de violence. «Malgré la surveillance renforcée qui s’applique depuis plusieurs années aux groupuscules d’ultragauche, il est indéniable que nous avons cette fois été pris de court», grimace ainsi un commissaire, qui ajoute : «Il nous faut maintenant comprendre si leurs modes d’action et de communication ne sont pas tout simplement en train d’évoluer.»
• Des groupes de plus en plus discrets ?
Rompant avec la pratique des groupes qui se sont récemment illustrés à Strasbourg ou Vichy, les organisateurs du «raid» de Poitiers ne semblent pas avoir annoncé explicitement leurs projets d’en découdre sur les forums Internet habituellement fréquentés par les militants d’extrême gauche. Sous l’intitulé «Manifestation festive», le blog du Comité anticarcéral de Poitiers avait simplement précisé, elliptique : «Venez vous joindre à nous pour qu’ensemble, nous puissions nous renforcer et peut-être ouvrir une brèche. S’agissant d’un rassemblement festif, venez vêtus de tous les accoutrements possibles et imaginables…» D’apparence anodine, cet appel au rassemblement n’a pas retenu l’attention des policiers, qui n’ont manifestement pas capté davantage d’indices au gré de leurs surveillances téléphoniques. «On peut donc se demander si, après avoir beaucoup communiqué sur leurs actions à venir, les Black Blocs n’ont pas désormais choisi d’adopter une organisation plus discrète», hasarde un fin connaisseur de ces groupes. Auteur d’un Dictionnaire de l’extrême gauche (chez Larousse), Serge Cosseron ajoute : «Ces militants affichent une grande défiance envers les moyens de communication modernes, qui les exposent à la surveillance policière. De plus en plus, ils cherchent donc à s’organiser sans passer par Internet et les téléphones portables.»
• Une organisation parfaitement rodée
Les policiers présents samedi à Poitiers ont été impressionnés par le degré d’organisation des manifestants qui leur ont fait face. Avant de passer à l’action, ceux-ci avaient visiblement aménagé des caches regroupant burins, marteaux, feux d’artifice, masques à gaz et autres lunettes de plongée en plusieurs points de la ville. De même, le choix de leurs «objectifs» n’a visiblement pas été laissé au hasard. «Il est quasi certain qu’ils avaient été déterminés à l’avance en raison de leur charge symbolique, estime Serge Cosseron. J’en veux pour preuve la dégradation des bureaux du quotidien La Nouvelle République du Centre qui, en tant que quatrième pouvoir, constitue une cible évidente. Par le passé, des équipes de France 3 et des reporters de la presse locale ont d’ailleurs été semblablement visés lors de manifs à Grenoble ou en Bretagne.»
• Une mouvance en proie aux divisions
Protéiforme, regroupant une multitude de groupes qui ne partagent pas nécessairement les mêmes idées, l’«ultragauche» semble également divisée sur l’opportunité d’agir par la violence. Ainsi, tandis que le site Internet du Comité anticarcéral de Poitiers manifeste son soutien aux dix-sept personnes interpellées samedi, l’Organisation communiste libertaire, pourtant co-organisatrice de la manifestation, a publié lundi un communiqué déplorant «une ambiance pas trop démocratique et un avant-gardisme rappelant de sinistres heures du gauchisme “militaro” que l’on croyait renvoyé aux poubelles de l’Histoire».
• Un risque de radicalisation
À mesure qu’ils s’organisent de façon plus discrète et plus percutante, policiers et gendarmes craignent de voir certains noyaux militants basculer dans une forme d’action plus violente. «Certains semblent en avoir assez de se casser les dents sur les dispositifs mis en place pour le CPE, à Strasbourg ou encore lors de la journée “No Border” de Calais», avance un spécialiste. Lundi, le ministre de l’Intérieur a de son côté annoncé son intention de durcir la réponse policière. Il s’est engagé à demander la «dissolution» des associations impliquées dans les violences, ainsi qu’à recenser «les squats qui sont susceptibles d’accueillir ces militants d’ultragauche».
Àpropos des troubles qui se sont produits ce week-end à Poitiers, une question taraude les habitants : «pourquoi la police n’a-t-elle rien vu venir ?»
Perruques, cagoules, fusées marines, cocktails Molotov, marteaux de chantier, masques à gaz, sans oublier d'immenses bambous taillés comme des pieux — les mêmes que ceux qui ont servi à tabasser l’avant-veille un pauvre vendeur de téléphone Bouygues du centre-ville — : la moisson de pièces à conviction ramassées sur le champ de bataille de Poitiers après les émeutes de samedi a beaucoup impressionné le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, en visite lundi dans la capitale de la Vienne.
Dans la cour de l’hôtel de police de la ville, les officiels du cru n’en menaient pas large. Une question revenait sur toutes les lèvres : «Pourquoi la police n’a-t-elle rien vu venir ?» «Il ne faut pas que ça recommence !», lançait une vendeuse de chaussures à l’adresse du cortège ministériel.
Le jour des événements, il est vrai, seulement une petite vingtaine d’agents étaient présents en centre-ville au début des échauffourées, dont une bonne partie gentiment mobilisée sur un stand pour les «journées de la sécurité intérieure». Le gros de la troupe, soit soixante-dix hommes, était occupé à sécuriser le transfèrement des détenus de la vieille prison de Poitiers à celle de Vivonne, à 25 kilomètres de là…
Vendredi, la veille des troubles, les agents de la Sdig (ex-RG) et ceux de la DCRI avaient annoncé à leur préfet une journée à peu près tranquille avec soixante militants d’extrême gauche tout au plus. Au lieu de quoi, ils étaient dix fois plus que les policiers en ville ! Les casseurs progressaient comme un essaim bourdonnant, protégés des tirs de Flash-Ball par de larges bâches tendues devant et derrière leur cortège. «C’est leur technique désormais», s’inquiétait lundi Brice Hortefeux, en montrant des photos prises par ses services. Le ministre ne pouvait s’empêcher de relever un paradoxe : «Ceux qui reprochent à la police son manque de prévoyance sont les mêmes qui veulent la priver de loi contre le port de la cagoule, de fichiers performants et de caméras de vidéo-protection dans les rues !»
Des interpellés «entre 14 et 51 ans»
Dans la tourmente, la police a resserré les rangs. Aux renforts de police venus de Vivonne se sont ajoutés ceux des agents partis en week-end. Bilan : «91 arrestations», se félicite le préfet, Bernard Tomasini, un ancien du cabinet Pasqua. Les interpellés avaient «entre 14 et 51 ans», dit-il. Seulement dix-huit ont été placés en garde à vue. Ceux-là ont une vingtaine d’années, sont étudiants ou chômeurs. «Mais 60% nous étaient inconnus», confie le ministre. D’où, à ses yeux, l’importance de fichiers de police à jour.
«Les casseurs de Poitiers venaient du Grand Ouest, de Bretagne, de Bordeaux. Il y avait même un Gallois», assurait hier une élue locale. Sur les huit présentés hier en comparution immédiate, six étaient de la région de Poitiers. La police pointait du doigt hier «certains milieux contestataires» des facs de Toulouse et de Rennes, Nantes et Grenoble. «Ils prennent exemple sur les Black Blocs allemands, comme si le mouvement d’avril à Strasbourg commençait à essaimer dans l’Hexagone», s’inquiétait un policier de haut rang. Sur le mur d’une agence Bouygues aux vitres étoilées, les casseurs ont pris le temps de coller cette invitation : «Manif de soutien aux luttes de l’Ouest, samedi 17 octobre, place de la Garde, à Rennes». «Mais cette fois, prévient un gradé de la police, il y aura du bleu en face.»
Jean-Marc Leclerc
La police prise de court par la stratégie de l’ultragauche
Les violences de Poitiers, qui n’avaient pas été anticipées, indiquent que les extrémistes optent pour la discrétion.
Surprise par la brusque irruption de quelque 250 casseurs au cœur d’une manifestation festive organisée à Poitiers, la police s’efforçait lundi de tirer les leçons de cette flambée impromptue de vandalisme et de violence. «Malgré la surveillance renforcée qui s’applique depuis plusieurs années aux groupuscules d’ultragauche, il est indéniable que nous avons cette fois été pris de court», grimace ainsi un commissaire, qui ajoute : «Il nous faut maintenant comprendre si leurs modes d’action et de communication ne sont pas tout simplement en train d’évoluer.»
• Des groupes de plus en plus discrets ?
Rompant avec la pratique des groupes qui se sont récemment illustrés à Strasbourg ou Vichy, les organisateurs du «raid» de Poitiers ne semblent pas avoir annoncé explicitement leurs projets d’en découdre sur les forums Internet habituellement fréquentés par les militants d’extrême gauche. Sous l’intitulé «Manifestation festive», le blog du Comité anticarcéral de Poitiers avait simplement précisé, elliptique : «Venez vous joindre à nous pour qu’ensemble, nous puissions nous renforcer et peut-être ouvrir une brèche. S’agissant d’un rassemblement festif, venez vêtus de tous les accoutrements possibles et imaginables…» D’apparence anodine, cet appel au rassemblement n’a pas retenu l’attention des policiers, qui n’ont manifestement pas capté davantage d’indices au gré de leurs surveillances téléphoniques. «On peut donc se demander si, après avoir beaucoup communiqué sur leurs actions à venir, les Black Blocs n’ont pas désormais choisi d’adopter une organisation plus discrète», hasarde un fin connaisseur de ces groupes. Auteur d’un Dictionnaire de l’extrême gauche (chez Larousse), Serge Cosseron ajoute : «Ces militants affichent une grande défiance envers les moyens de communication modernes, qui les exposent à la surveillance policière. De plus en plus, ils cherchent donc à s’organiser sans passer par Internet et les téléphones portables.»
• Une organisation parfaitement rodée
Les policiers présents samedi à Poitiers ont été impressionnés par le degré d’organisation des manifestants qui leur ont fait face. Avant de passer à l’action, ceux-ci avaient visiblement aménagé des caches regroupant burins, marteaux, feux d’artifice, masques à gaz et autres lunettes de plongée en plusieurs points de la ville. De même, le choix de leurs «objectifs» n’a visiblement pas été laissé au hasard. «Il est quasi certain qu’ils avaient été déterminés à l’avance en raison de leur charge symbolique, estime Serge Cosseron. J’en veux pour preuve la dégradation des bureaux du quotidien La Nouvelle République du Centre qui, en tant que quatrième pouvoir, constitue une cible évidente. Par le passé, des équipes de France 3 et des reporters de la presse locale ont d’ailleurs été semblablement visés lors de manifs à Grenoble ou en Bretagne.»
• Une mouvance en proie aux divisions
Protéiforme, regroupant une multitude de groupes qui ne partagent pas nécessairement les mêmes idées, l’«ultragauche» semble également divisée sur l’opportunité d’agir par la violence. Ainsi, tandis que le site Internet du Comité anticarcéral de Poitiers manifeste son soutien aux dix-sept personnes interpellées samedi, l’Organisation communiste libertaire, pourtant co-organisatrice de la manifestation, a publié lundi un communiqué déplorant «une ambiance pas trop démocratique et un avant-gardisme rappelant de sinistres heures du gauchisme “militaro” que l’on croyait renvoyé aux poubelles de l’Histoire».
• Un risque de radicalisation
À mesure qu’ils s’organisent de façon plus discrète et plus percutante, policiers et gendarmes craignent de voir certains noyaux militants basculer dans une forme d’action plus violente. «Certains semblent en avoir assez de se casser les dents sur les dispositifs mis en place pour le CPE, à Strasbourg ou encore lors de la journée “No Border” de Calais», avance un spécialiste. Lundi, le ministre de l’Intérieur a de son côté annoncé son intention de durcir la réponse policière. Il s’est engagé à demander la «dissolution» des associations impliquées dans les violences, ainsi qu’à recenser «les squats qui sont susceptibles d’accueillir ces militants d’ultragauche».
Cyrille Louis
Leur presse (Le Figaro), 12 octobre 2009.