Alcools et drogues, remèdes illusoires à notre servitude
La question de l’alcool et des drogues est un sujet complexe à aborder : il s’agira dans cet article, plutôt que de se poser en bon moralisateur et en donneur de leçons, d’analyser ce phénomène de société. En effet, la consommation de drogues et d’alcool est un phénomène très diffus, si enraciné dans nos civilisations qu’il apparaît aux yeux de toutes et tous comme «normal», comme «coulant de source».
Toutefois, il est essentiel de pénétrer plus en profondeur ce sujet primordial afin de mieux comprendre son ampleur dans nos sociétés capitalistes et sa signification politique et sociale.
Dans un océan de morosité, de petits îlots d’ivresse collective !
«Prendre une grosse murge», «se mettre la race», «se défoncer la tronche»… Autant de termes et d’expressions qui fusent en soirée ou à la maison, lorsque les boissons alcoolisées et les substances psychotropes circulent à foison. La finalité n’étant plus de s’amuser entre amis, mais de se mettre le plus souvent dans un état pitoyable et d’échapper ainsi à toute lucidité.
L’alcoolisme et la surconsommation de drogues n’est évidemment pas une nouveauté, mais bien un phénomène ancré depuis des siècles. Cependant, depuis quelques temps, on peut ressentir chez certains ou certaines, une certaine volonté de boire et de fumer — entre autres — jusqu’à perdre pied sur la réalité, jusqu’à une limite extrême. Quels que soient le statut et la catégorie socioprofessionnelle de chacun, les individus ressentent le besoin de «décompresser», en période de week-end ou pendant les soirées, ce qui peut se comprendre après une dure journée de boulot, une semaine de travail, d’étude, de surmenage, etc. Et pour ce faire, les moyens sont nombreux, à libre disposition de tout le monde. Car les États et les autorités gouvernementales ne
s’opposent pas à ce phénomène de surconsommation alcoolique, bien au contraire.
Prenons pour exemple ces soirées de liesse populaire (patriote, folklorique ou religieuse) : que sont-elles à part des beuveries géantes gracieusement offertes par nos gentils maîtres politiciens ? Sous prétexte de fête nationale ou locale, les puissants noient la morosité, la tristesse et la misère du peuple dans les pintes de bière et les cubis de vinasse. Pour rester sur des exemples, il est tout aussi intéressant d’évoquer les concerts ou les raves. De plus en plus, dans ces lieux dits «alternatifs», on vient avant tout pour laisser de côté son cerveau à l’aide de substances diverses. Les revendications contestataires et celles qui sont en marge de la société passent bien en deçà de ces grandes murges de l’oubli. Le phénomène des raves est bien caractéristique de ce fait-là : auparavant basées sur des valeurs autogestionnaires, d’entraide et d’indépendance face à l’État, elles sont à présent — le plus souvent — de simples lieux de défonce où l’objectif est de s’envoyer le plus de produits dans le système nerveux.
Ainsi, comme dans les grandes soirées organisées par les tenants du pouvoir, les individus viennent là aussi en tant que consommateurs et non en tant qu’acteurs, afin d’oublier leur petite routine par le biais des remèdes psychotropes. Dans les deux cas, chacun rentre chez soi le lendemain, à nouveau prêt à retrouver sa petite morosité.
Dans les deux cas, l’impression de liberté offerte par la fête et par les diverses substances n’est qu’illusoire. Tout au plus, elle est une évasion hors de nos diverses réalités, elle reste une simple fuite mentale permise de temps en temps par les geôliers de ce monde, dans les cages temporaires qu’ils nous bâtissent.
Fuir la réalité n’est pas la combattre…
Les pouvoirs ne s’opposent pas véritablement à ce phénomène sociétal. D’un côté, l’État se cache sous l’image de la «prévention» contre les drogues et l’alcoolisme, d’un autre il tend à le favoriser. S’agit-il là d’une contradiction hasardeuse ?
Loin de là ! Car à côté des drogues dogmatiques que sont la religion et les croyances, à côté de l’intoxication surconsommatrice et ultrapossessive, les drogues que sont l’alcool et tout le reste vont elles aussi dans ce même sens : aider à mieux subir les conditions de vie que nous connaissons au quotidien.
Un outil pour mieux supporter la pauvreté, une période de chômage, la routine au boulot, à la maison, la noirceur ambiante et uniforme de nos existences. Les paradis artificiels ainsi que l’ivresse nous éloignent quelque peu de nos soucis, mais n’enraillent en rien leur pérennité.
De même, ils sont un moyen efficace pour mieux accepter la domination étatique, la pression patronale, l’oppression constante du capitalisme, la mise à mal de notre dignité et de notre capacité à vivre et à faire des choix librement.
L’idée, bien sûr, n’est pas ici de diaboliser les boissons alcoolisées et les drogues. L’idée n’est pas non plus de se permettre un quelconque jugement moral sur ceux et celles qui en consomment.
Loin des discours moralisateurs habituels, il est toutefois nécessaire de comprendre la fonction sociale et politique de ces diverses substances. Au lieu de nous libérer, elles nous enferment encore plus sûrement dans la servitude de nos systèmes étatiques. Elles maintiennent la classe exploitée dans la résignation et dans ce fatalisme de nos temps modernes. Pour chaque problème, sa solution temporaire : un rail de coke au boulot, un pétard pour se détendre, une cuite en réaction au train-train d’une semaine comme les autres, etc.
Certes, il est essentiel de s’amuser et de décompresser un petit peu de temps en temps, mais il ne faut pas perdre de vue la réalité dans laquelle nous vivons. Il ne faut pas oublier que notre dépravation convient à la classe dominante, qui, de son hublot, se fend la gueule en voyant le peuple se noyer dans la boisson et dans les substituts à la réalité.
La vie est — par essence — un état violent où, pour vivre et non pas survivre, il nous faut faire face à la réalité, faire face à notre servitude, affronter le ridicule de nos situations, affronter la complexité de nos existences et de nos individualités que les gouvernements tentent d’uniformiser dès notre naissance. Certes, le combat est difficile, mais il l’est encore plus si on y ajoute tous ces instruments de «contrôle» qui nous écartent du combat individuel et collectif pour une véritable dignité humaine.
La volonté d’un changement social, en rupture avec le système d’exploitation de l’Homme par l’Homme, ne passe ni par la consommation de stupéfiants, ni par celle de boissons alcoolisées. Ne nous laissons pas enfermer dans cette illusion de liberté !
Fab - Le Libertaire 66 no 13, septembre 2010
Périodique du Groupe Puig Antich de la CGA (contact).