"Il n'y a pas de lien établi entre la perte de l'œil et le tir au flashball" ? La rue répond

Publié le par la Rédaction


À Montreuil-sous-Bois, on ne meurt pas de suicide dans des cellules de garde à vue comme à Firminy, on ne meurt pas de choc entre mini-moto et véhicule de la gendarmerie comme à Louviers, on perd juste des yeux. À Montreuil comme ailleurs, on manifeste en soutien aux victimes de la police. C’était lundi soir, au moins 500 personnes dans les rues pour dire leur refus des exactions policières.

La Préfecture avait été pourtant bien claire [Pour rappel des événements, Joachim, 34 ans, caméraman de son état, manifestait avec une trentaine de personnes contre l’évacuation du squat La Clinique, à Montreuil. Une demi-douzaine de personnes ont alors été atteintes de tirs tendus de flashball à moins de dix mètres dans les parties supérieures du corps : bras, thorax, tête. Joachim a perdu un œil. Mais le lien n’est toujours pas officiellement établi entre le tir de flashball avéré et l’œil avéré perdu.] : «Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son œil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi entre la perte de l’œil et le tir de flashball.» Les soutiens, eux-aussi, avaient été clairs après l’assemblée générale de la Clinique en exil de la veille, dans le tract distribué en début de manif : «Les mutilations au flashball se multiplient, et la tendance générale des pratiques policières de gestion de foule est à la banalisation de l’usage des armes “non létales”. Il nous faut en prendre acte, et cela passe par la réappropriation de pratiques aujourd’hui perdues, notamment en manif. En 68, les CAL (Comités d’Action Lycéenne) avaient pour mot d’ordre de se munir de bâtons et de casques de mobylette, alors que les flics de l’époque étaient sous-équipés comparés aux BAC et autres Robocops de 2009. Aujourd’hui, il est nécessaire de pouvoir se défendre, ne serait-ce que pour ne pas voir se multiplier les blessés graves. (…) Nous sommes casqués car nous prenons la mesure des dangers que l’on encourt quand on exprime notre colère dans la rue. Il nous faut être prêts à nous défendre si les flics nous attaquent.»


De fait, l’appel à manifester du dimanche a été un succès, avec plus de cinq cents personnes présentes le lundi soir. Une bonne centaine de casques et de cagoules défendent les banderoles de tête et de queue, protègent surtout l’ensemble du cortège compact, tout de rage contenue. Le dispositif policier est encore peu visible, sinon deux cars de gendarmes mobiles qui squattent La Clinique.


Départ en direction de la mairie. Des grilles anti-émeutes bloquent l’avenue du commissariat [En souvenir, sans doute, de la furieuse nuit du 4 juin 2007, où un rassemblement spontané avait eu lieu devant le comico suite à l’arrestations de sans-papiers. Cette fois-là, Dominique Voynet, sénatrice-maire, était présente avec tout le Conseil municipal. Elle n’avait pas tenu le discours qu’elle offre ces jours-ci au Monde : «C’est le métier des policiers de séparer la grande masse des manifestants pacifiques et de faire en sorte de cantonner les personnes qui pourraient être tentées d’en faire plus.» Roooooh, si c’est pas du joli procès d’intention… «Des personnes qui pourraient être tentées d’en faire plus…» Superbe !], la manif repique vers l’arrière mais est vite bloquée par une ligne de gendarmes mobiles. Feux d’artifices vers les militaires sous les applaudissements, tandis que se font jour quelques hésitations sur le chemin à emprunter. Retour au carrefour de la Croix de Chavaux, toujours protégés par les banderoles.


Nouvelles hésitations, alors que les bleus commencent à se faire plus pressants. Place du Marché, un premier groupe d’une bonne trentaine de flics charge la banderole de queue, des malabars de la BAC suivis par autant de mobiles attaquant par les côtés. Matraquage et gazage sans sommation. La banderole arrière résiste bien, balance caillasses, bouteilles, chaises de bar pour ralentir la charge des flics et permettre à un maximum de monde de se retrouver à l’abri.


Les bleus s’en donnent à cœur joie sur les manifestants isolés. Aux terrasses, aux fenêtres, ça hurle de rage. Des groupes de quinze à vingt civils commencent à ratisser le quartier. Toujours aussi complaisante, la RATP ferme toutes les stations de la ligne de métro jusqu’à Paris. Le piège se referme.

Dès lors, ça se délite peu à peu. Des petits groupes prennent les rues adjacentes pour se barrer, une barricade se forme face aux tirs tendus des lacrymos, d’autres retournent au charbon.


Les civils tournent de plus en plus. Des manifestants se planquent dans des cafés qui ont entrouvert leur rideau de fer [À l’inverse de la Folle Blanche, célèbre bar montreuillois, qui a joyeusement livré aux flics trois manifestants venus se réfugier le soir de l’expulsion de La Clinique]. «Ils vont payer, un jour… Sinon, vous avez bien raison de manifester avec des casques. Bon allez, on vous paie un coup à la santé de la police française !» Encore des civils. Silence total dans les ruelles. Œil noir, main sur la matraque, casque vissé à la ceinture, même pas la peine de sortir le brassard orange tellement c’est écrit sur leurs gueules. Ça ne recommence à parler que lorsqu’ils se sont éloignés de cinquante mètres. Les lacrymos continuent à voler. Premières infos sur le nombre d’arrestations. A priori une dizaine. Ça aurait pu être bien pire, sans les banderoles.


Radicalisation des pratiques, tant au niveau du maintien de l’ordre (les charges gratuites étant de plus en plus coutumières) que de la réaction manifestante. Des techniques de luttes oubliées ont permis une protection effective des manifestants et des passants. En miroir à la violence de la rage sociale, le pouvoir attaque des images de casques et de cagoules. La rue comprend, soutient, protège. Trouve encore la force d’en rire. À Firminy, à Louviers, à Montreuil, elle ramasse des pierres et aiguise le couperet de son courroux.


«Ciuitas, cuius subditi metu territi arma non capiunt, potius dicenda est, quod sine bello sit, quam quod pacem habeat. (…) Ille praetera ciuitas, cuius pax a subditorum inertia pendet, qui scilicet ueluti pecora ducuntur, ut tantum seruire discant, rectius solitudo, quam ciuitas dici potest.» [«Un État où les sujets ne prennent pas les armes par ce seul motif que la crainte les paralyse, tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’il n’a pas la guerre, mais non pas qu’il a la paix. (…) Aussi bien une société où la paix n’a pas d’autres bases que l’inertie des sujets, lesquels se laissent conduire comme un troupeau et ne sont exercés qu’à l’esclavage ; ce n’est plus une société, c’est une solitude.» Spinoza, Traité politique, V, 4, dans la jolie traduction — quoique fort discutable — de Saisset. (Et merci éternel à George Weaver pour la référence !)]


Article XI, 15 juillet 2009.


L’économie et la police (ou : Ce qu’il faut détruire)
Appel à manifester…
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