Le discours sur la violence scolaire ou la fabrication de l'ennemi intérieur
Chatel, ministre de l’Éducation, a réuni les 7 et 8 avril des «États généraux de la sécurité à l’école». Cette réunion dans laquelle se sont commis des représentantEs des personnels et des élèves a une fois de plus permis de renforcer le virage sécuritaire de l’école publique. Si certainEs participantEs notamment syndicaux ont par la suite dénoncé ces orientations, leur simple présence a cautionné ce faux débat. Quand on sait que ces États généraux partaient d’un rapport d’Alain Bauer, conseiller et entrepreneur du marché sécuritaire, il n’y a aucune excuse à leur présence !
Qui plus est, ces pseudo-États généraux tombaient alors que les moyens alloués à l’école ont encore diminué (16'000 suppressions de postes de titulaires pour la rentrée 2010 sans parler de la précarisation croissante des personnels de vie scolaire notamment). Dans la même logique Chatel met en place la réforme des Lycées généraux retoquée l’année dernière par un fort mouvement lycéen. Enfin, et ce n’est pas un hasard, ces états généraux ont été décidés lors de la campagne des Régionales au moment où la droite a actionné, une fois de plus, le levier sécuritaire pour limiter la débâcle électorale. Cap qu’elle maintient depuis dans un espoir de reconquête électorale.
Encore un virage sécuritaire
Le premier constat dressé par nos élites serait celui d’une croissance quasi exponentielle de la violence scolaire face à laquelle il faudrait «sanctuariser» l’école et ses abords. Pour cela 5 orientations principales ont été définies : «Mesurer la violence et le climat dans les établissements scolaires», «Construire une nouvelle politique de formation des professeurs et de l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale», «Renforcer le plan de sécurisation des établissements scolaires», «Responsabiliser les acteurs et redonner du sens aux sanctions scolaires» et enfin «Engager des actions ciblées dans les établissements les plus exposés à la violence». Bref, un nouveau tour de vis sécuritaire dans une école qui en subissait déjà trop.
Au menu, on trouve pêle-mêle, un accroissement du fichage et d’une gestion statistique des problèmes scolaires aux dépens de l’humain ; le renforcement des liens avec la police en doublant les effectifs des équipes mobiles de sécurité [Les équipes mobiles de sécurité (EMS) font intervenir des espèces de brigades de flics et de personnels de l’éducation pilotées depuis le Rectorat en fonction des évènements et de la demande des chefs d’établissement.]. On nous renforce aussi le poids des hiérarchies locales puisque les chefFEs d’établissement pourraient choisir «leur équipe». Bien sûr on nous ressort la suppression des allocations familiales pour les «parents qui n’assument pas leurs responsabilités». C’est une fois de plus criminaliser les classes populaires, individualiser des cas qui relèvent de la misère sociale, renvoyer sur les familles toutes les difficultés alors que les mesures d’aides spécifiques comme les RASED dans le premier degré ont été supprimées.
Rajoutons quelques vœux pieux sur des sanctions qui devraient être mieux comprises et expliquées ainsi qu’une «formation spécifique à la gestion des conflits» lors de la formation initiale en master avec un module «tenue de classe». Il faudrait aussi renforcer le poids de la gestion des «violences» dans la formation continue des personnels. Peu importe que dans le même temps, la formation des nouveaux enseignantEs soit réduite à peau de chagrin (deux — voire une seule — sessions de quelques semaines par an). Dès la rentrée, ils/elles seront balancés à temps plein devant les élèves alors qu’ils/elles n’assuraient jusqu’alors «que» 6 heures à 9 heures par semaine en recevant en parallèle une formation en IUFM. On se dirige tout droit vers une formation stéréotypée où l’élève est présenté comme l’élément perturbateur sinon l’ennemi.
Depuis, le cap du fichage a été accru et on nous ressort un «préfet des études» dont la dénomination réactionnaire, inspirée de l’enseignement privé, cherche à transformer les CPE en véritables rouages de la direction chargés de piloter, de loin, des équipes de surveillantEs toujours plus précaires.
Pourtant, le flicage étant déjà des plus prégnants au sein de l’espace scolaire (vidéosurveillance, flic référent dans chaque établissement, contrats locaux de sécurité…). C’est à croire que le flicage ne sert à rien puisque le discours reste toujours aussi alarmiste ! Nous penserions même que c’est lui qui crée le problème.
Toujours plus de violence ?
Depuis les années 1990, la violence scolaire serait en constante augmentation et justifierait le tournant sécuritaire entrepris avec l’aval des directions des principales organisations syndicales et d’une majorité, hélas, de personnels de l’école. Chaque palier supplémentaire est accompagné d’un véritable plan de campagne médiatique autour de violences subies par des enseignantEs. Pourtant, les violences à l’encontre des adultes et a fortiori des enseignantEs sont marginales. Bien sûr, compte tenu des effectifs (plus de 900'000 dans l’enseignement public) on peut presque tous les jours sortir un phénomène nouveau donnant cette impression de guerre ouverte dans l’école.
Au-delà, ces «violences» à l’encontre des adultes sont plus souvent des protestations, insultes voire bousculades que des attaques physiques. Qui plus est, si l’on devait trouver les principales victimes des dites «violences», sachant qu’elles rassemblent un patchwork allant du plus bénin au plus grave sans souci de trier, ce seraient en premier lieu les élèves. Et quand bien même, les statistiques officielles elles-mêmes peuvent aller à l’encontre du discours ambiant. Ainsi l’enquête SIVIS de 2009 dénombre 10,9 incidents graves pour 1000 élèves soit une légère baisse par rapport à l’année précédente.
Reste que les cas de violence auraient augmenté. Cependant, les relations interpersonnelles dans nos sociétés, contrairement aux discours alarmistes, sont plus pacifiées que par le passé. C’est la violence qui est de moins en moins acceptée. Dans ces conditions, les signalements sont plus importants, donnant une image déformée de la réalité. De la même manière, les relations entre enfants ou adolescentEs et/ou adultes sont elles-mêmes moins dures. Quant à l’école, elle n’a jamais été ce sanctuaire que veulent nous vendre les dirigeantEs politiques voire syndicaux. Ce qui est vrai en revanche, c’est que les collèges et lycées qui jusqu’aux années 1970-1980 étaient réservés aux classes moyennes se sont ouverts aux classes populaires. L’arrivée de ce nouveau public s’accompagne d’une véritable incompréhension de classe entre élèves et enseignantEs majoritairement issus des classes moyennes. C’est cette incompréhension qui est traduite en «incivilités» et «violences», de même que le retour d’un sentiment de légitime arnaque des enfants des classes populaires. Pour elles et eux, la démocratisation (ambigüe) de l’enseignement ne signifie pas un avenir radieux mais le cantonnement aux tâches inférieures (quoique de plus en plus complexes) du système économique et donc à la pauvreté, qui tend plutôt à s’aggraver dans les zones de relégations des grandes aires métropolitaines. Loin d’être un «sanctuaire», l’école n’est pas en marge du système d’exploitation économique et sociale.
On le voit, la violence scolaire n’est pas aussi prégnante que media et politicienNEs nous le vendent, moins grave, ne touche que peu les professionnelLEs dont c’est pourtant parfois devenu un argument pour limiter la dégradation de leur condition d’exercice. Ce discours tend surtout à cacher la véritable violence, celle du capitalisme, de l’État et la domination de classe. Par ailleurs, elle est depuis les années 1990 l’un des vecteurs de la construction de l’ennemi intérieur. Il est étranger ou d’origine étrangère, pauvre, vivant dans les banlieues. Le rapport Bénisti de 2003 ne faisait-il pas d’ailleurs un lien de causalité entre la pratique d’une langue étrangère à la maison et le passage à la délinquance ? Ce n’est pas un hasard si, médiatiquement, les problèmes scolaires à Roubaix ou Lille sud tiennent le haut du pavé alors que la situation n’est pas meilleure dans nombre d’établissements de Boulogne-sur-Mer. Une même misère, des difficultés scolaires semblables, un même décalage de classe entre professionnelLEs et enfants mais une couleur de peau bien blanche, moins vendeuse pour une presse complice.
Des incidences pédagogiques lourdes
Dans un contexte où l’établissement scolaire tend à se transformer en commissariat, où les adultes doivent exercer un contrôle de plus en plus lourd sur les élèves et leurs familles, où la stigmatisation des élèves issus des classes populaires d’origine étrangère devient commune, il n’est pas surprenant que le rapport de confiance des enfants pour les adultes soit de plus en plus souvent rompu. Dès lors comment être surpris, dans les quartiers populaires où les flics se comportent comme des cowboys, où la garde à vue tend à se généraliser pour les mineurEs, que les profs ou surveillantEs soient appelés «la BAC» ? Cette situation étant encore aggravée par l’incompréhension de classe entre enseignantEs et élèves, et le recul de la prise en charge les difficultés scolaires rencontrées (tous les «projets personnalisés de réussite éducative» et leurs clones ne sont qu’un cache-sexe de la dégradation des conditions d’enseignement).
De la même manière, pour les adultes et particulièrement les enseignantEs, l’élève devient l’ennemi, celui dont le seul objectif est la perturbation du bon déroulement du cours. Le discours lancinant sur la violence finit par jouer à plein. L’élève devient un «barbare» en ce sens qu’il ne partage pas tout à fait les mêmes codes comportementaux et de communication, n’a même pas la décence de recevoir, soumis, les valeurs et savoirs de la modernité et de la République. Il y a bien sûr ici une exagération, les enseignantEs ne sont pas (ou c’est une minorité) des sortes de néo-colonialistes conscients, mais l’afflux des consignes sur la transmission des «valeurs» de la République et de la démocratie, sur les comportements citoyens finissent par peser sur l’enseignement même des professionnelLEs les plus hostiles à la réaction. Là encore, le décalage de classe joue son rôle dans les représentations mentales et les pratiques. Enfin, les difficultés scolaires (qu’il faudrait encore analyser en les confrontant au modèle dominant) et la réduction des moyens humains pour les résoudre finissent par exacerber le sentiment d’échec. Dès lors, pour éviter ou limiter la remise en question, quoi de plus simple que de renvoyer les élèves à leur «nullité», leur «débilité», leur violence… Certains discours en salle des profs, véritable sas de décompression, sont à ce stade édifiants.
Heureusement, il y a des résistances
En l’état, le constat est plutôt déprimant. Nous avons évoqué la duplicité sinon la complicité d’un grand nombre de personnels et de leurs principales organisations syndicales. Cependant, à la base, cette orientation peut être clairement dénoncée. Dans l’académie de Créteil en février, les personnels ont refusé de rentrer dans cette spirale pour dénoncer le manque de personnels, à l’origine des difficultés. Au lieu de se replier dans l’individualisme sécuritaire, ils ont fait le choix du combat contre la casse de l’école et contre la réforme Chatel des Lycées. Fin avril, les personnels du collège Martin Luther King de Calais ont exercé leur droit de retrait suite à la découverte de bombinettes à l’acide. Ils ont dénoncé la réduction du personnel de surveillance et ne semblent pas partants pour collaborer avec la police ou installer toujours plus de caméras de vidéo-surveillance. Auparavant, des luttes similaires ont été menées dans les collèges Lebas ou Sévigné à Roubaix, Boris Vian à Fives… Même constat, mêmes demandes, même refus du flicage ou de la précarisation des personnels de surveillance.
Dans la région toujours, le REPTIL (Réseau des Établissements Promis à Tout Incident Lourd), plus particulièrement actif sur le bassin de Roubaix, a lui aussi dénoncé le sort des élèves et des personnels des établissements des quartiers populaires. L’une de leurs pancartes lors de manifs hebdomadaires au début des années 2000 sur la Grand Place de Lille était éloquente : «Nous ne sommes pas là pour faire du contrôle social». De la même manière, le combat contre le flicage de l’école fait partie des fondamentaux de certaines organisations syndicales comme la CNT ou SUD.
Les élèves peuvent aussi être acteurs/rices de ce combat. Ainsi des lycéenNEs se sont battus contre l’instauration du contrôle biométrique dans les cantines ou ailleurs. En 2006, devant le collège Sévigné de Roubaix, ce sont près de 300 élèves (quelques parents se sont aussi joints à eux/elles) qui se sont rassemblés après que deux de leurs camarades aient été arrêtés et menottés en classe par des flics (ils ont été d’ailleurs relaxés par la suite).
Outil de la campagne sécuritaire, lieu de désengagement financier, instrument de la reproduction sociale, l’école de l’État et du patronat n’est cependant pas brillante. C’est bien un changement radical de système qui permettra d’en finir avec cette logique honnie. Évidemment, ce combat contre toutes les formes de domination doit inspirer et s’inspirer des luttes contre les dérives sécuritaires et la défense du service public d’éducation, mais aussi des alternatives concrètes fondées sur le principe de coopération entre touTEs les intervenantEs (professionnelLEs, élèves, parents) afin de rompre avec les logiques sécuritaire et hiérarchique.
Vive la révolution sociale et pédagogique !
La Sociale no 31, mai 2010
Groupe d’anarchistes de Lille et environs.
TÉLÉCHARGER LE NUMÉRO