Presse-Océan et le Camp climat de Notre-Dame-des-Landes
Quotidien sur la région nantaise, Presse-Océan est un bon cas d’étude de la propagande médiatique par le traitement qu’il a réservé au Camp climat qui s’est tenu à Notre-Dame-des-Landes du 3 au 9 août 2009. Pendant à la ligne éditoriale plus locale de Ouest-Rance, dont il est la propriété, il est à la pointe de la stratégie de communication des autorités autour du Camp climat et de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il a publié de nombreux articles, certains à la Une quand le sensationnalisme était là, tout au long de la semaine.
Dès le départ, initié par la première conférence de presse du Camp climat, le ton est donné. L’article qui en résulte n’est qu’une longue suite de provocations et de moqueries [Presse-Océan, édition du 29 juillet 2009]. Le fait que personne ne souhaite donner son identité agace le journaliste, la discrétion autour des actions qui pourraient avoir lieu (et qui restaient à décider collectivement sur le camp) ne semble pas être facile à comprendre et est source d’ironie. Mais qui oserait révéler à des journalistes ses prochains actes, hormis des employés du ministère de l’Intérieur, quand une brève du Monde paru durant la semaine de préparation du camp sur le procès du saccage d’une sous-préfecture par les Contis expliquait que les quelques participants à ce moment, condamnés par la justice, avait notamment été dénoncés par les images de TF1 ?
Même les encarts de cette édition sur les formations médicales et légales en préparation du camp, accompagnées de photos de robocops flirtent avec le sensationnalisme et la stigmatisation dans leur ton.
Cette première page consacrée au Camp climat provoquera sur le camp beaucoup de tensions envers les journalistes, ses présentations étant manifestement totalement subjectives, caricaturales, moqueuses et malhonnêtes aux yeux de tout le monde. Une fois de plus la prétendue objectivité journalistique était démasquée.
Par la suite un seul journaliste (je crois) de Presse-Océan est passé officiellement sur le camp, la personne qui l’a reçu lui a fait comprendre (Laurent ou Laurence, prénoms qu’il a été collectivement choisi de se donner lorsqu’un journaliste demandait une identité, puisque cela les énervait) que cette page avait provoqué la colère des participantEs du Camp action climat et qu’il fallait transmettre le message à la rédaction du journal, expliquant pourquoi personne ne souhaitait particulièrement répondre à leurs questions.
Le jeu de la division
Dans les premiers articles de Presse-Océan, et tout au long de la semaine, se dégage déjà une première stratégie. En citant des phrases de la co-présidente de l’ACIPA (qui niera avoir jamais dit ces mots, quoiqu’on en retrouve certains dans une vidéo), critiques et même jugeantes envers les participantEs au Camp climat (des jeunes, immatures, parfois incohérents…), la volonté manifeste de jeter le trouble entre les deux différents campements [Le Camp climat et la Semaine de résistance sont deux organisations et espaces séparés pendant la semaine de lutte contre l’aéroport, né de la volonté du Camp climat d’être un collectif d’individuEs. Les organisations et les partis souhaitant apparaître fortement, ils ont préféré quitter l’organisation du Camp climat et organiser à côté une «Semaine de résistance».] apparaît aux yeux de beaucoup de personnes. De fait ce passage soulèvera beaucoup de débat au sein et entre le Camp climat et la Semaine de résistance, dans un contexte et une histoire déjà complexe.
Cette stratégie n’est pourtant pas sans rappeler un petit souvenir d’opposantEs à l’aéroport, qui quelques semaines plus tôt, alors qu’illes arranguaient Patrick Maréchal [Président socialiste du Conseil général de Loire-Atlantique, partie prenante du projet d’aéroport] lors de l’une de ses apparitions publiques, s’entendirent répondre par celui-ci à peu de choses près qu’il comptait bien plus sur les dissensions internes que sur la répression pour que cette semaine de lutte ne trouble pas ses beaux projets bétonnés pour l’avenir.
Des journalistes comme celle de Libération viennent ensuite crier à la Corée du Nord, elleux qui pour la plupart n’y ont sans doute pas mis les pieds, parce que quelques méfiances de la part des participantEs du Camp climat les ont amenés à essayer de cadrer un peu la présence des journalistes sur le camp.
Les règles en place n’étaient pas très nombreuses et tournaient autour de la protection de la vie privée, sur un lieu qui, n’en déplaise aux journalistes, n’était pas un espace médiatique public mais bien un lieu de vie et de lutte temporaire et autonome. Qui voudrait voir des flashs de photos lorsqu’ille se rend aux toilettes (sèches) ? Ces règles sont les mêmes que celles adoptées sur la plupart des campements altermondialistes, la colère qu’elles peuvent provoquer chez les journalistes n’est que l’écho de celles de personnes qui ont vu venir les opérations médiatiques de ces dernières années, des émeutes de 2005, au campement anti-Otan de Strasbourg, en passant par Villiers-le-Bel ou Tarnac et tout ce genre de moments. Dans tous les cas la présence de journalistes était inévitable, et mieux valait s’organiser plutôt que de simplement la subir.
Les faits divers
Cette tentative de division se jouera également sur certaines actions qui ne sembleront pas d’évidence attribuées à des participantEs au Camp action climat aux yeux des journalistes de Presse-Océan, histoire d’en dissocier les participantEs. Ainsi la première action de la semaine, où Nantes Métropole [Communauté urbaine de Nantes, un des autres porteurs du projet d’aéroport] a vu aux dires de la rumeur un de ses locaux aspergé de purin d’orties et d’huile de vidange, ses murs taggés contre l’aéroport, un tract [Malheureusement aucune version en ligne de ce tract ne semble exister] distribué expliquant le lien avec la lutte, a presque été traité par Presse-Océan comme un fait divers, quasi déconnecté de la lutte contre l’aéroport et peu de son sens transparaîtra dans l’article [Presse-Océan, édition du mardi 4 août 2009]. Le soir même, le tract fut lu et applaudi joyeusement par l’assemblée, comme une ouverture à la semaine d’action. La stratégie de division avait bien du mal à agir.
L’auto-réduction du supermarché de Vigneux, pendant la journée d’action du jeudi, se verra encore plus traitée sur un mode de sensationnalisme et de fait divers que celle de Nantes Métropole. Cette fois encore, aucun lien n’est fait avec le Camp action climat au départ, et tout juste ensuite est-il parlé d’«action en marge de». Le sens de l’action est encore plus dépolitisé, et il ne s’agit plus d’une auto-réduction mais presque d’une sorte de braquage. Beaucoup de ces «imprécisions» sont probablement dues au fait que la rédaction du journal n’avait que peu d’informations du Camp action climat, n’étant pas très bien accueilliEs, et préfère relayer comme elle l’a montré par la suite les propos des autorités, préfecture ou conseil général.
Lorsque dans le Camp action climat il est organisé le jeudi au moins quatre actions différentes, Presse-Océan se voit bien obligé d’y accorder de la place dans ses colonnes. L’édition du vendredi est un bon exemple du positionnement du journal.
À la Une, l’auto-réduction de la veille sur le mode du sensationnalisme encore («À 50 ils pillent le supermarché»), suivie d’une double page, l’une dans la rubrique «politique» relatant les actions de la brigade des clowns et de la vélorution le même jour, l’autre rubrique «fait divers» à propos de l’auto-réduction. Alors que le matin même sur le camp, les participantEs avaient pu découvrir le «butin» de l’auto-réduction avec banderole et tracts expliquant l’action, et que la plupart se sont largement et joyeusement servies dedans, dans le journal, les seules paroles que l’on peut lire sont celles de la préfecture, du procureur et du gérant du magasin, résultat de la coupure avec les participantEs au Camp action climat, mais aussi choix éditorial cohérent au vu du reste de la semaine. Pour les participantEs du camp déjà l’action faisait clairement partie de celles lancées à partir du Camp action climat.
Dans le camp…
Le choix est clair en tout cas sur les intentions de Presse-Océan, la désinformation évidente pour beaucoup, le parti-pris ne laisse plus de doute à personne. Sur le camp, le positionnement n’est déjà pas simple par rapport à cette auto-réduction. Les méthodes employées questionnent, mais les débats tournent aussi parfois autour de l’auto-réduction qui a eu lieu à Toulouse où un participant perdit un œil à coup de flash-ball, des caméras sur le parking et dans le supermarché (qui serviront largement à la propagande médiatique sur la chaîne locale de France 3 et seront reprises à la une de Presse-Océan), et sur le fait que toutes les personnes qui se sont rendues à ce supermarché dans la semaine ont clairement vu cette voiture garée sur le parking avec à bord trois personnes à l’air louche de vigiles.
Ce gérant si honnête et intègre, lui qui clame partout avoir voulu discuter, tel que présenté par le journal, avait donc prévu que le camp pouvait lui apporter quelques soucis (de fait une rumeur traînait sur le camp depuis un moment) et mis en place de quoi l’accueillir. Une auto-réduction sur le mode de la négociation n’avait probablement que peu de chances de réussir.
Dans l’ensemble, les participantEs du camp ne sont pas vraiment tombés dans cette volonté de diviser. Même si des critiques ont été émises, pour autant la cohésion a continué, comme le long de la semaine, dans une ambiance qui a toujours été plutôt sereine. La présentation biaisée de cette action a finalement plus été matière à exacerber les débats (sur le mode d’action des médias, la pertinence de certaines stratégies de lutte), aidé à en définir les termes, qu’à provoquer des véritables scissions. Il était de toute façon admis que le mode d’organisation des actions de la semaine sur le Camp action climat se ferait par groupes affinitaires, et de fait du point de vue du nombre d’actions le Camp climat est une réussite. On peut dire aussi que le respect de la diversité des tactiques, nécessaire entre les groupes dans ce genre d’organisation, fut maintenu.
L’organe de pub
On pourrait s’arrêter là, ou tourner deux pages de cette édition du vendredi, pour découvrir une double page à l’air de publicité commandée directement par le Conseil général de Loire-Atlantique. Axé sur les «travailleurs écolos» employés à la sensibilisation du public sur l’environnement, autrement dit les saisonniers (comme le dit l’une des personnes interviewées «c’est juste un boulot d’été sympa»), on peut lire dans la titraille «Le Conseil général investit pour la nature […]» Façon de se rattraper quand on est l’un des promoteurs du prochain aéroport, bel exemple du relais des autorités que peut être le journal Presse-Océan, par cet enchaînement subtil d’articles et de pages. C’est dans la droite lignée de la communication du Conseil général ces derniers mois et des 830 hectares de nature qu’il prétend «offrir», peu par rapport au nombre d’hectares qu’il entend bétonner avec son projet d’aéroport.
Une citation se démarque sur la première page : «surveillance, dissuasion, sensibilisation à l’environnement», des mots que l’on pourrait coller à une opération militaire, peut-être pour montrer sa détermination sans faille, mais finalement l’écologisme comme vecteur d’encore plus de surveillance de la population. Cette double page à elle seule pourrait valoir une petite analyse.
Certes Presse-Océan n’est pas le seul média à traiter de cette action sur ce mode, mais l’article du samedi («Le visage des encagoulés») montre bien à quel point Presse-Océan est le média privilégié de la communication officielle. Après tout, n’est-il pas «Le journal de Nantes Métropole» selon ses propres mots?
Préfet-Océan
Le samedi suivant, c’est l’apothéose de la stratégie de communication de Presse-Océan sur le Camp climat et la lutte de l’aéroport. L’article entier semble quasiment écrit par la préfecture et le ministère de l’Intérieur [Presse-Océan, «Le visage des encagoulés», édition du samedi 8 août 2009], usant de la même vieille technique pointant du doigt une mouvance pour mieux diviser. Cette fois le lien entre l’action et le Camp climat ou la lutte contre l’aéroport ne semble plus faire de doute pour les autorités, et on sort l’artillerie lourde. S’agit-il d’une préparation du terrain par la préfecture ?
Pourtant même l’auteur avoue dès le début ne pas trop savoir de quoi il parle : la première phrase explique que personne ne se revendique de cette mouvance, montrant bien la construction médiatique et judiciaire qui l’entoure.
Pour autant certaines composantes de l’opposition à l’aéroport sont clairement dénoncées dans l’article, avec le même discours de l’ennemi intérieur dont les médias nous ont arrosé ces derniers temps, et se retrouvent de fait associées avec tout ce délire médiatique. On est bien loin d’un article d’information sur l’action du supermarché de Vigneux. Personne n’a été arrêté, aucun coupable trouvé, et rien ne permet de dire que cette action ait quoi que ce soit à voir avec une prétendue «mouvance anarcho-autonome», encore moins avec tous les réseaux ou personnes qui peuvent être évoqués.
L’article est en tout cas accusateur et sans doute il s’agit bien d’une tentative de diabolisation, fondée sur du vide (ou du trop plein médiatico-judiciaire), en espérant provoquer des divisions au sein du Camp action climat et de la lutte contre l’aéroport. Cette stratégie n’est pas nouvelle, on pourrait situer la provenance directement de Paris.
L’article reste quand même plein d’imprécisions volontaires ou pas, ainsi les Red Skins seront sans doute ravis d’apprendre leur appartenance à cette mouvance. C’est aussi là que cette tentative échoue, étant donné l’amalgame fait entre tout le monde et n’importe qui, la façon dont tout le monde, sur le Camp action climat, est mis dans le même panier et peut se retrouver dans l’article.
Cependant, cet article ne concerne pas que les participantEs au Camp action climat, il s’agit bien aussi de créer dans l’esprit de la population nantaise une dissociation entre les personnes visées, et le Camp climat et la lutte contre l’aéroport. Si ces personnes venaient à compromettre le futur projet d’aéroport, le terrain serait tout près dans les médias pour justifier une répression.
Cela dit, autant la cohésion semble rester de mise sur le camp, autant les relations se tendent un peu plus avec la Semaine de résistance, qui finit par faire visiter le terrain du Camp climat à des policiers en civil. Ceux-ci avaient déjà de toute façon plusieurs fois été vus sur le camp, personne ne doutait de leur présence, et au cas où les participantEs au Camp climat l’oubliaient, l’hélicoptère de gendarmerie survolant le camp parfois deux fois par jour, parfois au rase-mottes, était là pour leur rappeler. Les contrôles routiers incessants aussi.
Le militantisme pour les autorités
Comme le dit si bien le procureur adjoint Yvan Auriel [Presse-Océan, édition du vendredi 7 août 2009], «on n’est plus du tout dans le militantisme mais bien dans des faits caractérisés d’agression». Cette seule phrase est une perle, tant elle montre que finalement ce qui valide ou non qu’une action soit officiellement politique, c’est son rapport aux lois et à la justice. Autrement il s’agit d’un fait divers.
Ici c’est un représentant des autorités, contre qui cette lutte a lieu, qui se permet de définir ce qu’est le militantisme et ce qu’il n’est pas.
C’est quelque part ici aussi, dans cette phrase, ce qui se joue un peu dans le débat violence/non-violence qui agite les milieux en lutte à chaque fois qu’une action assume une part de rapport de force et des précautions nécessaires (masques contre les caméras et les zélés délateurs, fusées contre les porteurs de flash-ball…). Derrière ce débat se cache le rapport à la répression/justice et la recherche de la reconnaissance des autorités, qui sont pourtant à des moments les adversaires de certaines de ces luttes, et n’ont donc que peu d’intérêt à le faire.
Ce choix stratégique dans la mise en place du rapport de force dans une lutte, autour finalement de la question de la légalité, impulsé par quelques composantes des luttes de façon plus ou moins conscientes en axant le débat sur des oppositions (binaires) de violence/non-violence, devrait pourtant être questionnable et ouvert quand on voit qu’en même temps ces mêmes autorités ont augmenté le degré de judiciarisation et de répression en cette ère troublée du capitalisme.
Il ne faut pas non plus oublier qu’il a toujours été dans les stratégies d’un État, et surtout français [Grand théoricien et utilisateur des stratégies de contre-insurrection], d’utiliser quand il rencontre trop d’opposition à son goût, des techniques de ce genre. Isoler les parties qu’il juge les plus menaçantes, les criminaliser et tenter de diviser des mouvements autour de débats stériles dont il pose lui-même les termes par l’entremise des médias. Les mouvements qui ont réussi à faire reculer leurs opposants sont ceux qui se sont souvenus que leur ennemi n’était pas la personne qui luttait avec ses envies et ses stratégies à ses côtés, mais celui qui voulait les diviser. Que l’important était l’objectif commun, et qu’un mouvement large et fort verra toujours coexister un ensemble de pratiques différentes, c’est bien aussi ce qui fait sa force, mais sans une réelle solidarité entre les composantes d’une lutte, cette force n’est que du vent.