Autour de "La Société du spectacle"

Voici le premier livre théorique situationniste. Les situationnistes forment un mouvement assez secret, mais dont on parle de plus en plus. Le ralliement des représentants des étudiants de Strasbourg à ces thèses, dont Le Monde pouvait écrire qu’elles étaient «d’un extrémisme difficilement dépassable» a fait scandale. On a souvent vu l’influence des situationnistes dans le mouvement «provo», bien qu’ils aient condamné la naïveté publicitaire de cette agitation prématurée. Leur idées sont actuellement au centre des courants de contestation les plus avancés qui se forment en Angleterre et en Amérique.
Guy Debord, qui est le directeur de la revue Internationale situationniste, donne dans cet ouvrage difficile à classer les bases de la critique nouvelle qui partout commence à remettre en question la société moderne. La fonction des «mass media», l’urbanisme, l’échec du mouvement ouvrier, la dégradation de la vie en contemplation d’une production aliénée, s’y trouvent considérés dans une perspective unifiée. Ce livre ne peut manquer de surprendre, en ce qu’il contredit toutes les croyances de la gauche actuelle. La domination méthodologique du mouvement de la pensée moderne depuis Hegel et Marx est ici orientée, on s’en avise à la lecture, vers un but tout autre : la révolution.
Note d’information communiquée à l’attaché de presse des Éditions Buchet-Chastel lors de la parution de la première édition de La Société du spectacle le 14 novembre 1967. Elle est restée inédite jusqu’à sa publication dans les Œuvres de Guy Debord (Quarto, Paris, 2006).
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«Vous aurez certainement reconnu le style détourné pour la note biographique, tout à fait objective, que j’ai envoyée hier à Guégan [Gérard Guégan, directeur littéraire aux Éditions Champ libre.]. J’espère que vous ne le trouverez pas de trop mauvais goût.»
Lettre de Guy Debord
à Gérard Lebovici, 29 juin 1971.
Guy Debord. Se disant cinéaste. Membre de l’Internationale situationniste, dont il a été l’un des fondateurs en 1957. Longtemps responsable des publications de l’I.S. en France. Mêlé aussi par moments à différentes activités de cette organisation dans plusieurs pays où s’est propagée l’agitation situationniste ; notamment en Allemagne, Angleterre et Italie (s’étant fait appeler parfois Gondi, ou Decayeux). A publié en 1967 La Société du spectacle. L’année suivante, a figuré parmi les meneurs du courant le plus extrémiste lors des troubles de mai 1968. À la suite de ces événements, ses thèses ont acquis une grande influence dans l’ultra-gauchisme européen et américain. Français. Né en 1931, à Paris.
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Guy Debord
La Société du spectacle
M. Adrien Dansette, de l’Institut, dans l’ouvrage qu’il vient de consacrer à Mai 1968 (Plon, 1971) écrit :
«On ne pourrait comprendre certains aspects de l’explosion étudiante, ses crépitements poétiques et ses troubles lueurs, sans avoir aussi écouté et regardé une catégorie de contetataires qui pousse beaucoup plus loin que les castristes le mépris de la rationalité. (…) Ainsi font les membres de l’Internationale situationniste. (…) Il restera à leur actif la beauté littéraire de quelques-uns des graffiti de mai. Leurs autres écrits sont au niveau de leur comportement. Portés à l’excès, ils atteignent à l’insignifiance par cet excès même, tant il apparaît factice. Tout est affecté dans leur attitude, la violence systématique à l’égard des autres, la grossièreté dans leur manière de s’exprimer, leur recherche d’originalité capillaire, pileuse et vestimentaire. Ces demesures artificielles n’impressionnent guère et sans doute leur doivent-ils de n’exercer qu’une influence passagère.»
Cet historien, qui se proposait probablement d’exercer une influence définitive dans l’interprétation rassurante de l’explosion dont il a sommairement instruit le procès, a forcément «écouté et regardé» parmi les «autres écrits» des situationnistes, le livre de Guy Debord, La Société du spectacle, un des exemples les plus connus de la critique formulée par l’I.S. ; publié pour la première fois en 1967, et souvent commenté par le mouvement de 1968.
La présente réédition de ce livre pourra permettre d’évaluer plus justement, avec le recul du temps, ce qui mérite ou non d’être exhaustivement défini en tant qu’excès, insignifiance, violence systématique, grossièreté de l’expression mépris de la rationalité, originalité factice et démesure artificielle.
Beaucoup de gens estiment, et pas seulement à l’Institut, que ces termes qualifient exactement la pensée et la conduite de Guy Debord et de ses camarades. Mais bien d’autres croient qu’ils sont davantage applicables à l’état présent du monde, c’est-à-dire au pouvoir de classe qui partout dirige comme on sait l’économie et la vie sociale. Ceux qui ne pensent pas comme M. Dansette considèrent que les situationnistes n’ont pu apparaître, comme de «troubles lueurs», que dans le crépuscule de ce monde.
Tract conçu par Guy Debord et diffusé lors de la réédition de La Société du spectacle par les Éditions Champ libre le 29 septembre 1971.