Soutien à Joachim Gatti
Joachim Gatti a perdu un œil, sous le coup d’un tir policier de flash-ball survenu à Montreuil. Il est actuellement hospitalisé, les médecins tentent des interventions en vue de reconstituer une partie de son visage entièrement défigurée par le tir, qui a éclaté les os de sa pommette.
La préfecture de Seine-Saint-Denis avance une présentation des faits. La prudence interprétative, que toute préfecture redécouvre à l’occasion de tout épisode de cette nature, serait simplement ridicule si elle n’était odieuse : «Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son œil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi de manière certaine entre la perte de l’œil et le tir de flashball».
Que s’est-il passé ? Le père du jeune homme, Stéphane Gatti, le raconte. Le 8 juillet, la police a évacué une clinique occupée en centre-ville de Montreuil. Elle avait pris la forme d’un centre social tel qu’il s’en crée en Italie : logements, projections de film, accueil et conseil aux sans-papiers, repas. Vies militantes, collectives, communautaires. L’évacuation policière n’a pas traîné.
Pour protester contre cette évacuation, résidents et amis ont décidé une gigantesque bouffe dans une rue piétonne de la ville. À 20 heures, Stéphane Gatti quitte son fils. Avec d’autres, il organisait à quelques pas de là une exposition sur Mai 68, dont c’était le dernier jour. D’un coup, des jeunes ont surgi dans la salle, effrayés, puis repartent. Stéphane, lui, est appelé ; son fils est à l’Hôtel-Dieu, à Paris. «Son visage est couvert de sang qui s’écoule lentement, comme s’il était devenu poreux.» Il y a peu de chances, lui apprend-on, qu’il retrouve l’usage de son œil éclaté. Éclaté, en effet, car il y a «trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée».
Qu’est-ce qui a provoqué le tir policier ? Joachim, à l’Hôtel-Dieu, lui raconte qu’il remontaient la rue vers la clinique, d’où semble-t-il des tirs de feu d’artifice étaient tirés. Des policiers marchaient devant eux. Soudain, ils ont tiré au flash-ball en direction du petit groupe. «À ce moment-là je marchais et j’ai regardé en direction des policiers. J’ai senti un choc violent au niveau de mon œil droit. Sous la force de l’impact je suis tombé au sol.»
La préfecture, elle, sait à qui parler. À l’AFP. L’agence de presse, qui relève et relaie : «Un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui occupait, avec d’autres personnes, un squat évacué mercredi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a perdu un œil après un affrontement avec la police, a-t-on appris de sources concordantes vendredi. Le jeune homme, Joachim Gatti, faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de squatters qui avaient été expulsés mercredi matin des locaux d’une ancienne clinique. Ils avaient tenté de réinvestir les lieux un peu plus tard dans la soirée mais s’étaient heurtés aux forces de l’ordre. Les squatters avaient alors tiré des projectiles sur les policiers, qui avaient riposté en faisant usage de flashball, selon la préfecture, qui avait ordonné l’évacuation.» Que Joachim Gatti n’avait pas une vingtaine d’années, mais 35 ans ; qu’il ne s’est pas affronté aux policiers ni n’avait tiré de projectiles, mais que ces derniers ont tiré sans raison ni sommation à hauteur des visages des jeunes gens ; qu’il ne tentait pas de réinvestir un lieu mais de se rendre à la clinique ; qu’enfin un œil ne se sectionne pas comme une fleur se fâne à l’automne, tout cela l’AFP ne le précise pas. Car l’AFP, sans souci de croiser les sources, reproduit le communiqué de la préfecture.
Vacarme tient à témoigner de toute son affection à Stéphane Gatti et à son fils, Joachim. Joachim est membre du collectif Précipité, dont le travail en 2003 avec les résidents du foyer Emmaüs de la rue des Pyrénées s’est traduit, dans le numéro 25 de Vacarme, par la première Sonore, avec Rodolphe Burger, ainsi qu’au Lieu Dans la frontière. Ils avaient enregistré des témoignages individuels sur l’expérience de se déplacer ou de migrer. Une fois par semaine, ils se portaient à la rencontre des histoires et des réalités portées par les migrants, autour d’une table de discussion. Avec quelques hébergés, ils parcouraient Paris et sa région, pour découvrir la géographie propre des hébergés, faite d’attente, d’invisibilité et d’errance forcées. Plus récemment (Vacarme numéro 45), Joachim avait interviewé, avec Emmanuelle Cosse, Abou N’Dianor, qui s’était porté à l’avant de la protestation parmi les étrangers retenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot.
La nouvelle de l’accident qui frappe Joachim est à elle seule révoltante. Elle montre l’usage manifestement incontrôlé d’armements supposés «non-létaux», dont il est manifeste que ceux qui s’en servent ou appellent à s’en servir oublient qu’ils restent non mortels seulement dans des conditions précises d’emploi. Tristement, la course de vitesse que la Préfecture de Seine-Saint-Denis a engagé auprès des agences de presse pour diffuser des informations manifestement erronées, nous rappelle cet autre communiqué, que nous avions à l’époque amplement documenté, relatif à la mort de Mohammed Berrichi, en mai 2002. Comme si chaque fois que des incidents mettent en jeu la police, l’essentiel, pour le préfet, pour l’État, consiste à vaincre sur le front sordide de l’opinion publique. Un accident est toujours possible. La mécanique communicationnelle de l’État, elle, est systématique.
Pour l’heure, à Vacarme, nous renouvelons notre affection à l’égard de Joachim et de ses proches, et formons des vœux de rétablissement le plus rapide possible. Nous souhaitons (mais peut-être est-il déjà trop tard…) que les personnels hospitaliers le protègent des tentatives d’intimidation et de pression que les policiers ne manquent pas, en pareille circonstance, d’exercer sur la victime. Nous appelons le plus grand nombre à se joindre aux initiatives qui se forment autour de cette triste affaire : rendez-vous dimanche 12 juillet pour la réunion de la Clinique en exil et à une manifestation lundi 13 juillet.
Vacarme, 11 juillet 2009.
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