Indymedia, flics et journaflics
En annonçant, jeudi dernier, son intention de déposer plainte contre le site Internet qui publie des photos de policiers en civil, Brice Hortefeux a contribué à sa médiatisation. Enquête.
Le piège a été habilement préparé. Le 18 décembre, le site «d’information alternatif» Paris.indymedia mettait en ligne plusieurs photos de policiers en civils, prises durant des manifestations. Toutes sont accompagnées de commentaires jugés diffamatoires, tel que «sans brassard, gueule invisible pour bien caillasser».
L’auteur de l’article promettait d’identifier «un à un ces déchets», afin que «l’insécurité gagne leur camp». Quelques jours plus tard, alerté par un communiqué du syndicat de gardiens de la paix Alliance, Brice Hortefeux annonçait son intention de déposer plainte.
Plaçant, du coup, Indymedia sous le feu des projecteurs. Lundi, les photos litigieuses ont été retirées. Mais fort de sa nouvelle notoriété, le collectif gérant le site est bien décidé à ne pas en rester là. Et appelle désormais ses membres à redoubler de prudence lorsqu’ils publieront, à l’avenir, des articles dit de «copwatching».
Né aux États-Unis dans les années 1980, le copwatching est un des concepts dont s’inspire Indymedia. Des patrouilles de citoyens filment ou photographient des interventions policières et les diffusent après sur le Net. Objectif : lutter contre les bavures. En France, les membres lillois d’Indymedia listent, depuis 2006, les identités et les photos des membres des BAC locales, principalement pêchées sur Facebook. «À Lille, Arras comme à Bruxelles, nous souhaitons transmettre de nouvelles informations sur ceux qui aiment défoncer la gueule aux manifestants ou encore “filmer le cul des filles sous tous les angles” comme dirait un bakeu», expliquent-ils sur leur page Web. Précisant même que «depuis quatre ans, jamais une plainte n’a été recensée».
Les auteurs de ces publications disent agir sous couvert d’un avis de recommandations de la commission nationale de déontologie, datant de 2005. «Les journalistes et les particuliers ont le droit de photographier et de diffuser des photos des forces de l’ordre si elles ne portent pas atteinte à la liberté de la personne ou au secret de l’instruction», avertit cette commission. «Certes. Mais Indymedia peut être attaqué pour atteinte au respect de la vie privée, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, lorsque des informations personnelles sont publiées. Il semble difficile en l’espèce de considérer que ces éléments relèvent du droit à l’information», explique Maître Alan Walter, avocat au barreau de Paris, spécialisé en propriété intellectuelle et dans les nouvelles technologies. Et d’ajouter que les auteurs de l’article et le directeur de la publication pourraient, aussi, être poursuivi pour «diffamation», «injure» et «outrage».
Un coup médiatique
Mais les membres d’Indymedia sont prudents. Le nom de domaine appartient à une obscure association brésilienne. Les articles publiés ne sont pas signés. Et l’éditeur du site n’est mentionné nulle part. «Dans ce cas, la loi prévoit que l’hébergeur doit désactiver l’accès à un contenu manifestement illicite lorsque celui-ci lui est notifié», détaille Me Walter. En 2004, le FBI a saisi plusieurs serveurs en Angleterre, sur demande des gouvernements suisse et italien. Provoquant alors la fermeture temporaire de plus de 20 sites Indymedia à travers le monde. Depuis, ils sont abrités par la société Monkey Brains, basée à San Francisco.
«Lorsque l’hébergeur est dans un pays hors de l’union européenne, il est nécessaire d’obtenir une décision de justice en France, puis essayer de la faire appliquer dans le pays concerné», poursuit Me Walter.
Ainsi, il s’avère très difficile de s’attaquer à Indymedia. Le 26 juillet, le ministre de l’Intérieur annonçait avoir déposé plainte contre deux sites Internet «anti-flics», dont l’un d’eux était Grenoble.indymedia. «Les policiers sont traités de “troupes d’assassins” et la BAC est traitée de “bande armée criminels”», déplorait alors Brice Hortefeux, bien décidé à agir. Pourtant, six mois plus tard, le site est encore ouvert, et les propos incriminés toujours visibles. Le nombre de visiteurs mensuels de la page Web aurait même fortement augmenté. Encouragés par un communiqué de leurs homologues lillois, c’est aujourd’hui au tour des membres du collectif parisien d’Indymedia d’être fiers du piège tendu aux autorités. «Après avoir fait autant de pub sur le copwatching, c’est un effet de prolifération qui risque d’entraîner d’autres publications dans d’autres villes.»
Leur presse (Thibaut Chevillard,
France Soir), 1er janvier 2011.