Comptes-rendus d'audiences de la Cour d'Appel de Lyon - mars 2011
Compte-rendu d’audience de la Cour d’Appel (1)
Au terme de nombreuses audiences de la quatrième chambre correctionnelle de la cour d’appel de Lyon (celle qui est restée célèbre pour son extrême sévérité depuis le passage de Finidori), voici une série de comptes-rendus. Ces affaires ne concernent que des personnes majeures et sont surtout liées aux manifestations d’octobre 2010 contre la réforme des retraites.
«Est-ce que votre maman vous a élevé comme ça ?» (Wyon, conseillère de la cour.)
Déménageur en intérim, ce garçon de vingt ans n’a jamais eu de problèmes avec la justice et la police. Il est accusé d’avoir jeté des pierres sur des flics le 18 octobre, sans les avoir blessés. En comparution immédiate le 20 octobre, son avocat, Me Dumoulin, plaide à charge contre son client : Il prend 5 mois avec sursis. En appel, le même avocat assure sa «défense». Il a tellement bien préparé le jeune que ce dernier, l’air complètement perdu à la barre, avoue des faits qui ne lui étaient pas reprochés auparavant… La conseillère Anne Wyon fait preuve d’une ignorance complète au sujet des révoltes d’octobre : «Vous n’avez pas de casier judiciaire, qu’est-ce que vous faites là-dedans ?» (Comme s’il fallait justifier d’un casier pour exprimer sa colère.) Elle s’occupe ensuite d’humilier le prévenu qui invoque l’effet de groupe pour sa défense : «L’effet de groupe n’a pas eu d’influence sur vous pour travailler et avoir votre CAP ?» Enfin, elle joue la carte culpabilisation familiale et instinct maternel : «Votre mère, elle était d’accord avec ça ? Vous n’écoutez pas votre mère ?»
L’avocat justifie l’échec au CAP de plaquiste par le fait que son client a eu une scolarité imposée et qu’il a été placé dans n’importe quel CAP. Puis il plaide la manipulation des jeunes par les syndicats (il doit considérer son client comme un décérébré irresponsable incapable de jugement), qualifie les actes commis comme «infiniment bêtes» et a cette belle expression : «Une foule c’est un espace-temps mouvant». En voilà une défense ! Alors que son client venait de déclarer à la barre qu’il manifestait contre la réforme des retraites… Il savait donc pourquoi il était dans la rue ce jour-là ! Et l’avocat général demande de doubler la peine à 10 mois avec sursis après avoir déclaré que «ce garçon présente bien et qu’il a l’air repentant» !
Délibéré de la cour : 5 mois dont 3 avec sursis.
Suit un compositeur de musique accusé de jet de projectile. Il n’a jamais eu de problèmes avec la police ni la justice, et son histoire n’est pas banale. X, anonyme de 14 ans, se fait arrêter le 18 octobre pour avoir cassé et pillé des magasins… En échange d’un simple rappel à la loi (alors que la même accusation a valu 8 mois en centre éducatif fermé pour une autre personne du même âge), il accepte de dénoncer ses potes — et il y met la dose, sûrement sous la pression des flics : il l’accuse d’avoir cassé la vitrine du Printemps (qui n’a pas un poque), mis le feu à des poubelles, jeté des pierres. Le compositeur est arrêté le lendemain, chez lui, et reconnaît un jet de pierre. En comparution immédiate il est condamné à 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant 2 ans avec obligation de travailler. Devant la cour d’appel, il s’explique : Assis place Bellecour avec les «pacifistes» entre les jeteurs de pierre et les flics, il s’est fait violemment charger et gazer. Il était à terre quand il a lancé une pierre. Par contre, il déclare n’avoir jamais touché une quelconque vitrine, ni une poubelle. Le magasin n’a d’ailleurs pas porté plainte. La conseillère Wyon reprend son discours sur l’instinct maternel : «Est-ce que votre maman vous a élevé comme ça ?» et poursuit : «Vous auriez dû être en stage ?» et l’accusé de répondre : «Je travaille comme enquêteur dans les TCL et comme les bus étaient arrêtés…» L’avocat général Ponsard donne une leçon de citoyenneté : «Dans un pays démocratique, il existe des élections libres» et il crie au fascisme : «La violence des jeunes n’est pas légitime dans une démocratie, elle nous mène vers une dérive fasciste». L’idée de la légitimité de la colère face à une situation politique injuste ne l’effleure pas et il accuse le prévenu de «terrorisme». Le verdict tombe : 6 mois dont 4 avec sursis. Pour les mêmes faits, pour la même infraction, violence sur fonctionnaire sans ITT (Incapacité Temporaire de Travail), il est condamné à 2 mois de prison ferme alors qu’en 1re instance le tribunal l’avait condamné à 6 mois avec sursis.
D’autres prévenus sont présentés devant la cour d’appel : Une personne est accusée de vol en réunion avec dégradation. En comparution immédiate, elle a pris 2 ans de prison et 17'000 euros d’amende. Elle a le malheur de faire appel… La cour la considère comme récidiviste et la condamne à la peine plancher, 3 ans ferme.
Rebellyon, 11 mars 2011.
Compte-rendu d’audience à la Cour d’Appel (2)
«Ce dossier n’aurait pas dû arriver devant votre cour.» (Houppe, avocate de la défense.)
Au terme de nombreuses audiences de la quatrième chambre correctionnelle de la cour d’appel de Lyon (celle qui est restée célèbre pour son extrême sévérité depuis le passage de Finidori), voici une série de comptes-rendus. Ces affaires ne concernent que des personnes majeures et sont surtout liées aux manifs d’octobre.
Le garçon est assis seul au bout du banc au fond de la salle de rétention. Il est inquiet, son visage est tendu, son front plissé, attentif aux audiences qui se déroulent ce jour-là aux 24 colonnes de Lyon, les coudes posées sur les cuisses, les mains croisées, les phalanges serrées jusqu’à devenir blanches. Puis il se ronge les ongles, je lui demande s’il a peur il me répond «oui».
Il est arrêté le 20 octobre place du Pont. En comparution immédiate il a pris du sursis et 200 euros de dommages et intérêts pour chacun des deux flics qui ont porté plainte. Il nie avoir lancé une pierre de 4 cm sur les flics. Arrivé en France à l’âge de 10 ans, il apprend le français et passe un BEP de maintenance. Il travaille en intérim et suit des formations. Tout ceci constitue une circonstance aggravante aux yeux de la cour : «Vous faites les choses à l’envers, vous arrêtez votre formation de BEP, vous ne travaillez pas à l’école et maintenant vous cherchez des formations !!»
Ce jour-là, le prévenu est arrivé place du Pont pour faire débloquer son téléphone dans un magasin. Une manif passant par là, il est pris pour cible par trois flics qui attestent l’avoir vu lancé un caillou en direction d’autres policiers. Les trois flics se portent parties civiles alors qu’ils n’ont reçu aucun projectile, et l’un d’entre eux, le brigadier-chef Sanchez [orthographe approximative], s’occupe même de rédiger le procès verbal ! Face à cela, le juge en comparution immédiate a écarté ce fonctionnaire de police, estimant qu’on ne peut pas être juge et partie.
Ici, la conseillère Wyon considère ce jeune garçon comme coupable d’emblée alors qu’il déclare n’avoir jamais jeté de pierre, et elle exclue totalement que les flics aient pu charger un innocent : «Alors qu’il y a des caméras de surveillance partout et des téléphones portables qui filment vous croyez que ces policiers auraient pris le risque de vous accuser et de perdre leur situation et de se retrouver au chômage pour le plaisir de vous imputer un fait que vous n’avez pas commis ?» On remarquera qu’aucun film n’a jamais été produit par les flics (à part une vidéo générale, au début de la série de procès, qui ne fait que restituer l’«ambiance» place Bellecour). Les centaines d’heures de vidéo n’ayant été d’aucune utilité pour les juges, elles le seront sûrement à des fins de fichage au service de la police. Quant à leur potentielle utilisation contre les flics, cela va sans dire que c’est totalement impossible.
L’autre conseiller Sermanson en rajoute : «Pourquoi vous ont-ils arrêté vous alors qu’il y a des gens qui n’ont pas été inquiétés ?» Comprenez : s’ils vous ont arrêté, c’est que vous êtes coupable. Les flics disent toujours la vérité, d’ailleurs ils sont systématiquement condamnés quand ils font des faux témoignages, et ils n’arrêtent jamais des innocent.e.s.
L’avocate des deux flics qui se sont portés partie civile, le capitaine Bodet et Pinchont [orthographe approximative], demande 1000 euros pour chacun, alors qu’ils n’ont reçu aucune pierre.
La représentante du parquet, Cachino, s’émerveille du travail des policiers : sur les photos prises en garde à vue, le prévenu porte les mêmes vêtements que ceux que le condé Sanchez (celui-là même qui réclamait des indemnités en comparution immédiate) a décrit au moment de l’interpellation. Cela ne prouve que le fait qu’un flic a décrit les vêtements de la personne qu’il était en train d’interpeller, et que cette même personne portait les mêmes vêtements en garde à vue Conclusion : le prévenu ne s’est pas changé en cellule ! Puis elle brode sur les mêmes thèmes que les jours précédents : «Il y a deux catégories d’individus dans une manifestation comme chacun sait : les jeunes et moins jeunes pacifistes. Et les casseurs.»
Le «comme chacun sait» doit se référer à la propagande médiatique qui rien que par sa diffusion devient vérité historique. Et elle réclame 6 mois dont 2 ferme, alors qu’en comparution immédiate le parquet n’avait requis que 3 mois ferme, avec exactement les mêmes éléments ! Elle réclame aussi un stage de citoyenneté…
L’avocate du prévenu, Me Houppe, commence en déclarant : «Ce dossier n’aurait pas dû arriver devant votre cour» et plaide l’innocence. Les trois procès-verbaux des flics sont strictement identiques, du copié-collé, ce qui veut dire soit que les trois policiers se sont mis d’accord, soit qu’ils aient trouvé exactement les mêmes mots au même moment ! Le luxe de précisions nous fera pencher sur la première solution, même si «cette voie est malaisée» selon les mots de l’avocate. Il n’y a pas de procès-verbal d’interpellation, mais simplement une fiche d’interpellation qui n’a pas grande valeur juridique. Elle reprend l’argument de la vidéosurveillance, mais cette fois-ci pour s’étonner que des images n’aient jamais été versées à ce dossier, alors même que cette place est truffée de caméras. Elle finit en dénonçant l’appel systématique du parquet dans ces affaires.
Au rendu, ce sont 6 mois dont 3 ferme qui sont prononcés, aggravant amplement la peine décidée en comparution immédiate (3 mois avec sursis). Les deux flics parties civiles empochent 200 euros supplémentaires pour leurs frais de défense.
C’est ensuite au tour d’un autre jeune majeur de se présenter à la barre. Déménageur, très propre sur lui, il est accusé d’avoir lancé des pierres sans qu’il y ait d’ITT : Il a été arrêté par la Brigade de Sûreté Urbaine le 19 octobre. Dans sa poche extérieure les policiers ont trouvé une pièce de béton de 234 g mesurant 10 cm et demi sur 7 cm et demi (quels détails !), et il a reconnu les faits en disant avoir riposté aux gaz lacrymogènes qui pleuvaient place Bellecour alors que les manifestant.e.s se dispersaient. Il n’a pas vu d’avocat.e en garde à vue, ce qui ne semble poser aucun problème à l’accusation.
Aux magistrat.e.s de la cour d’appel, il dit qu’il s’est laissé emporter, qu’il ne s’est pas contrôlé. Il ne se défend pratiquement pas. Il dit seulement qu’il ne veut pas aller en prison, qu’il veut continuer à travailler dans sa boîte, ce qui provoque les sourires amusés de la cour.
Cachino, représentante du parquet, s’amuse, insultante : «Il reconnaît les faits, il a une dose d’intelligence qui n’était pas dans le dossier précédent ; les faits sont reconnus, assumés» et demande 6 mois avec sursis. L’absence de prison ferme doit être prise comme une récompense du fait d’avoir reconnu les faits. Elle réclame aussi 300 euros pour la partie civile et un stage de citoyenneté.
L’avocate de la défense, commis d’office, bredouille quelques paroles («Il a fait profil bas…»), s’emmêle dans des propos étranges («Il ne faut pas faire d’amalgame entre le caillou et le béton [trouvés dans ses poches] et les actes commis…») et n’arrive même pas à choisir ses mots : «Quand il a, excusez-moi l’expression, caillassé…» Le président Taillebot la coupe sans cesse…
À croire que la procureure Cachino a fait une meilleure défense de ce prévenu, rien qu’en enfonçant le précédent.
Finalement, le jour du verdict, celui-ci prend aussi 6 mois dont 3 ferme. La cour d’appel est encore allée au-delà des réquisitions du parquet !
Rebellyon, 15 mars.
«Trahison de classe» : 3e compte-rendu d’audience de la Cour d’Appel de Lyon
Au terme de nombreuses audiences de la quatrième chambre correctionnelle de la cour d’appel de Lyon (celle qui est restée célèbre pour son extrême sévérité depuis le passage de Finidori), voici une série de comptes-rendus. Ces affaires ne concernent que des personnes majeures et sont surtout liées aux manifs d’octobre.
Aujourd’hui, un syndicaliste, sans antécédents judiciaires, est accusé de jet de pierres, de jet de cartouches de grenades lacrymogènes, porteur d’une barre de fer, d’incitation à l’émeute, de préméditation, de tentative d’évasion, de rébellion… contre la force publique le 19 octobre, sans avoir provoqué d’ITT. Les flics l’ont bien tartiné alors qu’il ne reconnaît qu’un jet de canette sur une poubelle.
À la lecture de l’accusation, le président Taillebot s’étonne : «Vous n’aviez pas l’équipement du parfait manifestant.»
L’avocat général Ponsard mène l’attaque en défendant le pouvoir en place, version diviser pour mieux régner : «Vous êtes un ouvrier ? Pourquoi étiez-vous avec les lycéens et pas avec les ouvriers ?» Il reprend ensuite sa diatribe citoyenniste, cette fois-ci teintée de mépris vis-à-vis de ce qu’il ne considère pas comme «civilisé» : «Allons-nous accepter que la violence devienne un moyen d’expression démocratique dans un pays civilisé ?» Le prévenu nie en bloc.
L’avocat du prévenu, Bambanast, demande la relaxe : «C’est un syndicaliste, il travaille, vous avez toutes ses fiches de paie, 6 mois ferme pour quelqu’un qui est dans une manifestation contre la réforme des retraites, qui a le droit de manifester, qui n’a jamais eu de problème avec la justice.»
La défense paie et son client est condamné à 6 mois avec sursis — 6 mois de trop, surtout si on se rappelle que le tribunal ne lui avait mis que 2 mois avec sursis…
Le suivant n’est justement pas un syndicaliste, ce qui lui vaut une forte suspicion : de quoi pourrait-il se plaindre ? En effet, c’est un homme jeune, père de deux enfants, qui se présente à la barre. Arrêté le 19 octobre vers le quai Gailleton, puis condamné à 4 mois de prison avec sursis, il doit verser 330 euros de dommages et intérêts et frais de justice à un policier de la BAC (Brigade Anti Criminelle).
Rien que pour la comparution immédiate, son avocat demande plus de 900 euros ! Paysagiste de profession, il n’a jamais eu de problème avec la police et la justice. Il est accusé d’avoir ramassé place Bellecour un galet de sept centimètres sur quatre et d’avoir visé un CRS.
Le président Taillebot résume : «Vous avez un très bon profil social, pas de condamnation, père de famille, tous les éléments sont réunis pour vous insérer correctement.» La conseillère Wyon renchérit : «Vous êtes en train de faire construire une maison, la vie ne vous est pas trop difficile !» (sous-entendu, vous n’avez aucune raison de protester !) suivie par la représentante du parquet qui reprend : «Vous avez un profil tel que vous êtes capable de travailler, vous allez avoir un contrat, vous n’êtes pas dans la rue… pourquoi aller casser du policier, je n’arrive pas à comprendre…» Et elle répète, incrédule : «Vous n’avez pas le profil» (mais, personne n’a «le profil» !).
La cour ne comprend pas comment cet homme père de famille «en a marre de cette société» ! Ce prévenu qui est là debout devant eux fait partie du même monde qu’eux et ça les insupporte à tel point qu’ielles veulent mettre ça «sur un coup de folie», dénigrant ainsi tout discernement au moment des faits (mais alors, pourquoi conserver la responsabilité du prévenu ?), mais le privant aussi du sens politique de ses gestes. L’avocate générale demande une peine ferme d’emprisonnement à exécuter avec un bracelet électronique. Une des peines les plus lourdes, mais aussi une peine significative de la raison d’être des aménagements de peine : il ne s’agit pas de vider les prisons ni de réduire les peines, mais bien d’en inventer de nouvelles.
Quelques semaines plus tard le verdict tombe : 6 mois ferme alors qu’en comparution immédiate, le parquet n’avait demandé que du sursis, et le tribunal l’avait suivi.
La morale de cette histoire : Il y en a qui ont des raisons de casser du flic et d’autres qui n’en ont pas. Quoi qu’il en soit ielles se font tous fracasser !
180 mois de prison environ sont tombés (soit 15 ans) en ce qui concerne les personnes majeures + quelques mineures (mais c’est très difficile d’avoir des infos sur les personnes mineures, avec le huis-clos de la justice). Sur ces 180 mois, 96 sont ferme, soit 8 ans de prison… répartis sur environ 25 personnes. Les peines vont de 2 mois avec sursis à 1 an ferme.
Rebellyon, 19 mars.
«Responsabilité co-respective et mensonge du juge Taillebot.» Compte-rendu no 4 des audiences de la Cour d’Appel de Lyon
Au terme de nombreuses audiences de la quatrième chambre correctionnelle de la cour d’appel de Lyon (celle qui est restée célèbre pour son extrême sévérité depuis le passage de Finidori), voici une série de comptes-rendus. Ces affaires ne concernent que des personnes majeures et sont surtout liées aux manifestations d’octobre 2010 contre la réforme des retraites.
Ce lycéen en terminale est arrêté le 19 octobre, il est accusé d’avoir jeté des pierres et relancé des cartouches lacrymogènes sur des policiers sans faire de blessé.e.s. En comparution immédiate il prend 1 mois avec sursis.
Le juge Taillebot commence en faisant une complète confiance aux forces de l’ordre : «Si on s’en est pris à vous c’est qu’on vous avait repéré dans un groupe» et propose une vision originale d’une émeute : «C’était une partie de plaisir où tout le monde s’est fait plaisir en faisant n’importe quoi». Taillebot n’hésite pas ensuite à humilier le prévenu et avec lui tous les lycéens de sa filière : «On va détailler parce qu’en classe électrotechnique on ne fait sûrement pas beaucoup d’éducation civique». Cela lui sert surtout à faire une leçon d’immobilisme : «Vous confondez l’État et les services de l’État qui sont neutres. Ils n’ont pas voté la loi.»
Wyon, la conseillère, en voyant la profession de la mère du prévenu (professeur des écoles) saute sur l’occasion : «Votre mère est-elle fonctionnaire de l’État ?»… Finalement, elle conclut : «Allez réfléchir à la vie et retournez à vos études !»
L’avocate générale Escolano prend ensuite la parole pour requérir la responsabilité co-respective de tout le groupe. Selon elle, la violence collective a des conséquences si dramatiques sur l’ordre public, traumatisant les habitant.e.s et mettant à mal les institutions, que la violence individuelle ne compte pas. En gros, on s’en fout de qui a fait quoi : on pourrait arrêter les 400 personnes de la manifestation et mettre tout le monde en zonzon indépendamment de leurs actes. D’ailleurs, elle demande de la prison ferme… sans mandat de dépôt. Ici encore on voit à quoi servent les mesures alternatives à la prison (semi-liberté, bracelet électronique, TIG) : non pas à combattre la surpopulation en taule, mais bien à condamner à de la prison et à de multiples peines différentes des personnes qui y auraient échappé autrement.
L’avocat du prévenu, Sayn, monte au créneau : «Cette théorie suppose l’identification du groupe. Qu’est-ce qui se passe place Bellecour ? 400 personnes sont rassemblées sans cohésion entre elles, il y a foule mais pas de groupe. Si on veut appliquer une responsabilité co-respective, ce n’est pas la peine qu’il y ait de procédure, on prend des bus, on les remplit et on condamne tout le monde.» Il évoque ensuite le témoignage d’un flic, à la faveur du prévenu. Les vêtements décrits par le seul témoignage à charge (un gendarme a signé un PV) ne correspondent pas à ceux portés par l’accusé. Il cite l’article 430 du code de procédure pénale qui dit que le témoignage d’une personne assermentée dépositaire de l’ordre public (un fonctionnaire de police) n’a pas plus de poids devant la justice que le témoignage d’un prévenu. À cet instant le président Taillebot le coupe — ce qui va à l’encontre de la déontologie de la justice — pour lui faire remarquer que cela ne s’applique qu’aux contraventions et non aux délits. Cela s’avérera être un mensonge pur et simple du juge Taillebot, juste destiné à déstabiliser la défense ; en effet, l’article en question est clair : «Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements.»
Rebellyon, 22 mars.
«Qu’est-ce que vous êtes venu faire place Bellecour ?» Compte-rendu no 5 des audiences à la Cour d’Appel de Lyon
«Qu’est-ce que vous êtes venu faire place Bellecour ?» (un.e membre de la cour.)
Le 19 octobre, c’est le jour où l’énorme manifestation contre la réforme des retraites arrive place Bellecour. Un étudiant est accusé d’avoir jeté des pierres, deux flics témoignent contre lui, disant qu’il s’est beaucoup débattu et qu’il a dégradé un caméscope (ils n’ont réclamé aucune réparation pour ces dégradations et n’ont d’ailleurs produit aucun justificatif…). La condamnation de 2 mois avec sursis en comparution immédiate le 21 octobre est tombée sous le coup des appels systématiques du parquet.
Devant la cour, le prévenu, de nationalité turque, dit qu’en Turquie les flics sont extrêmement violent.e.s envers les manifestant.e.s — il ne voulait pas blesser les policiers mais les arrêter. Étudiant en doctorat à Lyon, il doit répondre à de curieuses questions de la conseillère Wyon : «Il a des horaires, à 14h30 il ne devait pas être à l’université ?» Dans son ignorance et sa suffisance, la Cour se contente de rigoler quand le prévenu répond qu’en thèse, on choisit ses horaires. Wyon ne se décourage pas et continue de le bombarder de questions : «Est-ce qu’il a réalisé qu’il est en France et que la police n’est pas là pour attaquer les gens ?» [ah bon, pourtant y’en a qui ne se privent pas… par exemple ici ou là] «Quelles sont ses capacités de discernement pour un niveau de Master 2 ?» «Vous avez voulu lancer des cailloux sans vouloir blesser, alors quel intérêt ?» [visiblement cette magistrate, par ailleurs haute placée dans la puissante Union Syndicale de la Magistrature, n’a jamais mis les pieds dans une manifestation et n’a jamais vu les robocops qui canardent de gaz et de flashball à 50 mètres…]
Le parquet, représenté ce jour par Ferron, prend la parole pour débiter toujours la même litanie : Il n’y a pas de difficultés sur la liberté de manifester, mais il y a des casseurs qui menacent l’ordre public. Il demande 6 mois ferme avec un aménagement de peine [encore la même chose : les aménagements ne servent pas à vider les tôles, mais à condamner plus].
L’avocat de l’étudiant, Me Sayn, fait une longue plaidoirie : L’article 430 du code de procédure pénale, qui stipule que les procès-verbaux n’ont pas plus de valeur que les témoignages, est applicable aux délits — sous-entendu Taillebot a menti au cours d’une audience précédente quand il l’a coupé pour lui dire que cela n’est applicable qu’aux contraventions. Il revient encore sur cette séance pour dénoncer les réquisitions d’Escolano, très graves à son sens pour les libertés publiques (elle estimait que toute personne présente dans la manif pouvait être reconnue coupable des jets de pierre de quelques-unes). La Cour se contente de pouffer de rire. Il dénonce aussi la souricière place Bellecour et les disproportions des forces en présence dans l’affrontement : des petits cailloux du jardin d’enfants sont utilisés contre des gendarmes tout équipés. Selon lui, les forces de l’ordre maîtrisaient parfaitement la situation. Il dénonce aussi le fait que très peu de flics ont eu des ITT, alors qu’on fait procès sur procès pour violence sur agents des forces de l’ordre. Il dénonce enfin les propos de Wyon, qui reproche au prévenu de ne pas être à l’université : «Dans ce cas-là, plus personne ne bouge, tout le monde reste à l’usine et à l’école.» «La violence n’est pas caractérisée dans le lancer, mais dans la réception — or personne n’a reçu les projectiles du prévenu.»
L’avocat du prévenu finit par dénoncer l’attitude de la Cour en général, qui aggrave systématiquement les peines, pour conclure : «Il n’y a plus de double degré de juridiction pour la défense à Lyon». Il est donc impossible de faire appel à Lyon. Le conseiller Sermanson passe du sourire amusé à un air exaspéré.
Lors du délibéré, ce sont 6 mois de prison dont 4 avec sursis qui sont prononcés.
Dans l’affaire suivante, l’avocate de la défense se place d’emblée en solidarité avec son collègue face à la cour en déplorant le fait que le double degré de juridiction a disparu à Lyon pour la défense.
Rebellyon, 26 mars.
«Aujourd’hui c’est Saint Ricard, Prie pour nous !» Compte-rendu no 6 des audiences de la Cour d’Appel de Lyon
«Aujourd’hui c’est Saint Ricard, Prie pour nous !» (Taillebot, président de la Cour d’appel.)
Au terme de nombreuses audiences de la quatrième chambre correctionnelle de la cour d’appel de Lyon (celle qui est restée célèbre pour son extrême sévérité depuis le passage de Finidori), voici une série de comptes-rendus. Ces affaires ne concernent que des personnes majeures et sont surtout liées aux manifs d’octobre.
La personne qui passe aujourd’hui, en formation en CAP menuiserie, est comme d’habitude accusée d’avoir jeté une pierre le 19 octobre. En comparution immédiate le 21, elle a pris 2 mois avec sursis. Les flics disent qu’un individu a été décrit par l’hélicoptère, puis arrêté.
La personne accusée reconnaît 5 ou 6 lancers, alléguant qu’elle se sentait en insécurité à cause des flics. En effet, malgré que la casse était finie, ceux-ci bombardaient de gaz et opprimaient des gens pacifiques. Elle ne lançait pas des pierres sur les flics en civils car ceux-ci n’avaient pas de protections.
Le procureur Ferron prend la parole pour dire que les flics ne sont pas là pour faire cesser la manif et qu’il n’y a pas de charge aveugle. «Les CRS ne pensent pas le matin qu’ils vont casser des manifestants.» Il demande 6 mois ferme.
L’avocat de la défense, Me Nagel, relève les contradictions du parquet : rien n’a évolué entre la comparution immédiate et l’audience en appel, et pourtant le parquet a très fortement augmenté ses réquisitions, de 3 mois dont 2 avec sursis à 6 mois ferme… Avec exactement les mêmes éléments ! Il est surpris qu’un seul flic ait été entendu, et qu’on n’a plus de nouvelles de l’hélicoptère, pourtant censé filmer tout ce qu’il se passe. Il plaide que les flics, avec les lacrymogènes, touchent plein de monde et ne font pas le tri. Enfin, il demande la relaxe en arguant qu’il n’y a pas d’interruption temporaire de travail et que le prévenu n’a jamais été condamné.
L’audience suivante commence très fort, avec une affaire de voisinage qui semble ennuyer la Cour ; cependant le président Taillebot trouve quelque intérêt dans le prévenu, et attaque sèchement : «On ne va pas revenir sur votre consommation d’alcool, c’est suffisamment attesté par la police et votre couleur aujourd’hui semble le démontrer.» Sourires entendus des deux autres juges.
Pas de chance, le prévenu est en sevrage. Mais Taillebot ne se démonte pas : «C’est pas de ma faute vous avez le teint rosé.»
Au premier rang, trois jeunes avocat.e.s passent leur temps à discuter, rigoler, échanger des huiles essentielles. Le conseiller Sermanson les fixe d’un œil hautain et foudroyant, sûr de son pouvoir.
Le président Taillebot continue le descriptif de l’affaire en attaquant le tribunal de Saint-Étienne par des commentaires ironiques et assassins : «Comme d’habitude, pas une seule pièce ! C’est la procédure stéphanoise ! Toujours aussi bien instruit, toujours aussi bien documenté !» En fin d’audience, Taillebot conclut sur un ton triomphant : «Aujourd’hui c’est Saint Ricard, Prie pour nous !»
Rebellyon, 29 mars.