La rage au bord des lèvres
«Leur» presse, la presse putassière du pouvoir et de l’argent, a fini par s’apercevoir qu’il s’était bien passé quelque chose à Montreuil, dans la soirée du 8 juillet.
Le mur de silence que la version de la préfecture de Seine-Saint Denis, avec l’aide bénévole de l’Agence France Presse se basant sur des «sources concordantes», tentait de maintenir et de valider «sans faire état de blessé», s’est maintenant effrité.
On pourrait sans doute détailler la manière dont ce qu’il faut bien appeler des mensonges, des contre-vérités ont résisté dans les brèves des quotidiens, quand les comités de rédaction décidaient d’en faire une brève.
On pourrait aussi suivre de quelle manière un inexistant blessé, vaguement signalé par la mairie de Montreuil, est devenu, au fil des informations officielles, un squatteur d’une vingtaine d’années, qui a perdu un œil sans qu’il y ait de «lien établi de manière certaine entre la perte de l’œil et le tir de flashball».
Et enfin on pourrait voir de quelle manière, il est devenu un homme de 34 ans, qui s’appelle Joachim Gatti, qui travaille dans le domaine du cinéma, et qui est maintenant hospitalisé avec «trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée».
Mais si j’en avais l’intention, le dégoût a été trop fort.
Et une sorte de rage qui me vient au bord des lèvres.
La presse écrite conserve une prudence qui a de quoi étonner, comme dans cet éditorial du Monde, qui porte un titre aussi stupide qu’un titre de Libération : «Flash-scandale». On y pèse soigneusement les œufs de mouche, ce qui est une vieille habitude de la maison, mais sans cette rigueur que l’on pouvait autrefois y déceler.
Le pouvoir attendra la leçon qu’aurait pu lui donner le grand quotidien de référence.
Et puisque le nom de Libération a été évoqué, autant signaler que Karl Laske, trois ou quatre jours après les faits, a réussi à retrouver son téléphone portable et à prendre quelques renseignements. On l’a connu plus réactif, au temps où il tenait encore le blogue Indociles. Cela donne un articulet d’une vingtaine de lignes, une sorte de dépêche AFP en un peu moins mensonger, mais rien de plus. À la suite de ce petit texte, il laisse proliférer des commentaires qui dégagent un fort relent de station d’épuration déglinguée.
De quoi se demander ce qui se passe.
Il a eu une promotion, Karl Laske ?
Ou bien, il a toujours été comme ça ?
PS : L’AFP persiste dans ses approximations et contre-vérités, comme dans cette dernière dépêche, au sujet de la manifestation de ce soir :
Fin des heurts entre jeunes manifestants et forces de l’ordre à Montreuil
Une manifestation organisée lundi à Montreuil pour protester contre des «violences policières» lors de l’expulsion de squatters mercredi s’est achevée après des heurts entre jeunes et forces de l’ordre.
Vers 19H00, plusieurs centaines de jeunes, certains casqués et cagoulés, ont fait face dans le centre-ville à un important dispositif de forces de l’ordre, qu’ils bombardaient à l’aide de fusées, de pétards ou de fumigènes.
Peu avant 21H00, les gardes mobiles ont tiré des grenades lacrymogènes avant de charger les manifestants, qui ont répliqué à coups de chaises, de pots de peinture et de projectiles divers.
Aux cris de «Police nationale, milice du capital !» ou de «Condés, hors de nos quartiers !», les jeunes gens, dont nombre d’entre eux semblaient proches des milieux autonomes ou de l’ultra-gauche, s’étaient déployés dans des rues proches de la mairie avant de se disperser peu avant 22H00.
Ils protestaient contre l’expulsion mercredi de plusieurs squatters qui occupaient une ancienne clinique, au cours de laquelle un jeune homme affirme avoir perdu un œil, à la suite d’un tir de flash-ball par les policiers.
Le Parti socialiste a demandé lundi que l’Inspection générale des services (IGS) de la police et la Commission nationale de déontologie de la sécurité «puissent faire toute la lumière» sur ce «grave incident».
D’après la mairie de Montreuil, la victime, Joachim Gatti, fait partie du mouvement autonome qui dénonce notamment la cherté des loyers à Paris et dans certaines banlieues parisiennes.
Il faut bien sûr le compléter de ce communiqué :
Communiqué de presse
Ce soir, lundi 13 juillet 2009, était organisée à Montreuil une manifestation pacifique en réaction aux violences policières dont a été victime Joachim Gatti le 8 juillet 2009. Joachim a perdu un œil par un tir de flashball de la police. Il participait à une manifestation pacifique Croix de Chavaux, suite à l’expulsion de «la Clinique» le matin même par la police.
Suite à ces violences, une manifestation rassemblant 500 personnes de tous âges a été organisée à 19 heures ce soir. Un dispositif policier impressionnant a été mis en place. Lorsque la manifestation se dirigeait vers le marché, la police a pris en étau les manifestants.
Nous, membres de Solidaires, avons été témoins d’une charge violente (chaises volant, matraquages violents, tirs tendus de gaz lacrymogènes…). Nous avons été témoins d’arrestations violentes. Nous avons été témoins de l’arrogance de certains policiers et d’une charge inacceptable d’une simple manifestation.
Mais nous avons aussi été témoins de saines réactions d’habitants de Montreuil, demandant aux policiers et gendarmes mobiles des comptes sur leurs actions.
Nous dénonçons les violences policières qui ont émaillé la vie de notre ville ces deux semaines. Nous demandons la libération immédiate des manifestants arrêtés. Nous demandons au préfet de Seine-Saint-Denis de rappeler sa police à l’ordre et à la mesure. Nous demandons l’interdiction des flashball et taser.
L’escalier qui bibliothèque, 13 juillet 2009.
Flash-scandale
On a fini par lui donner le nom de sa marque : le Flash-Ball, ou lanceur de balle de défense, est une arme — expérimentée par les forces de police depuis 1995 — dite de pacification. L’usage de balles en caoutchouc peut aider à restaurer l’ordre sans risquer de provoquer de morts. Son but, expliquait Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, au Monde du 30 mai 2002, est d’«impressionner». Ni plus ni moins.
Mais il arrive trop souvent — beaucoup trop souvent — que le Flash-Ball ne se borne pas à «impressionner». Mercredi 8 juillet, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une trentaine de personnes se réunissent pacifiquement pour un dîner festif dans une rue piétonne. L’objet est de protester contre la fermeture d’un squat culturel et l’expulsion de ses occupants. Le squat est vide. La police intervient. Pourquoi ? Il y a tirs de Flash-Ball. Selon des témoins, cinq personnes sont touchées au-dessus de la taille. Joachim Gatti, un jeune réalisateur-cameraman de 34 ans, petit-fils de l’écrivain Armand Gatti, est touché à l’œil. Selon son père, le documentariste Stéphane Gatti, «il a perdu un œil du fait de la brutalité policière». Impressionner ?
L’Inspection générale des services (IGS), la police des polices, a été saisie sur ce qui est plus qu’une bavure — un scandale. Car, depuis quelques années, le Flash-Ball a déjà fait plusieurs victimes, jeunes pour la plupart. À chaque fois, cibles de tirs tendus, à hauteur du visage. Aux Mureaux, en juillet 2005, un adolescent de 14 ans perd un œil. Il en a été de même en octobre 2006 à Clichy-sous-Bois, pour un jeune de 16 ans. Et de même encore en novembre 2007, à Nantes, lors d’une manifestation étudiante, pour un jeune de 17 ans — l’œil crevé au Flash-Ball, là aussi. Cette année, des drames de même nature ont frappé un étudiant de 25 ans à Toulouse, en mars, et un jeune à Neuilly-sur-Marne, en mai. Le Flash-Ball ne tue pas : il mutile — à vie. Bilan : six vies brisées, et qui n’auraient jamais dû l’être.
Autorité administrative indépendante, créée en 2000, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a déjà attiré l’attention des pouvoirs publics sur ces drames. Elle a appelé à «plus de discernement dans le choix des moyens d’appui lors de l’évacuation de manifestants mineurs» et dans l’usage des Flash-Ball. Cette arme ne saurait servir d'alibi à des violences policières qui ont tendance à se banaliser. Les pouvoirs publics tardent à en encadrer sérieusement l’emploi. Par indifférence ou pour «impressionner» ?
Leur presse (Éditorial du Monde), 13 juillet.
L’économie et la police (ou : Ce qu’il faut détruire)
Appel à manifester…