Sublimons les frontières...
Hier soir, mardi 29 septembre, une dizaine de personnes se sont invitées à deux débats dans le cadre du forum des Instituts culturels étrangers à Paris dont le thème était cette année : «Sublimons les frontières» ! Il s’agissait donc de rappeler au public des centres culturels des Pays-Bas et de l’Italie que les frontières, et notamment celles issues de la construction européenne riment avant tout avec contrôles, camps, enfermement, mort, pour des millions de personnes…
L’accueil à l’Institut culturel néerlandais ne fut pas vraiment chaleureux ! Les mondain-es ont très rapidement chahuté et insulté le groupe. Nous y avons distribué un tract que nous avons réussi à lire malgré leurs vociférations et gesticulations.
À l’Institut culturel italien, nous avons lu le témoignage d’un retenu du centre de Ponte Galleria à Rome et avons informé des révoltes dans les centres de rétention en Italie en ce moment ainsi que du procès en cours de 14 «révoltés» du CIE de Milan. L’accueil fut plus courtois et compréhensif.
Voici le texte distribué :
Sublimons les frontières, la construction européenne, qu’est-ce que c’est ?
Au-delà des expositions, des débats, des vernissages, concerts et autres réjouissances auxquelles nous sommes conviés sous l’intitulé «Sublimons les frontières», il faut s’interroger sur ce que signifie cet espace géographique et politique, l’espace Schengen, à l’intérieur duquel, les frontières auraient soi-disant disparus.
La disparition des frontières à l’intérieur de cet espace, qu’est-ce que c’est concrètement ?
— C’est tout d’abord l’externalisation du contrôle aux portes de l’Europe en accord avec des pays tels que la Lybie, la Turquie ou l’Ukraine où sont financés des camps pour enfermer les étrangers décrétés indésirables. C’est aussi le renforcement du contrôle à l’intérieur du territoire et la dissémination des frontières : dans les consulats, les préfectures, les centres de rétention, mais aussi dans la rue où chaque contrôle d’identité peut conduire à l’expulsion.
— C’est la «coopération transfrontalière» en matière de contrôle et de sécurité intérieure : chaque pays qui veut adhérer à l’U.E. se voit ainsi contraint de développer ses techniques de surveillance aux frontières extérieures. Autrement dit, pour entrer dans l’Europe, il faut donner des gages d’une frontière solide et y mettre les moyens.
— C’est l’harmonisation juridique qui permet, entre autre, de créer le délit de séjour irrégulier pour punir les étrangers indésirables et d’allonger la durée légale de rétention afin de se donner les moyens de les expulser.
— C’est la construction de toujours plus de prisons, de centres de rétention, de zones d’attente pour mieux gérer les flux, c’est-à-dire enfermer, trier, expulser les étrangers.
— C’est la coopération des polices de tous les pays, notamment à travers Frontex, pour refouler le maximum de gens avant même qu’ils ne posent le pied sur le territoire et pour organiser des charters européens, plus économiques que les expulsions individuelles.
— C’est l’harmonisation de la liste des pays soumis à visa, c’est-à-dire les pays pauvres dont les habitants ne sont pas les bienvenus. C’est donc la possibilité d’exclure des personnes de l’ensemble de l’U.E.
Malgré tout cela, des hommes et des femmes auxquels l’Europe a refusé l’entrée choisissent de franchir les frontières.
Ces frontières, qui ont soi-disant disparues et que l’on «sublime», qu’est-ce que c’est ?
— Ce sont des Somaliens morts de faim et de soif, brûlés par le soleil, agonisant des dizaines de jours dans un canot pneumatique laissé à la dérive entre Malte et l’Italie.
— Ce sont des femmes Érythréennes violées quotidiennement dans les camps, financés par l’U.E., où elles sont enfermées en Lybie.
— Ce sont des Africains morts noyés dans le détroit de Gibraltar alors qu’ils essayaient de gagner les côtes espagnoles.
— Ce sont des adolescents qui tentent de fuir la guerre et qui nous appellent au secours depuis la prison pour migrants où ils sont enfermés à Pagani en Grèce.
— Ce sont ces centaines d’Afghans, Irakiens et autres êtres humains acteurs malgré eux de la politique spectacle qui a brûlé leurs cabanes à Calais.
— Ce sont onze personnes brûlées vives dans leur «detentien centrum» à Schipol aux Pays-Bas.
— Ce sont aussi Gaganpreet Singh K., 20 ans, demandeur d’asile emprisonné en Autriche, mort alors qu’il était en grève de la faim depuis plus d’un mois ;
Salem Souli laissé mourir faute de soins au centre de rétention de Vincennes ;
Hassan, mort après avoir agonisé toute la nuit dans le centre d’identification et d’expulsion de Turin ;
Armen, mort malade au centre fermé de Bruges ;
Mabruka, mère de famille tunisienne qui s’est suicidé la veille de son expulsion, dans la prison de Ponte Galeria à Rome ;
Kazim, 22 ans, qui s’est donné la mort dans sa cellule du Canet à Marseille ou Ebnizer Folefack qui s’est pendu au centre fermé de Merkplas après avoir été sauvagement frappé par les policiers qui voulaient l’expulser.
L’Europe finalement, ce sont des milliers d’anonymes, contrôlés, enfermés, déplacés de force afin de mieux les exploiter et de préserver le bien-être de quelques uns/es.
Mais, toutes les barrières du monde, tous les hélicoptères et bateaux de Frontex, tous les systèmes de contrôles sophistiqués et les fichiers ne pourront jamais arrêter ces milliers d’êtres humains qui, par choix ou par force, décident un jour de partir tenter une vie meilleure ailleurs. Que ce soit en Belgique, en Italie, en France ou ailleurs quelques anonymes, avec ou sans papiers, parfois se révoltent contre les contrôles, les centres de rétention, les expulsions. De ceux et celles-là, de toutes celles et ceux qui «brûlent» les frontières et les centres de rétention, de Milan à Vincennes en passant par Gandufa (Lybie) et Rotterdam et de tous les autres aussi qu’on enferme, expulse et tue, nous sommes solidaires.
Supprimons les frontières !
Zpajol, 1er octobre 2009
Liste sur les mouvements de sans-papiers.