Des brumes spectaculaires ressurgit le politique
Le politique ressurgit en ces temps d'émeute.
La distinction spécifique du politique est la distinction de l'ami et de l'ennemi. La conception arendtienne du politique comme vivre ensemble, comme espace de discussion des opinions n'est depuis bien longtemps qu'une mystification spectaculaire.
La question politique fondamentale de l'âge actuel est celle de la constitution de la multitude en force matérielle radicalement antagoniste, en ennemi.
Sous l'Empire toute conflictualité inter-bourgeoisie et inter-étatique tend à disparaître. Le politique se confond de plus en plus avec la guerre civile mondiale de basse intensité qui oppose la multitude à l'Empire.
Le monopole étatique de la violence «légitime», les normes de la société disciplinaire, les dispositifs de la société de contrôle, les mécanismes de représentation de la démocratie spectaculaire, les identités factices du libéralisme existentiel ne suffisent plus pour contenir le retour du politique. L'antiterrorisme, l'outil le plus moderne de répression de la révolte, ne fait, à notre grande joie, qu'accentuer la distinction entre ami et ennemi.
Nous désertons les champs de bataille, pas la bataille. «Le monopole de la contrainte physique est assuré par le pouvoir central, l'individu n'a plus le droit de se livrer au plaisir de l'attaque directe» disait Norbert Elias. L'attaque directe est certes fort rigolote mais nous sommes trop malins pour essayer de nous confronter directement à vous. Nous laissons le monopole de l'attaque directe au vieux Pouvoir souverain, aux maos virils et aux anarchistes tradis. Si bien sûr nous ne nous privons pas de niquer quelques cops quand nous en avons l'occasion, nous avons compris que la Police ne se résume pas aux keufs mais est constituée par l'ensemble des dispositifs, de la connectique et des réseaux qui composent notre environnement. La guerre que nous menons combine à la fois le court et le long terme, actes de piraterie, frappes chirurgicales et reterritorialisation, création d'espaces pour de nouvelles formes de vie.
Nous avons dépassé le stade infantile de l'émeute, soit le fétichisme de l'émeute dont la manifestation spectaculaire est le riot porn. Ou plutôt c'est notre acception même de l'émeute qui a changé. L'émeute n'est plus seulement ce moment ponctuel et jouissif où la multitude s'affronte aux agents policiers du pouvoir central. Face à vos dispositifs policiers réticulaires, aux tactiques chrono-stratégiques de vos forces spéciales, à la généralisation de l'État d'exception, à la diffusion rhizomatique des relations de pouvoir enserrant la vie et la ravalant à la zoe nue, nous cherchons à ce que le temps de l'émeute, i.e. le temps de la profanation, devienne le temps de la vie même. Ainsi c'est dans l'émeute que la vie redevient bios.
Au mot d'ordre de la formation de conseils de travailleurs, d'ouvriers ou de précaires nous préférons celui de «formation de conseils des émeutes». D'une part parce que toute subjectivation par rapport aux catégories du capital, même dans la lutte, ne fait que concourir à l'évolution interne, à la restructuration permanente du capitalisme. D'autre part parce dans l'émeute, la séparation entre la délibération et l'action — séparation que le parlementarisme bourgeois a légué à nos assemblées générales — ne constitue plus deux moments séparés mais fusionnent dans un même mouvement.
Il est temps d'inverser le long «processus de civilisation» par lequel la violence a été progressivement étatisée puis, dans les trente dernières années, de plus en plus privatisée. Se constituer en ennemi c'est se réapproprier notre capacité de violence.
Chaleur de l’émeute - lundi 27 décembre 2010.