Décryptages de la guerre territoriale

Publié le par la Rédaction


Ce qui est là est inachevé, comme une histoire inscrite dans les murs, celle des vaincus. Une histoire dont les traces fraîchement effacées nous appellent. Au coin d’une rue, dans une cour intérieure, quelques fissures laissent entrevoir ce qui se cache derrière la lourde couche de béton produite par l’époque.

Nous en sommes là, à chercher les traces de ce que nos anciens ont tenté de nous transmettre et que nos aînés n’ont pas su préserver de ce béton.

À la question qu’est-ce qu’on aura laissé, on répondra comme ils l’ont déjà fait, des traditions de lutte, des acquis sociaux. Ou alors, peut-être n’aura-t-on plus besoin de répondre, car ce qui aura résisté à l’intégration métropolitaine, qui l’aura vaincu même, ne sera plus recouvert par les matières et les affects qui nous séparent chaque jour un peu plus d’une certaine idée du bonheur.

Imaginons par exemple, une manière d’habiter les rues, de s’y mouvoir, de s’y rencontrer, d’y faire la fête.

Une manière qui échappe à la médiation sociale, aux rites de passages et autres conneries qu’on nous assène pour justifier des pathologies de l’époque.

Imaginons simplement que nous nous trouvons là au coin d’une rue, avec ou sans alcool, contre la chaleur incandescente d’un feu de joie, disponibles à se laisser gagner par ce qui nous est interdit.

Imaginons maintenant, que nous débordions de nos maisons, nos apparts, nos cages existentielles, que nous décidions de nous organiser ensemble, pour arracher les espaces à la mesure de nos besoins, de nos désirs. Un, deux, des dizaines de gros lieux d’auto-organisation, pour mettre en partage nos savoirs et nos envies, nos forces et nos sensibilités.

Des tentatives ont déjà existé à Rennes, la dernière en date remontant à l’ouverture le 17 octobre dernier d’une maison au 47 rue de Paris. Tout juste deux semaines après l’installation, c’est quelques dizaines de flics et d’agents du GIPN qui se sont présentés sur-armés pour expulser ses occupants.

Cette situation n’a rien de surprenant, elle accompagne une politique municipale et préfectorale qui se donne les moyens d’en finir avec tout ce qui n’est pas parfaitement intégrable au devenir métropolitain de la ville.
À en juger des déclarations de l’actuel préfet, elle mène une guerre territoriale qui flirte parfois avec le vieil imaginaire de la France de 40 [Il déclarait à l’occasion d’une discussion baptisée «À qui appartient le centre-ville», qu’il fallait bien reconnaître que les sans-papiers prenaient les places des SDF français dans les centres d’hébergement et qu’on devait y voir une des causes principale des problèmes de logement à Rennes.].

Pour peu que tu habites dans le mauvais quartier, avec la mauvaise couleur, que tu ne payes pas ton loyer ou ton ticket de métro, ou que tu te trouves dans la mauvaise manif, il faudra que tu supportes seul les œdèmes et les tumeurs qu’on a bien voulu t’attribuer. Tu es le corps malade de cette ville, incompatible à toutes les perspectives d’un devenir propre, autorégulé, médié par un hygiénisme implacable.

C’est ça la guerre, ni plus ni moins, le contrôle du territoire et des vies qui s’y déploient.

Mais bien pauvre idée de la guerre est celle qui élabore ses stratégies sur le plan répressif uniquement. Et la métropole l’a parfaitement compris. Là où elle doit gagner avant tout, c’est sur le terrain des sensibilités. À tout prix il faut nous convaincre que ce que nous désirons se trouve dans la palette de ce qu’on nous propose, à tout prix il faut nous faire oublier que d’autres horizons puissent être imaginés.

La guerre territoriale est aussi une guerre de mobilisation.

Ici, à l’ouest de la ville on construit un nouveau quartier, la COURROUZE, un énorme complexe d’habitations et de commerces résidentiels ; l’association parfaite entre les nouvelles formes d’urbanisme, la redéfinition du travail et le respect de l’environnement. Là ou quarante ans plus tôt on construisait des grands ensembles sans voir venir l’explosion promise par ce type d’aménagement, on élabore aujourd’hui une nouvelle approche de la ville et de l’habitat et on détermine en même temps les dispositions existentielles compatibles avec cette approche. Un quartier composé de «trieurs d’élites» et de parfais éco-citoyens fonctionnant sur un système économique rentable et durable, et garant d’une compilation de «bien être individuels» partageant poubelles de tri et air de compost. Voilà l’avenir radieux du capitalisme vert, décentralisé et participatif.

Qu’est ce qui change fondamentalement, rien.

C’est le même désastre affectif et existentiel, l’approfondissement du même devenir mortifère avec comme toile de fond la caution écologique et la fausse promesse d’une sortie de crise.

Et c’est la même réalité qui voit la transformation du centre ville, son déplacement vers les champs de mars et l’élaboration presque achevé d’une nouvelles archéologie des flux et de la fête.

Il a fallu plusieurs années aux pouvoirs publics pour comprendre que les flics ne suffiraient pas à désengorger la Rue de la soif, plusieurs années pour voir apparaître les premiers médiateurs, distribuant les bons points aux bons comportements, rappelant à l’ordre ceux qui ne savent pas «vivre en intelligence» et trouvant refuge dans la brigade d’intervention quand la situation leur échappe. Le centre-ville se dépeuple peu à peu, laissé aux nouveaux riches et promis au entrepreneurs auxquels on abandonne le couvent des Jacobins sous l’œil inquisiteur des caméras désormais incontournable.

La fête dans le vieux centre est en train de disparaître à petit feu, elle mute vers les reliquats du dazibao et autres nozambules insomniaques, elle est, à n’en pas douter, un des leviers essentiels du devenir métropolitain de Rennes.

Alors, il faut peut-être partir de cette idée, qu’elle constitue un des lieux privilégiés du conflit, qu’elle pourrait être un des chemins dans lequel les traces deviendraient ineffaçables et trouveraient à s’ajouter à celles retrouvées des vaincus.

Appel à Texte et à Illustration
Faites circuler vos analyses sur le devenir urbain de Rennes, sa mutation permanente ; Rendez visible ce qui se trame par chez vous, dans votre quartier, votre rue, votre immeuble et que le passant extérieur ne remarque pas toujours ; Faites partager vos tentatives de résistance aux projets urbains et culturels de Rennes Métropole. Racontez vos expériences de réappropriation de l’espace, de la ville ; Racontez les fêtes, les rencontres, les liens, les histoires…
Toute cette matière pourrait être apportée et distribuée lors de la réunion publique (dans cette idée chacun pourrait dupliquer son apport en plusieurs exemplaires). Et on pourrait imaginer de se revoir pour retravailler tout ça en vue, pourquoi pas, de confectionner une brochure…
GangRennes, 26 février 2010.
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