La loi, c'est la loi, et même un peu plus
Pour monsieur Combien-ça-va-coûter et madame, née C’est-nous-qui-paye, contribuables nationaux sans bouclier, l’organisation d’une manifestation pour dénoncer l’intolérable du monde dit carcéral est probablement un abus que l’État ne devrait pas tolérer.
Ces braves gens seraient sans doute ravis si on leur faisait remarquer à quel point notre vocabulaire, dans des expressions comme «administration pénitentiaire» ou «code pénal», a gardé la nostalgie de temps, pas si éloignés, où il s’agissait de punir et de châtier en broyant des corps.
Ils en regretteraient presque les bagnes…
Quant à l’état des prisons, s’ils ne l’imaginent pas idyllique, ils y sont indifférents : en bons toutous pavloviens du sarkozisme, ils pourront déclarer, au vu des divers rapports alarmants, que eux, voyez-vous, en tout état de cause, ils se placent résolument du côté des victimes.
Ayé ! z’ont trouvé le mot !
Les braves gens ne sont pas venus, le dimanche 28 mars, à la marche contre l’enfermement et en solidarité avec les personnes incarcérées à la prison de la Santé, organisée par divers collectifs anti-carcéraux, qui devait partir de la place Denfert-Rochereau et se terminer par un concert à l’angle du boulevard Saint-Jacques et de la rue de la Santé.
Le tract de la manifestation parisienne
du dimanche 28 mars 2010.
Deux cents personnes étaient là, un peu étonnées de l’importance du dispositif policier, mais voulant se rassurer : la manifestation-concert avait été déposée en préfecture et était autorisée.
Cent dix manifestants ont été interpellés par les forces de l’ordre.
Sur le déroulement de cette parfaite opération de rafle après encerclement, on peut lire assez peu d’articles dans la presse du lundi. Il est vrai que, selon @rrêt sur images, l’AFP n’a publié sa brève dépêche qu’à 20h59…
Tous les papiers reprenaient en cœur la version officielle :
«Ces personnes ont été interpellées à l’arrivée de la manifestation pour dégradations de biens publics et de biens privés.»
Le soir même, Indymedia Paris-Île-de-France publiait un témoignage et un communiqué appelant à un rassemblement de soutien pour le lendemain.
Ubifaciunt, dans Article XI, donne de la soirée du 28 et du rassemblement du 29 «qui n’eut finalement jamais lieu» un très beau récit qui s’ouvre sur une citation de René Char et s’achève par ce point d’orgue :
Hors de toute référence, voir l’Occupant, en bleu. Partout.
Surtout, n’avoir rien à déclarer.
Et attendre.
Je lui emprunte son illustration,
et je remets le lien dessus,
pour que vous ne ratiez pas le clic.
Le Monde, après avoir quasiment ignoré l’exploit policier du boulevard Saint-Jacques, a apporté dans la soirée du lundi, des précisions, négligées par ses confrères, sur le prétexte légal de cette opération.
Selon Soren Seelow qui signe cet article, la rafle, qui a permis d’arrêter plus de la moitié des manifestants, aurait été justifiée aux yeux de la préfecture par les faits suivants :
«Une fusée de détresse marine a été tirée par un manifestant vers la vitre d’un appartement, et d’autres avaient enfilé des cagoules.»
Les interpellations et les gardes à vue qui ont suivi auraient été décidées «dans le cadre de la loi du 2 mars 2010, dite loi sur les bandes».
Cette loi s’énonce ainsi :
Selon l’article 222-14 du code pénal modifié, «le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15'000 euros d’amende».
Quelques vitres brisées et quelques cagoules auront suffit pour tester une légère extension de la loi anti-bandes, si nécessaire pour protéger les braves gens et leurs biens, à ces groupements formés de manière temporaire que sont les cortèges de manifestants…
Cela en fait un acceptable substitut de feue la loi anti-casseurs.
Apparemment, nos talentueux éditocrates n’y ont vu que du bleu.
L’escalier qui bibliothèque, 1er avril 2010.