Journée d'émeutes à Rome - 14 décembre

Publié le par la Rédaction

 

Une journée de conflictualité hors de toute prévision. Ce matin l’attente était palpable à Rome, pour le vote de confiance au gouvernement Berlusconi. Trois cortèges se sont finalement joints dans une énorme manif, plus de 80 cars de manifestants avaient rejoint la capitale pour l’occasion.

 

 

De la citadelle universitaire, le book-bloc, suivi de dizaines de milliers d’étudiants, se met en marche avec la banderole «Vous allez à la dérive, nous fendons la mer», pendant que la ville se remplit de tous ceux qui sont en train de subir cette classe politique de mafieux, faite de crise et d’austérité : le mouvement NO-TAV (la résistance au TGV dans la vallée de Susa), les gens de l’Aquila (la ville qui a subi un violent tremblement de terre il y a plus d’un an et qui n’a jamais vu la reconstruction fantasmée par Berlusconi), les comités de base contre l’émergence des ordures à Naples, les Centri Sociali, la FIOM (syndicat des métallos, l’aile la plus «dure» du CGIL) et les activistes pour le droit au logement de ACTION. Un silence irréel, cassé seulement par le bruit des hélicoptères de la police, règne à Piazza Venezia quand les manifestants se réunissent dans l’attente de voir si la caste politique aura le culot de renouveler sa confiance en elle-même après cet automne d’intenses luttes.

 

Le gouvernement décide de rester au Parlement et la rage de se manifester dans la rue.

 

 

 

Le cortège, sous le rouge des fumigènes, bouge rapidement vers Palazzo Grazioli (résidence personnelle de Berlusconi) qui commence à être ciblée par des tirs de pétards, des cailloux et des sachets remplis de merde. Les manifestants, avec des casques et des bâtons, essayent de forcer le bloc de la police pour rejoindre le Parlement au cri de «Vous êtes tous des vendus». Dans les passages, des bombes «carta» sont exposées et des dizaines de vitrines de banques (Deutsche Bank et autres) et assurances explosent dans la principale rue commerciale de la ville. Les étudiants commencent à courir, prenant des chaises et des tables des bars du centre, commencent des affrontements avec la police qui recule, des poubelles ainsi que des voitures de luxe sont brûlées au milieu de la rue. La Police renferme la protection autour du palais du pouvoir et essaye de repousser les manifestants avec de charges latérales et des lancers de lacrymogènes. Mais les émeutiers résistent et donnent l’assaut à des blindés garés un peu plus loin avec des pierres et des pelles. Les flics sont obligés de reculer, mais quelques-uns n’arrivent pas à s’enfuir et se font tabasser par les des manifestants. Entre-temps, des sachets d’ordures sont balancés sur le siège national de la Protection civile, au centre des scandales sur les déchèteries de Naples et une bombe «carta» atteint un député qui tentait de s’enfuir du Sénat. Difficile de partir du Parlement pour les «élus du peuple» car les autos institutionnelles sont ciblées par des cailloux et doivent rentrer vers le Parlement. Finalement, une barricade est érigée pour protéger la retraite des étudiants vers la citadelle universitaire, qui bloquent le trafic et boutent le feu à plusieurs poubelles sur leur passage. Au moins cinq véhicules des forces de l’ordre, blindés et voitures, ont été brûlés pendant la journée. Plus de quarante arrestations et autant de blessés parmi les manifestants, presque soixante agents contusionnés.

 

 

Les journaux et les politiciens flippent, Pier Luigi Bersani, chef du principal parti de «gauche» exprime sa solidarité aux flics pendant que les médias bourgeois bafouillent des histoires de black-blocs et de retour aux années ’70.

 

Petite note marrante, à Milan, les étudiants font irruption dans la bourse avec une banderole : «Fatras d’affairiste, racistes, voleurs, mafieux. Fund our future. Vous devez nous donner l’argent.»

 

Le commentaire de la rédaction de infoaut.org
La journée d’aujourd’hui nous consigne quelques indications de fond par rapport à la force du mouvement des étudiants et à sa capacité de répondre à la crise qui nous entoure. Aujourd’hui, pour de vrai, «noi la crisi non la paghiamo» (nous la crise ne la payons pas) se fait programme traduit en acte. Encore une fois il faut faire quelques «arrêts sur image» pour pouvoir raconter la journée de lutte en ce bienvenu 14 décembre romain. D’un côté les rixes dans les salles du Parlement, un peu mac, un peu à la solde des infâmes ; de l’autre côté un mouvement qui est bien conscient de la distance entre les représentations des journaux télévisés et la nue réalité. D’une part ceux qui disent que la crise, on est en train de la laisser derrière nous, et qu’ils peuvent continuer à gouverner grâce à un «gouvernement solidissime» ; de l’autre ceux qui voient arriver un futur noir sans perspectives et avec les premiers effets des coupures budgétaires qui détruisent toute possibilité de mobilité sociale future.
La méfiance envers le gouvernement Berlusconi n’a pas eu lieu dans les palais du pouvoir mais on l’a conquise dans les rue et dans les places de Rome. Le gouvernement «solide et ferme» devra avoir à faire — dès demain — avec ces subjectivités et leurs insurgences futures.
Londres appelle, Rome répond. Il n’y a même pas une semaine, c’était la bagnole de la maison royale qui croisait — par hasard, comme une erreur de système — un des nombreux essaims qui traversaient les rues de la capitale anglaise. Aujourd’hui quelques autos institutionnelles ont eu de la peine à ramener chez eux les politiciens.
Et ainsi, les diatribes auto-référentielles des parlementaires ont laissé la place à la matérialité d’un réel qui, aujourd’hui, a fait irruption sur la scène politico-médiatique, avec toutes ses duretés et les saines craintes de ceux qui sont en haut. 

 

Le Réveil, 14 décembre 2010.

 

 

Publié dans Éducation

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