Le féminisme matérialiste
Pour commencer, revenons sur quelques notions :
Parler distinctement de genre et de sexe vise à saper les évidences naturalistes bien ancrées dans nos cultures autour de ces notions. Ainsi, un des objectifs de l’utilisation du mot «genre» est la mise en lumière du caractère socialement construit d’un certain nombre d’attributs et de comportements psycho-sociaux attachés traditionnellement à l’appartenance à un «sexe biologique». Ce changement sémantique et conceptuel est le résultat de nombreux travaux de recherches de et de conceptualisation menés par des féministes.
Cette question de l’origine biologique ou socialement construite des différences entre hommes et femmes constitue un sujet de polémiques chez les féministes. Elle représente la ligne de fracture entre les féministes dites «essentialistes» et celles qui se revendiquent «matérialistes».
Nous ne nous attarderons pas beaucoup sur les premières qui sont les tenantes de la position du «respect de la différence» et qui luttent pour un respect égal des attributs, traits de caractère, préférences, tâches et goûts spécifiquement et par «essence» féminins (qui sont, il est vrai, plutôt stigmatisés, méprisés, dévalorisés et invisibilisés dans la culture patriarcale).
Dans la deuxième approche, les féministes matérialistes refusent justement cette assignation au féminin. Ainsi, il n’est plus question de valoriser les caractéristiques naturelles attachées aux êtres féminins mais de montrer que c’est la mise en place de deux catégories (femme et homme) qui pose problème et qui constitue une domination.
Dans la lignée de Christine Delphy, les féministes matérialistes combattent l’idée qu’une différence «naturelle» entraînerait la division de l’humanité en deux sexes et donc deux genres, dont l’un dominerait l’autre. En se demandant pourquoi le sexe (plutôt que la couleur des yeux par exemple) devrait donner lieu à une classification quelconque, elles aboutissent à la conclusion que c’est en même temps et dans un même mouvement que se crée la division sociale (les catégories d’homme et de femme) et son caractère hiérarchique : le genre des «hommes» domine le genre des «femmes».
Les féministes matérialistes s’appuient sur la méthode marxiste qui étudie les rapports matériels d’exploitation et leur justification idéologique. L’idée étant aussi de démontrer que le patriarcat est un système autonome de domination et d’exploitation et d’inscrire la lutte féministe dans une optique de classes afin de contrer la vieille rhétorique de la gauche et de sa primauté de la lutte des classe socio-économique. Différents ouvrages des féministes matérialistes explorent donc, les dispositions matérielles et quantifiables du système de domination patriarcale [Quelques ouvrages de référence : Christine Delphy, L’Ennemi principal - Tome 1 : Économie politique du patriarcat ; Christine Delphy, L’Ennemi principal - Tome 2 : Penser le genre. Syllepse ; Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles. Éditions des femmes ; Monique Wittig, La pensée Straight. Amsterdam ; Paola Tabet, La Construction sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps. L’Harmattan ; Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir : l’idée de nature. Côté-femmes ; Nicole-Claude Mathieu, L’Anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe. Côté-femmes.].
Il existe bien sûr d’autres courants de pensée féministe qui mériteraient un autre article et que nous aborderons certainement dans un autre numéro.
La Sociale no 32, février 2011.