Le cas De Donato
«Des traductions de ce livre, publié à Paris vers la fin de 1967, ont déjà paru dans une dizaine de pays ; et le plus souvent plusieurs ont été produites dans la même langue, par des éditeurs en concurrence ; et presque toujours elles sont mauvaises. Les premières traductions ont été partout infidèles et incorrectes, à l’exception du Portugal et, peut-être, du Danemark. Les traductions publiées en néerlandais et en allemand sont bonnes dès les secondes tentatives, encore que l’éditeur allemand de cette fois ait négligé de corriger à l’impression une multitude de fautes. En anglais et en espagnol, il faut attendre les troisièmes pour savoir ce que j’ai écrit. On n’a pourtant rien vu de pire qu’en Italie où, dès 1968, l’éditeur De Donato a sorti la plus monstrueuse de toutes ; laquelle n’a été que partiellement améliorée par les deux traductions rivales qui ont suivi. D’ailleurs, à ce moment-là, Paolo Salvadori, étant allé trouver dans leurs bureaux les responsables de cet excès, les avait frappés, et leur avait même, littéralement, craché au visage : car telle est naturellement la manière d’agir des bons traducteurs, quand ils en rencontrent de mauvais. C’est assez dire que la quatrième traduction italienne, faite par Salvadori, est enfin excellente.»
Lettre à Edmond Buchet
Paris, le 24 novembre 1968
Cher Monsieur,
J’ai eu récemment quelques bonnes nouvelles quant à mon livre :
1) Par un ami italien, qui me signale qu’une édition est en vente dans son pays depuis octobre [La Società dello spettacolo, Éditions De Donato, Bari].
2) Par le Bulletin du livre du 15 octobre, qui annonce que les droits en sont vendus en Espagne.
3) Par différents libraires parisiens, diffuseurs habituels des publications «situationnistes», qui disent qu’il est devenu extrêmement difficile, depuis septembre, de se procurer des exemplaires de votre édition française, apparemment épuisée.
J’en suis donc fort mécontent.
Il me semble que ces informations, assorties d’un bref exposé de vos projets ultérieurs, devraient plutôt me venir de vous.
Je trouve surprenant, eu égard notamment au style des rapports que je croyais établi entre nous à notre satisfaction commune, que le droit moral d’un auteur puisse être négligé au point qu’on ne lui communique pas pour vérification la traduction d’un texte quelque peu difficile. Je fais d’ores et déjà toutes réserves sur la qualité ou les déficiences éventuelles de cette traduction italienne, et ce jusqu’à plus ample informé. Je vous prie de prendre bonne note du fait que je veux contrôler moi-même toute autre traduction qui pourrait être désormais entreprise.
J’attends donc vos garanties sur ce point, et vos explications sur le reste.
Veuillez agréer, cher Monsieur, mes salutations distinguées.
Guy Debord
Je reçois à l’instant le VANEIGAM [Édition italienne de Banalités de base chez De Donato, avec cette coquille dans le nom de l’auteur Raoul Vaneigem]. Vraiment terrifiant !
Je vous écris brièvement pour envoyer cette lettre en exprès, la poste fermant tout à l’heure, à midi.
Je vois que vous avez maintenant une nouvelle adresse. J’espère donc que vous avez reçu, auparavant, le texte de Mustapha et la fin du texte sur Mai 68. Rassurez-moi sur ce point.
D’après vous, que devons-nous faire du côté de De Donato ?
D’une part, ici même : lettre de protestation ? en tant qu’auteur (Raoul) ? en tant qu’«éditeur» (moi) ? en tant que révolutionnaires dont on maquille les textes et les positions ?
D’autre part, vous en Italie ?
Posez la question, et proposez-nous un plan combiné d’intervention. Peut-être faut-il commencer doucement par une lettre, qui commencerait à les faire réfléchir, et puis pousser l’escalade vers la violence ?
En tout cas, l’élément décisif est la parution prochaine de la revue, qui doit traîner De Donato dans la boue pour l’ignominie de ses procédés «intellectuels» (passons sur la désinvolture du commerçant ; ce n’est pas à nous de nous plaindre d’être volés).
Il est très bon aussi de faire la prochaine conférence en Italie. Cela renverra aux poubelles de l’histoire l’espèce de «fierté nationale» que les Italiens commencent à montrer à propos d’un contact archaïque entre l’I.S. et l’Italie (comme ils pourraient se flatter de l’Empire romain…).
J’aimerais bien, quand on aura plus de temps, que votre traduction du tiers de La Société du spectacle puisse être étendue à la totalité du livre ; et qu’on en fasse une nouvelle édition en Italie.
Si nous calculons dans cette optique nos réactions actuelles contre De Donato, nous pouvons certainement le mettre hors d’état de nous chercher une querelle juridique, au moment où nous ferions notre «édition pirate», malgré «son» copyright italien. (…)
Lettre de Guy Debord à la section italienne de l’I.S., 24 mai 1969.
Lettre à la section italienne de l’I.S.
Mardi 27 mai 1969
Chers amis,
Bien reçu dimanche votre télégramme [Télégramme annonçant une «visite» dans les locaux de l’éditeur De Donato]. Envoyez-moi vite tous les détails.
Voici les derniers textes attendus, à l’exception d’une note sur nos publications depuis quelques années, que j’enverrai demain ou après-demain.
Nous avons surtout besoin d’informations — et de vos projets — sur l’affaire De Donato, pour savoir quel genre de lettres lui envoyer.
À bientôt,
Guy
(…) Passons à la question De Donato. Bravo pour votre intervention violente dans les bureaux ! Racontez cela en détails dans votre revue (pour faire réfléchir Silva et les autres).
Ici, nous sommes dans l’incertitude sur ce que nous devons faire après votre raid. On regrette que vous n’ayez pu nous joindre hier par téléphone pendant la réunion chez Viénet. C’est le meilleur moment : tous les mardis entre 14 heures et 18h30 à peu près.
En outre Raoul était encore absent. Nous allons écrire à De Donato mardi prochain. Il faudrait que j’aie reçu d’ici là une réponse écrite aux questions suivantes (si elles vous parviennent) : Nous sommes tous d’accord pour juger l’affaire assez grave, et nécessitant une ferme intrevention de l’I.S.
Mais, d’une part, votre intervention a déjà eu lieu, et nous ne savons pas ce que vous avez exigé précisément auprès des responsables, au moment où ils étaient effrayés. D’autre part, nous hésitons sur le contenu maximum de notre protestation.
Viénet (et quelques autres camarades l’approuvent) propose que nous exigions que De Donato retire le livre de la vente. Tout le monde pense (sauf Viénet) que De Donato ne peut pas accepter. Dans ce cas, Viénet soutient le projet d’une descente de Raoul et autres «Français» chez De Donato, en y cassant tout (variante : en lui donnant des coups de fouet). Il pense que l’ampleur du scandale vaudrait les inconvénients judiciaires, et servirait bien l’I.S. en Italie, alors que la revue sort.
Mustapha estime que l’affaire n’est pas si grave. D’autres font remarquer qu’il n’est pas facile de garantir d’avance que le scandale sera si retentissant (je suis parmi ceux-ci).
Surtout, j’ai soulevé une autre question : si vous, dans votre intervention, avez demandé «seulement» que Fantinel et autres ne s’occupent plus jamais de l’I.S., nous devons éviter de faire apparaître l’I.S. de Paris plus sévère que vous, et se manifestant ensuite pour demander plus.
Nous allons donc décider mardi prochain du contenu de la lettre que nous enverrons comme complément ou suite de votre première action. Raoul et un ou deux autres absents seront avec nous. Mais on voudrait principalement tenir compte de votre avis, aussi précis et détaillé que possible. Essayez de me le faire parvenir.
Lettre de Guy Debord à la section italienne de l’I.S., 28 mai 1969.
Lettre à la section italienne de l’I.S.
[Note en tête : «Pour téléphoner en Italie, actuellement, il faut trois ou quatre heures d’attente. On a dû y renoncer hier.»]
Paris, 4 juin 69
Chers amis,
Voici notre lettre collective à De Donato [Encadré en marge : «En général, le ton de notre lettre est “bien écrit”, mais avec quelques mots qui appartiennent nettement au langage des voyous, plus le fait de le tutoyer… En contraste, la fin du premier paragraphe (“tu dois savoir que l’attention…”) et tout l’avant-dernier (“sois assuré…”) sont écrits en style noble, politique-révolutionnaire un peu guindé, avec une connotation terroriste.»]. Signez-la et envoyez lui comme lettre recommandée, en y joignant une traduction italienne sur une page à part.
Auparavant, faites plusieurs photocopies de la lettre signée et de la traduction (et envoyez-nous une de ces photocopies).
Comme vous voyez, nous avons suivi votre avis. Nous ne demandons rien de précis (seulement qu’il «fasse marche arrière»). Ainsi, on verra jusqu’à quel point il peut être inquiet. Notre menace est grossière, mais vague et imprécise. Ainsi nous gardons la liberté stratégique de frapper quand nous voudrons. Et selon les modalités choisies. Évidemment, s’il nous répond lui-même des injures, nous serons obligés de lui casser la gueule assez rapidement. Cherchez déjà discrètement à savoir où habite personnellement De Donato.
S’il met tout de suite la police sur le coup, il suffit de répondre aux policiers que «les conséquences» qu’il va subir «physiquement» se ramènent, dans notre esprit, à ceci : Vaneigem, s’il n’obtient pas satisfaction, va gifler De Donato et le provoquer en duel ! Ce qui donnera une apparence plus «gentleman» à la menace criminelle…
Je vous donne ici quelques précisions, pour votre traduction, sur quelques grossièretés en langage populaire, dont vous devez trouver l’équivalent :
3e paragraphe. «Queue» est un terme argotique et assez grossier pour ce qu’on appellerait en termes nobles «le membre viril». La phrase veut dire : cette traduction est si mal faite qu’on pourrait croire qu’il l’a écrite avec son sexe (comme on dit : écrire avec ses pieds) — mais on est sûrs que, justement, il en est dépourvu ! Cela aussi lui manque (en plus de l’intelligence et du talent). Ainsi, l’injure est vraiment assez complète.
4e paragraphe. «Salope» = putain, mais avec une nuance de méchanceté et malhonnêteté. En plus, en disant à un homme qu’il est une salope, il s’y mêle une injure supplémentaire, visant sa lâcheté (et non ses mœurs homosexuelles). Par exemple, un homme qui trahit ses complices auprès de la police est «un donneur». Mais le mépris exprimé est plus grand en disant qu’il est «une donneuse». «Une belle salope» a un sens admiratif (une salope d’envergure), mais cette «admiration» est très ironique et menaçante.
5e paragraphe. «Que comptes-tu faire pour te faire oublier ?» Phrase volontairement vague. «Se faire oublier» est une expression argotique qui veut dire : «disparaître», «filer doux», «se faire tout petit dans son coin» pour éviter la punition qu’on risque de lui infliger. Avec la question positive «que comptes-tu faire ?» (= que penses-tu pouvoir faire ?), il n’y a là pas seulement le sens de l’ordre de ne plus toucher à l’I.S., mais aussi une demande menaçante concernant les réparations qu’il nous doit. À lui de répondre.
«Tes mignons» = les jeunes pédérastes que tu encules. On ne lui reproche pas des mœurs sexuelles, mais on suppose que, pour employer de telles nullités intellectuelles, il faut que De Donato soit mû par une passion amoureuse !
Je crois que c’est tout. Tenez-nous au courant de la suite. Et aussi, le plus vite possible, pour Venise. À bientôt,
Guy
Lettre à l’éditeur De Donato
Lettre sur papier à en-tête
de l’Internationale situationniste.
Le 4 juin 1969
De Donato,
Depuis que trois situationnistes italiens, cosignataires de cette lettre, sont allés malmener, le 24 mai, dans tes bureaux, les deux châtrés — à voir leur vigueur sur le plan intellectuel aussi bien qu’ailleurs — qui te servent de traducteurs et introducteurs (Fantinel et un autre), tu dois savoir que l’Internationale situationniste est désormais attirée sur tes agissements éditoriaux en Italie.
Tu as édité, l’année dernière, La Société du spectacle de Guy Debord, dans une traduction déjà infecte. Tu viens de récidiver avec un pseudo-livre attribué à un certain Vaneigam, dans lequel on arrive à reconnaître, malgré la pluie de contresens qui tombe sur chaque page, le texte Banalités de base et deux autres articles de Raoul Vaneigem.
Fait encore plus grave, si c’est possible, que cette infâme traduction — que l’on croirait faite avec ta queue, si l’on n’était persuadé qu’elle aussi te manque — tu prétends avoir pris des droits de copyright de l’I.S. et te le réserver pour l’Italie. Malgré le mensonge répété par un de tes lâches employés le 24 mai, tu sais très bien que tu n’as ni demandé ni obtenu aucune sorte de copyright de l’I.S. D’ailleurs les textes publiés dans l’I.S. sont explicitement présentés comme libres de tout copyright (nous laissons de côté sur ce point le problème de tes rapports avec l’éditeur Buchet-Chastel). Mais le fait que nous laissions reproduire librement les textes édités par l’I.S. ne veut surtout pas dire qu’un chien de marchand peut espérer nous compromettre, en publiant une caricature de nos écrits. De plus, tes notes d’introduction concentrent en peu de lignes un grand nombre de fausses nouvelles et calomnies. Debord n’est pas un «ex-communiste». L’I.S. a été fondée en Italie en 1957, mais pas à Turin et surtout pas lors d’une exposition. Nous renonçons à t’énumérer les aures falsifications (idéologie, philosophe…) parce que tu es aussi con que Fantinel et donc incapable de comprendre de quoi nous parlons.
Tu es une belle salope, De Donato. Mais crois-tu que tu vas pouvoir continuer tes falsifications dans l’impunité ? Il n’en est rien. Que comptes-tu faire pour te faire oublier ? As-tu l’intention de laisser en vente le faux grossier attribué à Raoul «Vaneigam» ? Comment penses-tu rectifier les mensonges déjà publiés contre l’I.S. par tes mignons ?
Sois assuré que l’organisation révolutionnaire au nom de laquelle nous parlons ne s’abaissera pas à mener contre toi une quelconque procédure devant la justice bourgeoise. Mais si tu ne fais pas maintenant marche arrière, tu en subiras toutes les conséquences personnellement et physiquement.
Comme nous savons que tes employés, dont tu as eu l’audace de faire des «traducteurs» de nos textes, ne comprennent absolument pas le français, et qu’il est pour toi de la plus haute importance de comprendre vite et bien notre lettre, nous en joignons une traduction italienne exacte.
Pour la section française de l’Internationale situationniste :
Debord, Khayati, Sébastiani, Vaneigem, Viénet
Pour la section italienne de l’Internationale situationniste :
Pavan, Salvadori, Sanguinetti
Lettre à Guy Buchet
Paris, le 22 juin 1969
Cher Monsieur,
Je dois vous écrire de nouveau à propos de l’éditeur italien De Donato. Comme je vous en avais exprimé la crainte dans ma lettre du 24 novembre 1968, sa traduction impromptue de La Société du spectacle s’est avérée tout à fait déplorable.
Cependant, M. De Donato ne s’en est pas tenu là. Il vient de publier sans crier gare, dans la même collection, une sorte de livre composé de trois articles de mon ami Raoul Vaneigem, tirés de la revue Internationale Situationniste, et dont j’étais, en quelque sorte, «l’éditeur». Cette traduction est pire que la précédente — c’est tout dire. En outre M. De Donato s’est permis d’y apposer son copyright pour l’Italie, assorti de la mention d’un copyright de l’I.S., revue qui a annoncé en tête de chacun de ses numéros qu’elle ne s’en réservait d’aucune façon. Ce procédé veut donner à croire que j’ai pu autoriser, voire négocier, cette inadmissible traduction de Vaneigem.
Le lendemain de cette parution, trois situationnistes italiens se sont donc présentés dans les bureaux de M. De Donato et ont dû quelque peu malmener ses traducteurs ou directeurs de collection. Ces personnages ont alors essayé de s’abriter derrière de prétendues autorisations qu’ils tiendraient de vous, de moi-même, que sais-je ? Ces stupides mensonges ne leur ont été d’aucun secours. Peu après, avec Vaneigem et quelques situationnistes français, j’ai adressé à M. De Donato une lettre dont le ton est assez dur.
Je tenais donc à vous prévenir des menées de cet éditeur, car sa désinvolture à l’égard du copyright I.S. risque manifestement de se reproduire pour le copyright Buchet-Chastel, qu’il paraît s’être aussi attribué aux moindres frais. Naturellement, je n’ai pas voulu mêler ce problème à notre propre conflit avec M. De Donato, conflit qui est d’une autre sorte. Je suis sûr que vous saurez lui faire respecter les relations qui conviennent entre éditeurs. Mais il me faut savoir comment il procède avec vous, pour que nous en tenions compte lors des interventions futures de mes amis.
Je vous prie donc de me communiquer l’état présent de votre correspondance relative à la malheureuse traduction de mon livre ; et tout autre résultat que vous pourriez constater ultérieurement.
Je vous prie d’agréer, cher Monsieur, mes salutations distinguées.
Guy Debord
P.-S. : Je vous signale que M. De Donato n’est plus à Bari, mais à l’adresse suivante : Casa editrice De Donato, Via Circo 18, Milan.
(…) Ici, nous n’avons rien encore de De Donato. Je vous ai déjà demandé, je crois : à quelle date lui avez-vous transmis notre lettre (avec sa traduction italienne) ?
Ci-joint, la lettre que j’ai écrite à Buchet, parce que De Donato va sans doute le prévenir de ses malheurs ; et surtout pour que l’effet de terreur obtenu avec l’un soit également instructif pour l’autre. Le ton est très poli, et cultive l’euphémisme à un degré inquiétant. (…)
Lettre de Guy Debord à la section italienne de l’I.S., 25 juin 1969.
I falsi di De Donato
Abbiamo già denunciato le due edizioni vergognose di testi situazionisti messe in circolazione del tutto surrettiziamente dall’editore De Donato. Egli non ha mai ricevuto il copyright dalla Casa Editrice francese Buchet-Chastel per La società dello Spettacolo ma, cosa che è più grave, non ha esitato a pubblicare per Banalità di base l’indicazione di una inesistente «proprietà riservata»dell’I.S. Con ciò egli non solo si permette di presentarsi come «l’editore riservato» di questi testi in Italia, ma assume anche l’aria di averli negoziati con noi ! Ma ciò in cui i responsabili hanno esagerato e che toglie loro ogni diritto per il passato, per il presente e per il futuro, è il trattamento cui hanno sottoposto questi testi che ne sono usciti completamente sfigurati. E se le«traduzioni» deformano deliberatamente, le introduzioni mentono sapendo di mentire. Non si tratta solo di un imbroglio particolarmente grave, che non rispetta nemmeno le regole commerciali di questo genere di imprese ; noi consideriamo che, fra tutte le azioni ostili compiute da piccoli mistificatori pericolosi, questa sia una delle più insidiose, come può esserlo un’operazione semi-riguardosa nei nostri confronti e sostanzialmente falsificatrice. L’I.S. si è trovata spesso nella condizione di doversi difendere dalle distorsioni mediocri delle sue posizioni, compiute sempre in un modo o nell’altro nella ricerca cosciente di un successo di seconda mano, ma non era mai accaduto che venisse usata per una degradazione al livello infimo della mercificazione spettacolare di un «dissenso» a cui noi non riserviamo che violenze. Se ciò è stato possibile due volte, in Italia e nel silenzio, ora riuscirà più difficile.
Queste non sono solo delle precisazioni indispensabili, sono una diffida ai mercanti dell’informazione truccata. Per loro le parole non bastano. Lo sanno bene Valerio Fantinel e l’altro bastardo, autore delle introduzioni. Se avevano lasciato intendere che il «movimento situazionista» era morto e sepolto da tempo, se confidavano che almeno fosse lontano e non li potesse raggiungere, hanno dovuto constatare personalmente la realtà di questi fantasmi. In maggio, qualche giorno dopo l’uscita di Banalità di base, tre situazionisti li hanno affrontati e dissuasi dall’occuparsi ancora dell’I.S. Le poche parole che i due hanno avuto il coraggio di dire sono bastate per accumulare le menzogne, che essi si credevano ancora tenuti a dare sotto forma di spiegazioni. Cambiando menzogna ad ogni momento senza sostenerne nessuna non appena dovevano accorgersi della sua inconsistenza, hanno anche azzardato ingenuamente l’affermazione di aver ricevuto una lettera dagli autori. Ma tutta la loro protervia, che gli lasciava immaginare di poter trattare la cosa con leggerezza pur di avere l’apparenza di salvare la«faccia», ha dovuto cadere di colpo senza alcuna dignità appena sono stati presi alla gola da uno solo di noi. Questi individui incalliti, a cui non fa difetto alcuna arroganza, in realtà tollerano tutto, e per due volte i nostri sputi sulla loro faccia. Indubbiamente questo fatto dà da pensare.
In ogni caso non potranno sperare di archiviare il fatto come uno spiacevole episodio. Pubblichiamo qui la traduzione della lettera inviata a De Donato, il 4 giugno :
Internazionale situazionista all’editore De Donato
De Donato,
Dopo che tre situazionisti italiani, cofirmatari di questa lettera, sono andati a malmenare, il 24 maggio, nei tuoi uffici, i due castrati — se si considera il loro vigore sul piano intellettuale cosi come nel resto — che ti servono da traduttori e introduttori (Fantinel e un altro), devi sapere che l’attenzione dell’Internazionale situazionista è ormai attirata sulle tue mene editoriali in Italia.
Tu hai pubblicato, l’anno scorso, La Société du Spectacle di Guy Debord, in una traduzione già infetta. Ora sei recidivo con uno pseudo-libro attribuito a un certo Vaneigam, nel quale si giunge a riconoscere, malgrado la pioggia di controsensi che si rovescia su ogni pagina, il testo Banalités de base e due altri articoli di Raoul Vaneigem.
Fatto ancora più grave, se ciò è possibile, di questa infame traduzione — che si crederebbe fatta col cazzo, se non si fosse convinti che ti manca anche quello — tu pretendi di aver avuto i diritti di copyright dell’I.S. e di riservarteli per l’Italia. Malgrado la menzogna ripetuta da uno dei tuoi flaccidi impiegati il 24 maggio, tu sai molto bene di non aver né chiesto né ottenuto alcun genere di copyright dell’I.S. D’altronde i testi pubblicati nell’I.S. sono esplicitamente presentati come liberi da qualunque copyright (lasciamo da parte a questo proposito il problema dei tuoi rapporti con l’editore Buchet-Chastel). Ma il fatto che noi lasciamo riprodurre liberamente i testi pubblicati dall’I.S. non vuole affatto dire che un cane di mercante possa sperare di comprometterci, pubblicando una caricatura dei nostri scritti. In più, le tue note introduttive concentrano in poche righe un gran numero di notizie false e di calunnie. Debord non è un «ex-comunista». L’I.S. è stata fondata in Italia nel 1957, ma non a Torino e soprattutto non in occasione di un’esposizione. Noi rinunciamo a enumerarli le altre falsificazioni (ideologia, filosofo…) perché tu sei altrettanto coglione di Fantinel e dunque incapace di capire ciò di cui parliamo.
Tu sei una bella sgualdrina, De Donato. Ma credi di poter continuare le tue falsificazioni nell’impunità ? Proprio per niente. Che cosa conti di fare per farti dimenticare ? Hai intenzione di lasciare in vendita il falso grossolano attributo a Raoul «Vaneigam» ? Come pensi di rettificare le menzogne già pubblicate contro l’I.S. dai tuoi piccoli mantenuti ?
Sta’ sicuro che l’organizzazione rivoluzionaria nel cui nome noi parliamo non si abbasserà a muovere contro di te un qualunque procedimento davanti alla giustizia borghese. Ma se tu ora non fai marcia indietro, ne subirai tutte le conseguenze personalmente e fisicamente.
Poiché sappiamo che i tuoi impiegati, di cui hai avuto l’audacia di fare dei «traduttori» dei nostri testi, non capiscono assolutamente il francese, e visto che è per te della massima importanza comprendere subito e bene la nostra lettera, noi uniamo una traduzione italiana esatta.
Per la sezione francese dell’Internazionale situazionista :
Debord, Khayati, Sébastiani, Vaneigem, Viénet
Per la sezione italiana dell’Internazionale situazionista :
Pavan, Salvadori, Sanguinetti
Internazionale situazionista no 1, luglio 1969.
Les faux de De Donato
Nous avons déjà dénoncé les deux honteuses éditions de textes situationnistes mises subrepticement en circulation par l’éditeur De Donato. Il n’a jamais reçu des éditions Buchet-Chastel le copyright pour la Société du spectacle, mais, chose plus grave, il n’a pas hésité à publier Banalités de base sous l’indication d’une inexistante «propriété réservée» de l’I.S. Par cela, il ne se permet pas seulement de se présenter comme «l’éditeur réservé» de ces textes en Italie, mais il se donne même l’air de les avoir négociés avec nous ! Mais ce en quoi les responsables ont exagéré et qui leur ôte tout droit pour le passé, pour le présent et pour le futur, c’est le traitement auquel ils ont soumis ces textes, qui en sont sortis complètement défigurés. Et si les «traductions» déforment délibérément, les introductions mentent, conscientes de leurs mensonges. Il ne s’agit pas seulement d’une escroquerie particulièrement grave, qui ne respecte même pas les règles commerciales de ce genre d’entreprise ; nous considérons qu’entre toutes les actions hostiles accomplies par de dangereux petits mystificateurs, celle-ci est l’une des plus sournoises, comme peut l’être une opération semi-respectueuse à notre égard et essentiellement falsificatrice. L’I.S. s’est souvent trouvée en situation de devoir se défendre des distorsions médiocres de ses positions, toujours effectuées d’une manière ou d’une autre dans la recherche consciente d’un succès de seconde main, mais il n’était jamais arrivé qu’elle ait été utilisée pour une dégradation au niveau le plus bas de la commercialisation spectaculaire d’une «opposition» à laquelle nous ne réservons que violence. Si cela a été possible deux fois, en Italie et dans le silence, cela réussira plus difficilement maintenant.
Ce ne sont pas là seulement des précisions indispensables, mais une sommation à l’encontre des marchands de l’information truquée. Pour eux, les mots ne suffisent pas. Ils le savent bien, Valerio Fantinel et l’autre salaud, l’auteur des introductions. S’ils ont laissé entendre que le «mouvement situationniste» était mort et enterré depuis longtemps, s’ils espéraient qu’il était au moins suffisamment loin et ne pourrait pas les atteindre, ils ont dû constater personnellement la réalité de ces chimères. En mai, quelques jours après la parution de Banalités de base, trois situationnistes les ont agressés et dissuadés de continuer de s’occuper de l’I.S. Le peu de mots que les deux personnages ont eu le courage de prononcer a suffi pour accumuler les mensonges, qu’ils se croyaient encore tenus de donner en guise d’explications. Changeant de mensonges dès qu’ils devaient convenir de leur inconsistance, ils se sont même naïvement hasardés à affirmer qu’ils avaient reçu une lettre des auteurs. Mais toute leur arrogance, qui leur faisait imaginer qu’ils pourraient traiter la chose avec légèreté pour avoir l’air de sauver la «face», s’est effondrée d’un coup dans l’indignité sitôt qu’un seul d’entre nous les eut pris au collet. Ces individus indécrottables auxquels il n’a manqué aucune arrogance ont en réalité supporté tout, dont par deux fois nos crachats au visage. Sans nul doute, voilà qui donne à penser.
En tout cas, ils ne pourront espérer classer l’événement comme un épisode fâcheux. Nous publions ici la traduction de la lettre envoyée à De Donato, le 4 juin :
L’Internationale situationniste à l’éditeur De Donato
(…)
Internazionale situazionista no 1, juillet 1969
Traduit de l’italien par Joël Gayraud & Luc Mercier
(…) «L’ami de l’Asiate» [Claudio Pavan] écrit dans un français très clair. Mais l’affaire De Donato se présente mal. Je ne pense pas qu’il serait bon que je téléphone moi (ou Raoul) à De Donato pour avoir un rendez-vous. Il y a trop grandes chances qu’il sente bien sur quel ton se passerait la rencontre ; et rien ne lui serait plus facile que de s’y dérober. Ainsi, il aurait en plus la satisfaction de nous avoir fait faire une démarche vaine auprès de lui, et il serait toujours aussi peu frappé. Il faudra trouver à Venise un procédé efficace. (…)
Lettre de Guy Debord à la section italienne de l’I.S., 20 septembre 1969.