Bas les pattes sur Alexander Trocchi !
Internationale situationniste no 5, décembre 1960.
Résolution de la IVe Conférence de l’Internationale situationniste concernant l’emprisonnement d’Alexander Trocchi
Les délégués de la Quatrième Conférence de l’Internationale situationniste, informés de l’arrestation aux États-Unis de leur ami Alexander Trocchi et de son inculpation pour usage et trafic de drogues, déclare que l’Internationale situationniste garde pleine confiance en Alexander Trocchi.
La conférence DÉCLARE que Trocchi ne peut, en aucun cas, être impliqué dans un trafic de drogues ; il s’agit clairement d’une provocation policière par laquelle les situationnistes ne se laisseront pas intimider ;
AFFIRME que la prise de drogue est sans importance ;
MANDATE Asger Jorn, Jacqueline de Jong et Guy Debord pour agir immédiatement au profit d’Alexander Trocchi et informer l’Internationale situationniste de leur action dans les meilleurs délais ;
APPELLE tout spécialement les autorités culturelles de Grande-Bretagne et tous les intellectuels britanniques attachés à la liberté à exiger la mise en liberté d’Alexander Trocchi, qui sans le moindre doute est aujourd’hui l’artiste le plus intelligent et le plus créatif d’Angleterre.
Londres, le 27 septembre 1960.
[Traduction française Œuvres (Quarto, 2006).]
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Hands off Alexander Trocchi
For several months the British writer Alexander Trocchi has been kept in prison in New York.
He is the former director of the revue Merlin, and now he participates in experimental art research in collaboration with artists from several countries, who were regrouped on September 28th in London in the Institute of Contemporary Arts (17, Dover Street). On that occasion, they unanimously expressed in public their solidarity with Alexander Trocchi, and their absolute certainty in the value of his comportment.
Alexander Trocchi, whose case is due to be tried in October, is, in effect, accused of having experimented with drugs.
Quite apart from any attitude on the use of drugs and its repression on the scale of society, we recall that it is notorious that a very great many doctors, psychologists and also artists have studied the effects of drugs without anyone thinking of imprisoning them. The poet Henri Michaux has hardly been spoken of in recent years on the successive publications of his books announced everywhere as written under the influence of mescaline.
Indeed we consider that the British intellectuals and artists should be the first to join with us in denouncing this menacing lack of culture on the part of the American police, and to demand the liberation and immediate repatriation of Alexander Trocchi.
Since it is generally recognized that the work of a scientist or an artist implies certain small rights, even in the U.S.A., the main question is to bear witness to the fact that Alexander Trocchi is effectively an artist of the first order. This could be basely contested for the sole reason that he is a new type of artist, pioneer of a new culture and a new comportment (the question of drugs being in his own eyes minor and negligable).
All the artists and intellectuals who knew Alexander Trocchi in Paris or London ought to bear witness without fail to his authentic artistic status, to enable the authorities in Great Britain to take the necessary steps in the U.S.A. in favour of a British subject. Those who would refuse to do this now will be judged guilty themselves when the judgment of the history of ideas will no longer allow one to question the importance of the artistic innovation of which Trocchi has been to a great extent responsible.
We ask everyone of good faith whom this appeal reaches, to sign it, and make it known as widely as possible.
October 7th, 1960
Guy Debord, Jacqueline de Jong, Asger Jorn
Address : 32, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, Paris-5e
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Hands off Alexander Trocchi
Depuis plusieurs mois l’écrivain anglais Alexander Trocchi est détenu en prison à New York.
Anciennement directeur de la revue Merlin, il participe actuellement à la recherche dans le domaine de l’art expérimental en collaboration avec des artistes de plusieurs pays réunis le 28 septembre à Londres à l’Institute of Contemporary Arts (17, Dover Street). À cette occasion, ils ont unanimement exprimé en public leur solidarité avec Alexander Trocchi, et leur estime absolue quant à son comportement.
Alexander Trocchi, dont le procès doit s’ouvrir en octobre, est, en effet, accusé d’avoir fait l’expérience de la drogue.
Indépendamment de tout jugement sur l’usage des drogues et de sa répression d’un point de vue social, nous rappelons qu’il est notoire qu’un très grand nombre de médecins, de psychologues et aussi d’artistes ont étudié les effets des drogues sans que personne ne songe à les emprisonner. On n’a guère parlé ces dernières années du poète Henri Michaux sauf à propos de la publication de ses livres présentés partout comme écrits sous l’influence de la mescaline.
Nous considérons que les intellectuels et artistes anglais devraient être les premiers à nous rejoindre pour dénoncer ce dangereux manque de culture de la police américaine et exiger la libération et le rapatriement immédiat d’Alexander Trocchi.
Depuis qu’il est généralement admis que le travail d’un scientifique ou d’un artiste suppose certains petits avantages, même aux États-Unis, la principale question est donc de témoigner qu’Alexander Trocchi est effectivement un artiste de premier plan. Ce qui pourrait lui être bassement contesté pour cette seule raison qu’il représente un nouveau type d’artiste, pionnier d’une nouvelle culture et d’un nouveau comportement (la question de la drogue étant à ses propres yeux mineure et négligeable).
Tous les artistes et intellectuels qui ont connu Alexander Trocchi à Paris ou à Londres doivent témoigner sans hésitation de son authentique statut d’artiste, pour permettre aux autorités de Grande-Bretagne d’entreprendre les démarches nécessaires aux États-Unis en faveur d’un sujet britannique. Ceux qui refuseraient de le faire aujourd’hui se condamneront eux-mêmes lorsque le jugement de l’histoire des idées ne permettra plus que l’on s’interroge sur l’importance de l’innovation artistique dont Trocchi aura été dans une large mesure responsable.
Nous demandons à chacun de ceux à qui cet appel parviendra, de le signer et de le faire connaître aussi largement que possible.
7 octobre 1960
Guy Debord, Jacqueline de Jong, Asger Jorn
Adresse : 32, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, Paris-5e
[Traduction française Œuvres (Quarto, 2006).]
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«Avertie de l’arrestation d’Alexander Trocchi à New-York, considéré comme un gangster simplement parce que la police l’aurait trouvé porteur de trois sortes de stupéfiants, la Conférence de Londres a immédiatement adopté, le 27 septembre, une résolution en sa faveur, qui a été lue le lendemain devant le public réuni à l’Institute of Contemporary Arts.
En exécution du mandat à eux donné par la Conférence, trois situationnistes ont signé un tract diffusé le 7 octobre : Hands off Alexander Trocchi. Ce texte, assez modéré pour être signé par des gens capables de défendre, à défaut de plus, la liberté des artistes, se place en effet volontairement sur le terrain simplement artistique, pour servir dans ce cas juridique concret. Et il fait remarquer que ce statut artistique ne pourrait être contesté à Alexander Trocchi que “pour cette seule raison qu’il représente un nouveau type d’artiste”, comme d’ailleurs tous les situationnistes. Sans compter ceux-ci, cet appel a déjà réuni 81 noms d’artistes, d’écrivains ou critiques de plusieurs pays (Grande-Bretagne, Allemagne, France, Hollande, Belgique, Suède, Israël, Danemark, Canada et États-Unis). Il ne s’est trouvé jusqu’ici que deux individus pour le juger trop compromettant, et oser le dire. Plusieurs personnes, qui n’ont pas encore communiqué leur réponse, auront certainement l’occasion de la faire connaître avant longtemps. Nous publierons prochainement ici les suites de cette affaire, ainsi que tous les détails et commentaires utiles sur les prises de position de toutes sortes.»
«Renseignements situationnistes»,
Internationale situationniste no 5, décembre 1960.
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«Au début d’un article de la revue Dissent (volume VIII, numéro 1) paru l’hiver dernier Edwin M. Schur constate avec un étonnement teinté de mélancolie : “De plus en plus celui qui s’adonne à la drogue devient un héros d’avant-garde en même temps qu’un moderne bouc émissaire. Ce qu’ont fait Jack Gelber, William Burroughs, Alexander Trocchi et d’autres a stimulé l’intérêt que l’on porte à la vie des ‘junkies’. Ces rebelles, selon Norman Mailer, considèreraient même l’usage des stupéfiants comme faisant partie d’un nouveau radicalisme, justifié dans leur esprit par la futilité du courant d’opposition strictement politique ! En vérité, voilà qui réaliserait ‘la fin des idéologies’ d’une manière terrible…”
Notre camarade Alexander Trocchi a pu heureusement regagner l’Europe à la fin de mai 1961. La rédaction d’Internationale situationniste n’est pas en mesure de confirmer officiellement s’il s’est soustrait aux persécutions de la police new-yorkaise en mettant à profit une mise en liberté provisoire pour franchir clandestinement la frontière du Canada, comme le bruit en a couru. Mais nous pouvons assurer cependant qu’aucun non-lieu n’avait été finalement rendu dans son affaire, malgré la monstrueuse imbécillité de l’accusation, clairement démontrée par deux publications situationnistes.»
«Renseignements situationnistes»,
Internationale situationniste no 6, août 1961.