J. S. (1947-2010)
Un communiqué des Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, daté du 9 août 2010, a annoncé la mort de Jaime Semprun, survenue six jours plus tôt. Cette nouvelle n’a suscité, pour l’instant, aucun commentaire dans la presse écrite, à la notable exception d’un article de Jean-Luc Porquet, publié dans Le Canard enchaîné du 11 août. Signalons aussi une succincte nécrologie insérée dans Libération du 10 août [Depuis la parution de ce billet, Marianne du 21 août 2010 a publié un article d’hommage d’Éric Conan. Il ressert le même lieu commun que Porquet, présentant Jaime Semprun comme un «fidèle de Guy Debord».].
Les réactions ont été un peu plus nombreuses sur la toile. La plupart se contentent de citer le communiqué de l’Encyclopédie des Nuisances ou l’article de Porquet. Certains commentateurs ont toutefois pimenté leur cuisine d’assemblage en ajoutant quelques ingrédients de leur crû. L’un croit savoir que Jaime Semprun fut membre de l’Internationale situationniste [La version originale du billet de Laurent Margantin, publiée le 12 août 2010, qualifiait Jaime Semprun d’«ancien membre de l’Internationale situationniste». L’auteur a par la suite effacé et corrigé son erreur initiale, indiquant plus justement que Jaime Semprun «s’est intéressé de près à l’Internationale situationniste».]. Un autre illustre sa nécrologie d’une photo de Jorge Semprun, le père du défunt.
Si le lien familial unissant les deux Semprun n’a échappé à aucun de ces internautes, personne n’a souligné que Claude Roy, le second époux de Loleh Bellon, était le beau-père de Jaime Semprun. Il avait pourtant fait l’éloge du Relevé provisoire de nos griefs contre le despotisme de la vitesse dans Le Rivage et les jours (1990-1991). On retrouve aussi au catalogue des Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances deux auteurs proches de Claude Roy, Kostas Papaioannou et Jean Lévi.
La rumeur de cette mort n’étant pas encore retombée, profitons-en pour rappeler que les deux premiers livres de Jaime Semprun, La Guerre sociale au Portugal et le Précis de récupération, sont épuisés [Dans l’Opinion du 27 août 2010, Christian Authier présente improprement ces deux «essais» comme des «éditoriaux».]. C’est le moment de se souvenir que le premier de ces deux ouvrages reste à ce jour la meilleure analyse de la révolution prolétarienne au Portugal, camouflée sous l’habillage «démocratique» de révolution des Œillets.
Jean-Luc Porquet observe : «De l’aventure situationniste menée dans les années 60 par Guy Debord et sa bande, et dont on sait qu’elle fut la seule à conduire une pensée radicale, novatrice, tranchante, “L’Encyclopédie”, d’abord revue puis maison d’édition, fut le seul surgeon vivace.» Cette image n’est pas, croyons-nous, «de celles qui servent à imaginer juste», comme l’écrivait Semprun dans L’Abîme se repeuple. Certes, L’Encyclopédie des Nuisances s’inscrivit à l’origine dans le droit fil de la critique des nuisances, élaborée dès le début des années 70 par Guy Debord dans La Véritable Scission. Mais il y a loin du brillant Discours préliminaire de novembre 1984 à quelques-uns des derniers ouvrages publiés par les Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, la critique de la société du spectacle cédant progressivement le pas à celle de la société industrielle. Cette évolution, discrète et teintée d’amertume chez Semprun, est manifeste chez quelques-uns des auteurs qu’il a publiés, l’ex-situationniste René Riesel et l’universitaire Jean-Marc Mandosio (dont Le Chaudron du négatif, qui a ébloui Jean-Luc Porquet, nous semble tout sauf «lumineux»). De telle sorte que cette Encyclopédie est devenue plus proche, pour finir, d’Anders et de Kaczynski que de Marx et de Debord.
Jules Bonnot de la Bande, 15 août 2010 (version augmentée le 27 août).