Contributions à la psychopathologie du délateur
Le délateur est devenu le héros de notre temps. Il ne se passe pas de jour sans qu’on nous abreuve des exploits des gens de cette farine. Une infirmière dénonce un médecin génocidaire ; un cadre véreux collabore avec la justice américaine dans une affaire de délit d’initié ; un maire italien indique à la police les mafieux par dizaines.
Qui ne pourrait s’en féliciter ? Dénoncer à l’État un exterminateur, un financier ou un malfrat, n’est-ce pas un «devoir républicain», comme le rappelait naguère le porte-parole de l’UMP ? «Il s’agit précisément, et voilà un heureux hasard, de renforcer les excellentes structures actuelles, d’en approfondir les fondations, d’en étendre les effets. Tous les dangers dénoncés par les médias permettent ainsi de justifier notre organisation sociale, de la rendre nécessaire», observe finement Michel Bounan dans La Vie innommable.
Ajoutons que ce conditionnement des foules présente une parenté avec la méthode suivie par l’État pour rendre acceptables les fichiers d’empreintes génétiques. Ces fichiers ont d’abord concerné les délinquants sexuels avant d’être étendus progressivement à des secteurs toujours plus vastes de la population. Il convient dans un premier temps de familiariser les masses avec de nouveaux procédés de contrôle en sélectionnant des cibles désignées comme des figures du Mal absolu. Contre le terroriste ou le délinquant sexuel, le citoyen possède avec l’État un ennemi commun, dont ce même État le protègera. Là est la racine psychologique de l’acceptation d’une administration policière toujours plus poussée de la vie quotidienne. Nul doute que le zèle médiatique mis à nous entretenir des prouesses de divers délateurs animés par la passion civique n’ait pour objet d’instiller graduellement la mentalité délatrice comme un réflexe conditionné chez les moutons spectateurs.
Un pareil abaissement rencontre bien sûr un terrain favorable chez certains névrosés. Simon Leys en avait dressé le portrait à propos de la maoïste Michelle Loi, cette balance qui avait livré son identité véritable aux autorités chinoises en publiant un pamphlet dont le contenu était donné dans son titre, Pour Luxun : Réponse à Pierre Ryckmans. Le lecteur trouvera ci-dessous cette intéressante contribution à l’étude clinique du délateur.
«La passion policière qui pousse certaines gens à dénoncer voisins, parents, relations ou collègues ne trouve de véritable exutoire que dans les périodes de bouleversements, de guerres, d’occupations, etc., mais même en temps normal, elle n’en demeure pas moins latente chez les ratés, les envieux et les médiocres et constitue un phénomène psychologique singulier qui mériterait d’être mieux étudié. La vénalité en est rarement absente, mais ce serait une erreur d’y voir son moteur exclusif ; dans ce genre de démarche en effet, la recherche d’avantages personnels s’augmente le plus souvent d’autres mobiles non moins puissants : des sentiments d’infériorité ou de frustration (sur qui la seule apparence de succès chez autrui vient agir comme une intolérable provocation), le désir de se donner de l’importance, une forme d’exhibitionnisme, et surtout un respect inné du Pouvoir, de l’Ordre établi, des Autorités, l’instinct flic, la haine de tout ce qui apparaît non conforme, différent, hétérodoxe, hérétique.»
Simon Leys, L’Oie et sa farce.
Jules Bonnot de la Bande, 21 octobre 2009.