Lettre de Guy Debord à Jacques Le Glou, en mars 1974
Cher Jacques,
Comme tu le penses bien, je n’ai pas cru un mot des stupides allégations d’une presse avide du sensationnel le plus malsain, quand il lui a plu l’autre jour de t’imputer, avec cette inconséquence et cette rage falsificatrice qu’on lui connaît de longue date, toute une invraisemblable série de forfaits.
Vraiment, cette fois, les curés exagèrent : escroquerie ? Banqueroute ? Et pourquoi pas, pendant qu’ils y sont, incendie volontaire, provocation au meurtre ou atteinte à la sûreté de l’État ? Pour salir les révolutionnaires les plus intègres, on commence par de telles bagatelles, et puis insensiblement on en vient à des calomnies plus redoutables, selon lesquelles ils pratiqueraient aussi bien le vol dans les librairies, l’attroupement séditieux, l’indélicatesse en matière de propriété artistique, et jusqu’à la débauche ?
La futilité des accusations fait sourire. À qui fera-t-on croire, d’abord, qu’il existerait une «législation sur la construction» ? Un seul regard sur ce que l’on construit aujourd’hui dissipe instantanément ce sophisme. Quant au reste, tu peux répondre, la tête haute, que l’escroquerie la plus spectaculairement maladroite gouverne à Paris comme à Washington, Moscou, et Pékin ; et qu’il n’y a d’autre banqueroute que celle du Vieux Monde, dans sa totalité.
Sois sûr que je te conserve toute mon estime ; et que je me proposerais hautement pour venir dans le prétoire en témoin de moralité — si diverses rumeurs, sans aucun fondement et forgées de toutes pièces sur tous les sujets par je ne sais quels adversaires, sectaires ou jaloux, n’avaient aussi parfois circulé à mon propos… Passons : l’innocence la plus sévère n’est malheureusement pas à l’abri d’injustes soupçons, dans les temps troublés.
À bientôt.
Guy