Chômeur-euses et précaires sans honte : un collectif à Valence
Le «bon» chômeur n'est plus un «chômeur», c'est un demandeur d'emploi (D.E.), «public-cible» du Pôle du même nom. Il ne tient pas à se faire remarquer, hormis, bien sûr, par un employeur. Le «demandeur d'emploi» se construit à l'envers de l'image repoussoir du mauvais chômeur, ce glandeur qui mène une vie de pacha avec ses 454 euros par mois, et qui ne se sent pas redevable à la société qui lui concède, d'ailleurs temporairement et sous conditions, le droit de survivre, là où les loyers sont encore accessibles. Le «demandeur d'emploi» modèle travaille donc, sans cesse : il refait cent fois son CV, il envoie des milliers de lettres de motivation, il «enquête» pour mieux «cibler» les «gisements d'emplois», il accepte de bonne grâce les ateliers CV, les simulations d'entretien, les bilans de compétences, les stages gratuits, les Évaluations en Milieu de Travail (70 heures de travail bénévole), il en redemande. Il apprend grâce aux ateliers de «coaching» qu'un ami est un partenaire, que rencontrer quelqu'un se dit tisser un réseau, qu'un savoir-faire est une compétence, et que ce qui fait la dignité d'un être c'est la valeur et le potentiel d'expansion de son capital-compétences. Il travaille à devenir l'employé idéal, l'exploité qui n'a pas d'autre exploiteur que lui-même.
«Il y a donc aliénation fondamentale à la source de l'humain. Le devenir autre de chaque individu s'inscrit au cœur de cette rencontre avec l'activité présente et passée des hommes, avec la socialité humaine donc. C'est cette aliénation initiale qui fait de chaque être humain un individu potentiel et donne à chaque société l'espoir d'une histoire.»
Un employé idéal, c'est-à-dire un auto-entrepreneur, un homme économique intégral.
«La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait à cette loi ?» déclarait Laurence Parisot, patronne du MEDEF. Face à cette prise de position qui renforce la capitalisme post fordiste, le collectif des travailleurs-euses précaires et chômeur-euses sans honte se retrouve localement pour exploiter au mieux ce que les dirigeants d'entreprises appellent des droits et qui ne sont que des miettes. L'objectif c'est de trouver dans le groupe le pouvoir de se défendre.
Si vous avez bossé, vous avez peut-être des droits à l'indemnisation ASSEDIC. Malheureusement, si vous avez des droits, vous aurez aussi des obligations contre lesquelles il faut vous prémunir. Par exemple vous pouvez invoquer l'Art L 5422-7 du code du travail : «Les travailleurs privés d'emploi bénéficient de l'allocation d'assurance indépendamment du respect par l'employeur des obligations qui pèsent sur lui en application de la section 3, des dispositions réglementaires prises par son exécution.» Nous pouvons invoquer cet article face à Pôle emploi qui nous emmerde sur nos attestations manquantes.
Des stratégies de résistance face à l'accompagnement et aux obligations de suivi mensuel personnalisé existent. Faire circuler des informations entre nous, permettre d'opposer une stratégie de résistance face à leurs fichiers croisés (comme pour l'URSSAF actuellement). Il est aussi intéressant de se pencher sur les divers dispositifs d'accompagnement à la création d'entreprises débouchant sur le statut d'auto-entrepreneur.
Un mouvement de chômeurs et précaires n'est pas un mouvement corporatiste, pas même un mouvement des «exclus» ou de toute autre catégorie médiatico-sociologique. La crise a appris à ceux qui l'ignoraient encore que bien peu pouvaient se targuer d'une situation garantie, hormis les dirigeants des banques, des entreprises, des médias, des partis politiques et des syndicats institutionnels. Le chômeur, au fond, ce n'est pas tant le «privé d'emploi» que celui qui refuse, au sein de la firme globale qu'est cette société, d'être affecté à telle ou telle tâche selon les exigences du patronat, ou du gouvernement, ou du Pôle Emploi qui veut «faire du chiffre». La lutte des chômeurs intéresse directement celle des travailleurs. Refuser un job pourri ou un stage intensif de coaching, empêcher la radiation ou la suppression d’allocations n'est pas différent de refuser une augmentation des cadences, des licenciements ou des baisses de salaire.
Nous, les travailleurs précaires, les chômeurs sans honte, les intermittents du spectacle, étudiants désorientés, nous pouvons nous croiser dans les queues des CAF et Pôles Emploi, nous pouvons agir collectivement contre les voleurs de temps, les exploiteurs de l'attention que sont les Pôles Emploi, mais également toutes les entreprises privées qui prospèrent de la saturation préméditée de ce dernier : il s'agit des boîtes d'intérim, de placement privé, de coaching et de consulting, des associations d'insertion, qui disposent également d'un pouvoir souverain sur les revenus des chômeurs.
Pour nous joindre : AG du collectif tous les mercredis de 16h à 18h au 8, place saintJean à Valence ; Contact.
Tract publié sur le blog du Laboratoire le 21 décembre 2010.