Lire l'insurrection

Publié le par la Rédaction


La pensée des journalistes est très souvent informée par la police ; et ce, aussi bien quand il s’agit d’une Coupe du monde de football que pour des faits plus ou moins divers.
En ce qui concerne Julien Coupat, c’est la même chose. Les mots sont la plupart  du temps informés par la police : «groupe», «branche», «présumé», «bréviaire révolutionnaire d’une certaine jeunesse désenchantée». Rien de bien nouveau dans mon propos : ici on le sait bien mais les mots du pouvoir corrompent énormément !
On lira ici ce qui peut être considéré comme le pendant des propos de Coupat qui s’était exprimé dans Le Monde.
Plus généralement, ce type de prose journalistique est caractéristique de l’idéologie dominante. Ainsi l’Insurrection qui vient est considéré comme «dangereux» : on ne saura pas pour qui. L’article se fait aussi menaçant (comme lorsqu’il s’agit d’un rappel à la loi) pour l’amateur de subversion car dans ce cas, «prendrait-il le risque d’ajouter à la désorientation générale». Qui risque la désorientation, le désenchantement ?
Laurent, 8 juillet 2009.


La nouvelle pensée insurrectionnelle


Mis en vente en mars 2007 par les éditions La Fabrique et déjà vendu à plus de 27.000 exemplaires, L’insurrection qui vient (7 euros), écrit par le mystérieux «comité invisible», est en passe de devenir un véritable succès de librairie. Son audience doit également beaucoup à la complicité active de l’État qui a pris au sérieux cette invitation à «tout bloquer» et à se «constituer en communes» par une éventuelle «prise darmes».

Considérée par la police comme une pièce à conviction contre les saboteurs présumés des caténaires de lignes TGV, L
insurrection qui vient est bien plus quun manuel de désobéissance civile juvénile. Loin du baratin de poseurs quont dépeint certains commentateurs, louvrage se présente comme le précis de décomposition, à la fois dangereux et lucide, dune époque vide. Ce petit livre vert apparaît pour de nombreux lecteurs comme le manifeste insurrectionnel, le bréviaire révolutionnaire dune certaine jeunesse désenchantée.

Pour ce «collectif imaginaire», un spectre hante la République française : celui des émeutes de novembre 2005, dont «lincendie nen finit plus de jeter son ombre sur toutes les consciences». Mais «linédit» de ces événements ne résiderait pas dans la confrontation entre le centre et la périphérie, la Cité et les cités, la police et les jeunes des quartiers.

La nouveauté, affirment les auteurs, consiste en l
absence totale de message, de leader, de revendication de la part des insurgés. Ainsi les émeutiers des banlieues ont-ils, selon eux, donné le «la» de toute nouvelle guérilla. Puisque «le présent est sans issue», inutile de chercher de vains compromis sociaux. Puisque la catastrophe «a déjà eu lieu», impossible de servir une écologie œcuménique qui fournit au capitalisme sa plus parfaite légitimation idéologique. Puisquil faut tout rendre spectaculaire, traçable et lisible, autant devenir «invisibles».

Ce renversement stratégique est un tournant politique. Car la plupart des mouvements alternatifs ont cherché à attirer l
attention des journaux, au risque de se transformer en trublions officialisés par les médias. Cest donc non seulement à toutes les bureaucraties syndicales et militantes, mais aussi aux coordinations «qui reproduisent autant d’États en miniature», que le «comité invisible» oppose son anonymat, sa dissolution permanente. Cest à toutes les gloires de la subversion subventionnée et autres enfants de la télé au moi surdimensionné que sadresse cette fraction qui se présente comme une petite armée des ombres : «Voir la gueule de ceux qui sont quelquun dans cette société peut aider à comprendre la joie dy être personne». Ainsi, nêtre «socialement rien» constitue paradoxalement «la condition dune liberté daction maximale».


La soudaine médiatisation de Julien Coupat, considéré par la police et la justice comme le meneur présumé de ce «collectif imaginaire» et parfois mis en scène comme un décalque de Guy Debord (1931-1994), fondateur de lInternationale situationniste, va sans doute altérer la stratégie du groupe. Il nen demeure pas moins que le surgissement du tranchant des propos radicaux de Julien Coupat, sujet avec ses amis dun acharnement juridico-policier, renvoie un certain gauchisme à son obsolescence. Ainsi «lextrême gauche à la Besancenot» noffrirait-elle aux yeux de Julien Coupat que «la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop» (Le Monde du 26 mai). Comme si, dun coup, les enfants relookés de Trotski, les nostalgiques du Che ou les aficionados de Fidel Castro étaient renvoyés à leurs références non seulement autoritaires mais aussi contre-révolutionnaires.

Ce qui revient avec L
insurrection qui vient, essai corrosif pour lequel Éric Hazan, directeur des éditions La Fabrique, a été abusivement interrogé, cest une critique sociale jusqualors réduite à sa dimension culturelle. De Guy Debord, lune des principales sources dinspiration du «comité invisible», on navait bien souvent retenu quune image, celle du chef de bande passé maître dans lart du détournement des comics américains, destinée à alimenter les performances au sein des galeries dart contemporain. Au point doublier que lauteur de La Société du spectacle (1967) misait entre autres sur lavènement de nouveaux conseils ouvriers, dans la lignée de ceux de Barcelone en 1936-1937 ou de Budapest en 1956.

La mouvance dont Julien Coupat est issu pourrait malgré tout brouiller les pistes de cet héritage qui, de la critique anti-industrielle de Jaime Semprun, fondateur des éditions de l
Encyclopédie des nuisances, à celle de la rationalité technicienne de lécrivain Annie Le Brun, semploie à mener une critique radicale et cohérente du temps présent. Si ce «comité invisible» cherchait à reconduire lopacité élective, la préciosité théorique, la rhétorique de lexcès et lapologie dactions violentes, particulièrement présentes dans les premiers textes de la revue Tiqqun (Le Monde daté 28-29 juin), qui en était une des branches, alors prendrait-il le risque dajouter à la désorientation générale.

Mais peut-être ne serait-ce pas sans déplaire à ce petit parti de la désertion subversive.

Leur presse (Nicolas Truong, Le Monde), 7 juillet.



Projectiles contre la guerre civile

Depuis ce quil est trop convenu dappeler «laffaire de Tarnac», la revue Tiqqun, dont Julien Coupat fut lun des actifs rédacteurs, revient sur le devant de la scène des idées. Les éditions de La Fabrique viennent de rééditer les Contributions à la guerre en cours, sélection darticles de 1999 et 2001 de la revue consacrés à «léthique de la guerre civile». En dépit de son titre, lopus souvre sagement sur la genèse de lÉtat moderne, avec lapproche assez convenue des étudiants en sciences humaines contemporaines : celle de Michel Foucault et de sa critique du pouvoir panoptique. Fustigeant les «Bloom», ces «atomes frileux de la société impériale» que seraient les consommateurs individualistes de la société du spectacle, les membres de Tiqqun prennent acte de la faillite de lÉtat-providence auxquels ils opposent une désertion subversive sous forme dactions directes et de démobilisation générale.

Mythifiée depuis
linterview de Julien Coupat dans Le Monde du 26 mai, qui sest illustré par la tenue de son attitude et la teneur de ses vues, la revue Tiqqun réapparaît sous forme dextraits, entremêlés dimages dhommes masqués à linquiétante étrangeté et dun cliché du 11-Septembre, icône obligée dune certaine nouvelle radicalité. Dès son apparition, quelques esprits critiques, tel Jean-Marc Mandosio, avaient repéré que Tiqqun imitait «le style situationniste dans ses pires aspects : les oracles débités sur un ton péremptoire ; un discours dune extrême abstraction — pour quon soit bien sûr d'avoir affaire à des théoriciens de haut vol — associé à une exaltation permanente de la pratique — pour que lon nait pas limpression davoir affaire à de banals intellectuels, mais à de dangereux agitateurs» (Après leffondrement, éditions de lEncyclopédie des nuisances, 2000).

Toute la panoplie des concepts issus des travaux de Foucault, Debord ou Giorgio Agamben, tels que le «Biopouvoir», le «Spectacle» ou la «Singularité quelconque», semblent avoir été mis dans un shaker afin d
obtenir un cocktail Molotov idéologique opaque et détonant, mais surtout orgiaque et distinguant. Selon Mandosio, tout est là pour faire trembler dimpression déférente une petite frange grandissante de lecteurs en mal de radicalité élective (Dor et de sable, éditions de lEncyclopédie des nuisances, 2008).

Mais quid de la guerre civile ? Si le «Comité invisible» prend la peine de préciser au lecteur de
Linsurrection qui vient (2007) que «la perspective dune guérilla urbaine à lirakienne, qui senliserait sans possibilité doffensive, est plus à craindre quà désirer», la revue Tiqqun ne fait pas de la révolution un dîner de gala. Non seulement ce «parti imaginaire» essentialise la guerre civile, constitutive dun communisme à venir, mais il fait également lapologie de tous les «carnages, suicides et dérèglements divers». Ainsi la Manson Family, communauté hippie des seventies connue pour avoir assassiné Sharon Tate, lépouse du cinéaste Roman Polanski, à lincitation de son gourou, Charles Manson, qui avait entendu un appel au crime masqué dans certaines chansons des Beatles, est-elle considérée dans le premier numéro de Tiqqun comme l«emblème dun prodigieux mouvement de désertion intérieure». Cétait il y a presque dix ans. Et il est possible dimaginer que certains membres aient révisé depuis ce situationnisme gore. Dailleurs la tonalité de Linsurrection qui vient, dont il sagira danalyser le succès, témoigne dune inflexion par rapport à cette surenchère dans la posture révolutionnaire.

Leur presse (Nicolas Truong, Le Monde), 27 juin.
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