Correspondance avec un éditeur

Publié le par la Rédaction




Correspondance avec un éditeur


L’I.S. à Monsieur Claude Gallimard


5, rue Sébastien-Bottin, Paris 7e

Paris, le 16 janvier 1969

M
onsieur,

Nous apprenons que la semaine dernière, chez un certain Sergio Veneziani, un dénommé Antoine Gallimard a parlé à plusieurs personnes, qui nous en ont informés, des situationnistes et de leurs rapports avec la maison Gallimard. Ce con a dit que «les situationnistes» avaient fait plusieurs offres de service, entre autres à propos d’une collection qu’il avait d’ailleurs fallu «refuser» ; et que pourtant les situationnistes, en corps, étaient «les employés» de la maison Gallimard, ou sur le point de le devenir tous.


Cette raclure de bidet s’illusionne visiblement, mais ne peut cependant colporter de telles espérances que parce que vous les lui avez confiées.


Fils raté de votre père, vous ne serez pas surpris de trouver dans la génération suivante une débilité aggravée.


Le merdeux s’identifie naturellement, à son tour, à votre pauvre rôle parce que, comme vous, il espère hériter.


Cette vantardise est au-dessus de vos moyens.


Deux situationnistes, jusqu’à présent, avaient fait éditer un livre chez vous. Vous ne connaîtrez jamais plus de situationnistes et, des deux en question, vous n’aurez plus jamais un livre.


Tu es si bête et si malheureux qu’il est inutile d’ajouter rien de plus insultant.

Pour l’I.S. : Guy Debord, Mustapha Khayati,
René Riesel, René Viénet


*


Éditions Gallimard

Monsieur René Viénet
(…)
Paris 4e

Paris, le 17 janvier 1969

C
her Monsieur,

Votre lettre nous a tous beaucoup amusés, et ce n’est pas inutile dans une époque qui se veut tristement sérieuse.


J’ai trouvé drôle que vous découvriez maintenant que je suis le fils de mon père ; quant à la question de savoir si mes parents m’ont raté ou réussi, je suis étonné que vous n’y ayez pas songé lorsque vous vous êtes uni par un accord avec moi pour la publication de vos livres.


Votre conception de l’hérédité m’a donné une idée (vous me direz que c’est étonnant), mais si mon fils est encore plus bête que moi et moi que mon père, votre grand’père avait sans doute du génie, vous ne nous en avez jamais parlé ?


Mais soyons sérieux une seconde ; je vous ai connu très sérieux dans le domame de la recherche de l’information, en l’occurence vous semblez vous en tenir à des délations de seconde main, tronquées et anonymes.


Puisque vous aimez vous amuser, ne croyez-vous pas que nous pourrions prendre un verre avec le dénommé Antoine Gallimard qui, tout débile qu’il est, ne manque pas d’humour et nous pourrions les uns et les autres nous insulter avec bonheur, car il n’y a rien de fondé dans votre lettre qui puisse changer nos relations. Naturellement si vous pouvez amener vos amis à cette petite réunion qui me changerait un peu de la vie quotidienne, j’en serais enchanté.


Claude Gallimard


*


L’I.S. à Claude Gallimard


Paris, le 21 janvier 1969

T
u as peu de raisons de trouver amusante notre lettre du 16 janvier. Tu as encore plus tort de croire que tu vas pouvoir arranger la chose, et même nous rencontrer autour d’un verre.

Nos témoins sont directs, sûrs, et bien connus de nous. On t’a dit que tu n’auras plus jamais un seul livre d’un situationniste. Voilà tout.


Tu l’as dans le cul. Oublie-nous.

Pour l’I.S. : Christian Sébastiani,
Raoul Vaneigem, R
ené Viénet


Internationale situationniste no 12, septembre 1969.


*


[…] Claude Gallimard a longuement répondu à notre lettre, dès le lendemain, avec des demi-aveux et des vagues allusions à des moitiés d’excuses possibles de sa part ou de celle d’Antoine, en affectant de prendre la chose à la plaisanterie. L’imbécile déclarait que lui ne voyait dans tout cela aucune raison pour qu’il y ait un changement dans nos relations ! Il nous proposait de venir tous boire un verre chez lui, et parlait déjà des propos «tronqués» d’Antoine [Nous savons depuis que cette fausse couche est «22 mars» maoïsante], rapportés de seconde main, par des anonymes. C’est pourquoi nous avons conclu avec la lettre ci-jointe. Ce bourgeois stupide n’avait naturellement pas encore compris ce qu’est l’I.S.
Lettre de Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti, 22 janvier 1969.

Publié dans Debordiana

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A
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Pour être complet sur les relations Debord-Gallimard, sans doute faudrait-il adjoindre les extraits des lettres suivantes parues dans le<br /> volume 7 de la Correspondance de Guy Debord.<br /> <br /> <br /> 27 août 1991<br /> <br /> <br /> Cher Jean-Jacques Pauvert,<br /> <br /> <br /> […] Je crois que, depuis quelque temps, vous avez employé diverses variantes de la formule « Jean-Jacques Pauvert chez... ». Et,<br /> d’autre part, vous m’évoquiez Antoine Gallimard, et ses bonnes dispositions. Je n’aurai, bien sûr, aucune objection à un tel parrainage mixte, qui serait si glorieux grâce à vous, sous réserve<br /> d’un seul préalable. J’aimerais être assuré qu’Antoine Gallimard convient maintenant que lorsqu’il lui est arrivé, en janvier 1969, d’exprimer l’opinion que « tous les<br /> situationnistes », et donc moi personnellement, avaient manifesté des intentions d’être édités chez son père, il n’en avait positivement aucune preuve ; en tout cas dans mon cas. La<br /> chose peut passer pour une bagatelle. Cependant, je me suis vu si souvent calomnié, et sur tant de terrains sans la moindre apparence de raison, que vous comprendrez certainement que je ne puisse<br /> laisser personne se demander si je n’avais pas démenti alors des négociations qui auraient été bien réelles, mais destinées à aboutir seulement vingt-deux années plus tard. Je pense que votre<br /> avis là-dessus, comme je vous l’écrivais, serait entendu sans difficultés. Qu’en pensez-vous ?<br /> <br /> <br /> Par ailleurs, il va de soi qu’il faudrait considérer globalement la question de la réédition de plusieurs de mes livres, qui peuvent être<br /> regardés comme d’assez rares « classiques » de la critique de notre époque, et qui pourraient être amenés à disparaître, juste- ment pour cela, par des procédés eux-mêmes dangereusement<br /> caractéristiques de la même époque. Je sais bien que cet aspect des choses ne peut vous gêner. Mais est-on assez ferme chez Gallimard ? Dites-moi, je vous prie, comment vous voyez les choses<br /> en général. Et aussi quels sont les détails particuliers sur lesquels je pourrais vous apporter des éclaircissements. Cordialement, Guy Debord.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Le 9 septembre 1991<br /> <br /> <br /> Cher Jean-Jacques Pauvert,<br /> <br /> <br /> Votre lettre m’enchante. Je serai, bien sûr, d’accord pour vous confier mon œuvre complète, dans les conditions d’édition que vous évoquez, si<br /> le coéditeur se montre convenable.<br /> <br /> <br /> Je crois, moi aussi, qu’Antoine Gallimard n’éprouvera pas de difficulté à convenir que son assertion de jadis était erronée. Les circonstances<br /> de 1968 l’aggravaient, puisque lui-même se trouvait être membre du « 22mars », que les situationnistes considéraient alors, non sans raisons, comme la fraction modérée, récupératrice et<br /> quasiment médiatique, du mouvement de mai. Enfin, ces jours auront connu de pires excès, là où se heurtaient des perspectives plus ennemies.<br /> Je vois tout à fait comme vous, quoique du dehors, cette crise de l’édition. Il y aura toujours moins de vrais<br /> éditeurs indépendants, non seulement pour d’évidents motifs économiques, mais pour des raisons connexes qui découlent des conditions socio-politiques de l’époque, marquant tant la lecture que<br /> l’écriture. Compte tenu de tout cela, il me semble que maintenant Gallimard, entre ceux que vous citez, serait le meilleur, pour des raisons objectives : c’est la seule maison, d’une relative<br /> surface, qui pourrait de surcroît avoir, du fait de son fonds, un réel intérêt économique à maintenir dans une certaine mesure ce que l’on appelait autrefois, très exagérément, « la liberté de<br /> la culture », contre les trompeuses évidences des raisonnements glacés de la pure marchandise. Quant au côté subjectif, le seul fait qu’Antoine Gallimard vous connaisse augmente ses<br /> chances ; et après tout constitue déjà un signe favorable à son propos.<br /> <br /> <br />
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