La brèche chiapanèque

Publié le par la Rédaction

 

Dans le cadre de la stratégie appliquée par les États-Unis au Mexique visant l’occupation de lensemble du spectre (full spectrum), le Chiapas occupe, en raison de ses caractéristiques particulières, une place centrale sur la carte du Pentagone. La géographie chiapanèque fait partie de la «brèche» (the gap), cest-à-dire des zones dangereuses où lhégémonie du système capitaliste mondial doit développer une politique agressive de prévention, de dissuasion, de contrôle et dimposition des normes de fonctionnement correspondant aux intérêts corporatifs de la nation impériale, et aussi de désarticulation et délimination des dissidents et/ou des insurgés considérés comme des ennemis.

 

Il convient de le répéter, on ne peut comprendre ni expliquer le système capitaliste sans le concept de guerre. La guerre est la forme essentielle de reproduction de lactuel système de domination ; la guerre est consubstantielle à la phase actuelle de conquête et de reconquête néocoloniale des territoires et des lieux socialisés. Mais cest aussi un négoce, une manière dimposer la production de nouvelles marchandises, douvrir des marchés, cela afin dobtenir des profits. Dans ce contexte, la brèche chiapanèque se situe dans une aire riche en biodiversité, où existent dimportantes ressources stratégiques en eau, pétrole et minerai ce qui explique la volonté dappropriation de ces terres en vue de leur exploitation.

 

Ajoutons que loin du tapage médiatique actuel, le Chiapas, et en particulier laire sous le contrôle des autonomies zapatistes, est une zone de création et de résistance civile et pacifique au projet néolibéral. Une aire où se développent de nouvelles formes démancipation et de construction de liberté collective à linitiative de divers membres de la société et de mouvements antisystémiques, ce qui enrichit la pensée critique, éthique et anticapitaliste. Ces forces opèrent en marge des règles du jeu et des us et coutumes du système et portent le fer dans le champ culturel où prennent racine la mémoire historique, les cosmovisions et les utopies. Il sagit dun nouveau sujet historique, qui ne croit plus désormais aux bienfaits des emplâtres (sur une jambe de bois), des réformes à lintérieur du système et, loin des vieilles et des nouvelles formes dassimilation et de cooptation, expérimente une autre manière de «faire de la politique» et de construire un pouvoir alternatif à partir du bas. Un vrai pouvoir populaire, dautogestion, pluriel, et de démocratie participative authentique, avec ses conseils de bon gouvernement, ses communes autonomes et ses autorités communautaires.

 

Pour toutes ces raisons, lEZLN, ses bases dappui et ses alliés représentent un danger réel, un défi stratégique pour Washington et les grandes corporations des secteurs militaires, miniers, énergétiques, biotechnologiques, agroalimentaires, pharmaceutiques, hôteliers et du pseudo-écotourisme qui livrent désormais une guerre sordide pour la terre et le territoire chiapanèques. Ceux qui vivent dans les endroits et les territoires où il y a de leau, des forêts, des connaissances ancestrales, des codes génétiques et autres «marchandises» sont, quils le veuillent ou non, des ennemis du capital. Cest pourquoi nous assistons à une offensive qui a pris la forme dune guerre intégrale, cachée, asymétrique, irrégulière, prolongée et dusure, cherchant à discipliner, soumettre et/ou éliminer la résistance du paysan indien rebelle pour mettre sur pied une restructuration du territoire en accord avec les intérêts et les exigences monopolistiques de classe. Il sagit dune guerre de privatisation, de déplacement territorial, et de dépouillement social, qui sappuie sur la militarisation, la paramilitarisation du conflit, la contention des mouvements sociaux et la criminalisation de la protestation, afin de faciliter la libre accumulation capitaliste des transnationales et de leurs alliés régionaux, ceci en imposant le modèle dagriculture et despace rural agressif dominant ; un modèle de mort au bénéfice du grand capital.

 

Lors de sa dernière apparition publique [En fait, la dernière apparition publique du sous-commandant a eu lieu en janvier 2009, lors du Festival de la Digne Rage, au Chiapas — NdC], en décembre 2007, le sous-commandant Marcos a alerté sur la réactivation des agressions militaires, policières et paramilitaires dans la zone dinfluence zapatiste. Il a dit : "«Nous, qui avons fait la guerre, savons reconnaître les chemins par lesquels elle savance et se rapproche. Les signes de guerre à lhorizon sont clairs. La guerre, comme la peur, a aussi une odeur. Et maintenant, on commence à respirer son odeur fétide sur nos terres.» Il a alors annoncé que lEZLN allait entrer dans une nouvelle phase de silence et quil se préparait à résister seul — abandonné par lintelligentsia progressiste et de gauche face à la supposée «baisse daudience médiatique et théorique» du zapatisme — pour défendre la terre et le territoire récupéré depuis 1994 et sous contrôle des autonomes devant cette nouvelle offensive quest en train de préparer lémule de Victoriano Huerta, Felipe Calderón, avec son capitalisme de caserne.

 

Depuis lors, partie intégrante de cette stratégie doccupation de lensemble du spectre dessinée par le Pentagone, la géographie chiapanèque sest remplie de barrage et de véhicules de lartillerie militaire ; ont réapparu les opérations de dissuasion et dintelligence, les patrouilles et les survols des positions considérées comme des zones rouges ; larmée sest repositionnée dans les communautés qui avaient des antécédents de résistance civile alors que les autorités locales et fédérales expropriaient avec violence les communautés indigènes de la Réserve de biosphère des Montes Azules et dautres lieux ; avec cette stratégie de spoliation et de contrôle territorial, sous couvert de protection de la nature et de conservation des espèces, on cherche à déplacer la population pour faciliter lappropriation et la marchandisation de la terre et des ressources naturelles par le grand capital. Cela explique aussi que, manipulés depuis le siège de la Zone militaire 31 de Rancho Nuevo, les groupes paramilitaires comme la Opddic (Organisation pour la défense des droits indigènes et paysans) et la dénommée Armée de Dieu (sous un déguisement évangélique) sont en train dagresser et de détruire des communautés zapatistes. 

 

Carlos Fazio - Texte paru dans «La Jornada» du 19 avril 2010.
 Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte.

 


Publié dans Internationalisme

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