Le capitalisme coopératif ou l'effet placebo du social-libéralisme
Nous avons eu la chance, hier à Besançon, de pouvoir participer à une réunion-débat organisée par l'aile Montebourg du Parti Socialiste, en vue des primaires présidentielles, sur le grand thème mis en avant par ce candidat : le capitalisme coopératif. Déjà, dès le départ, ça ne sent pas très bon, on se dit qu'il y a une contradiction, quelque chose d'antinomique, qu'il ne peut y avoir qu'une vaste blague derrière une idée pareille, nous sommes alors plusieurs, parmi les étudiants anticapitalistes, à décider d'aller voir cela de plus près. Sans regret, on a pu y entendre un exposé de bons profiteurs que nous avons eu tout le loisir de contredire en permanence.
Deux heures de débats stériles en somme, puisque l'intervenant reconnaîtra lui-même qu'il ne peut y avoir de convergence entre nous et lui, admettant délibérément par son acceptation du modèle capitaliste l'existence des inégalités sociales et l'exploitation d'une part de l'humanité par une autre. Si une réunion de ce genre se tient dans votre commune, allez-y sans hésiter, il est toujours bon de voir les exploitants être obligés d'avouer leur approbation des inégalités.
En gros, voici en quoi consiste ce que les «Montebourgeois» nomment «leur transformation du système» : reprendre des mains des seuls actionnaires les bénéfices générés pour que les travailleurs puissent aussi en obtenir la propriété. En se basant sur le système coopératif qui permet à chaque coopérant d'influer sur la marche de manœuvre de l'entreprise, on y réinjecte de la démocratie en ne laissant plus aux patrons, aux managers et aux conseils d'administrations les pleins-pouvoirs. Jusqu'ici l'idée est intéressante, elle apporte une reconnaissance aux travailleurs et leur permet de s'approprier leur lieu de travail et ce qui s'y fait.
Cependant, dans une perspective capitaliste, elle ne remet pas en cause l'inégalité des salaires et la hiérarchie. Le projet suit la ligne éternelle des «socialos» : jeter des miettes aux travailleurs pour calmer leur faim de changement réel, se prémunir d'une éventuelle révolution qui pourrait faire exploser le piédestal des classes supérieures. Elle ne remet pas non plus en cause la précarité. En effet, les bénéfices de l'entreprise ne servent pas à l'enrichissement du travailleur mais sont destinés à être réinvestis dans l'entreprise ; donc si l'entreprise est en péril, tout le monde paye, les salariés se voient ainsi contraints de dévaluer leurs revenus. Face à un système basé sur la concurrence, nul ne peut prédire la prospérité d'une entreprise, et le but recherché — celui du profit — ne met toujours pas le travailleur à l'abri d'une perte d'emploi.
Devant la crise économique due à la stupidité des boursicoteurs, le capitalisme coopératif permet aux bénéfices de ne plus être utilisés n'importe comment si les travailleurs refusent de mettre en danger le capital, cela est plutôt une bonne nouvelle mais hélas, c'est bien la seule.
On n'assiste là à aucune remise en question du modèle productiviste (puisque s'il y a capitalisme, il y a profit, et s'il y a profit, il y a productivisme). Pour assurer la prospérité de ces profits et de ce productivisme, il ne peut y avoir non plus de remise en question des inégalités Nord / Sud, de l'exploitation par les sociétés occidentales des ressources des pays «en voie de développement». Le capitalisme doit vivre puisque son extinction bouleverserait nos modes de consommation, et il nous a suffit de constater le soin pris par nos interlocuteurs de se présenter en occidentaux parfaits, fringués aux dernières modes et truffés d'apparats (bijoux, lunettes de marque, montres reluisantes et même gel dans les cheveux…) pour comprendre qu'il n'y a chez eux aucune perspective de bouleverser le mode de consommation élitiste des occidentaux. Or, toute la rupture entre eux et nous se situe là, nous ne voulons pas d'un système qui serait quand bien même la part belle aux travailleurs français (et on a vu dans quelles mesures…) si ce système ne rééquilibre pas les richesses entre les Nords et les Suds en supprimant l'exploitation des seconds par les premiers.
La crise écologique pointe son nez de plus en plus près et ça crie encore à la gloire du capitalisme ! Il n'y a pas d'alternative à la destruction de la planète, il faut stopper la croissance et cela ne se fera pas sans stopper les profits, le problème du libéralisme — même teinté de charité sociale façon PS — c'est qu'il refuse d'abandonner la surabondance.
Voilà pourquoi nous ne pourrons jamais considérer ces gens-là comme de vrais socialistes, surtout quand ils nous parlent de capitalisme coopératif, car le constat est tout simple : le vrai socialiste ne peut pas pratiquer le capitalisme coopératif, s'il est un vrai socialiste, et bien il pratique le socialisme coopératif !
La cerise sur le gâteau, ce sont les primaires à l'américaine que nous mijotent le PS puisqu'il ne sera pas nécessaire d'avoir sa carte au parti pour voter, une participation symbolique d'un euro ouvrira les urnes à quiconque veut choisir avec eux celui qu'ils appellent «le candidat de la Gauche». Assez fantastique fut la façon dont les Montebourgeois nous y ont invité, persuadés d'être la seule réponse envisageable face à l'UMP.
Ils ont oublié un principe tout simple, il y a bien longtemps que nous n'estimons plus le PS comme un parti de gauche (et pour nombreux d'entre nous, que nous ne comptons plus sur aucun parti) pour la simple et bonne raison que pour être de gauche, il faut être un socialiste, un vrai.
Décroissance libertaire, 3 février 2011.