Contre les licenciements, passons des séquestrations à l'autogestion !

Publié le par la Rédaction


Les luttes autour des grands groupes industriels qui licencient ont été largement médiatisées du fait des actions de séquestration de patrons ou de cadres. Elles occupent aujourd’hui une place centrale dans les conflits sociaux, car elles sont emblématiques de la crise du capitalisme. Ces licenciements incarnent parfaitement le développement du chômage de masse avec plus de 600.000 chômeurs supplémentaires prévus en France, pour un total de 20 millions en Europe et de 249 millions à léchelle de la planète. Mais ces luttes montrent aussi les pratiques du capital qui continue ses restructurations pendant la crise, avec pour objectif une rentabilité toujours plus forte, montrant ainsi la violence des rapports exploités/exploitants. Pour tout cela, les ouvriers licenciés représentent aujourdhui le symbole de la résistance et du combat au même titre que la grève générale en Guadeloupe il y a quelques mois. En labsence dune riposte sociale densemble au niveau interprofessionnel, les luttes contre les licenciements deviennent le point de cristallisation des conflits.

Lutter contre les boîtes qui licencient

Caterpillar, Molex, Goodyear, Continental, Freescale… autant d’entreprises qui ne sont pas en péril financier, mais qui pourtant ont décidé la fermeture de tel ou tel site de production. C’est la logique interne du marché qui pousse à la fermeture. Cette logique, c’est un taux de profit maximum, supérieur à 10%, qui fait se déployer le capital à l’échelle planétaire. Mais au-delà des seules boîtes qui font des bénéfices en licenciant, cette logique qui résulte d’une économie basée sur la création de profit pour quelques-uns, en lieu et place de la satisfaction des besoins de la population, a comme résultat la multiplication des licenciements, notamment ceux moins visibles qui ont lieu dans les PME et PMI.


Aujourd’hui, ce sont des luttes «dos au mur» que mènent ces exploités et leurs possibilités sont définies par cette situation. Ainsi, la revendication dune prime de départ substantielle nest à juger quau regard de la réalité du rapport de force entre ouvriers et patrons. Celles et ceux persuadées que leur boulot va disparaître ou être restructuré en créant des conditions de travail insupportables comme à Caterpillar ou Goodyear, ont toute légitimité à se battre pour des conditions de départ qui leur permettent d’envisager un avenir autre que le RSA. Pour autant, nous ne devons pas perdre de vue que chaque fermeture ou restructuration est une victoire pour le capital, garantissant son taux de profit. Par conséquent, la revendication du refus des licenciements est tout autant légitime, chaque fois qu’elle est l’expression concrète des revendications des exploités. Dautant que le fait dêtre licencié ne change pas le modèle global du salariat, tend à isoler celles et ceux qui ont lutté, détruit les outils collectifs qu’ils ont construits dans la lutte, et bloque ainsi la transmission des expériences de luttes. Cest ce qui sest passé avec la sidérurgie française ou avec les mineurs anglais dans les années 80, faisant disparaître du salariat les réflexes les plus combatifs.

Il serait illusoire de porter le moindre espoir dans le mot d
ordre de la gauche et de lextrême gauche de linterdiction des licenciements. Outre son côté insuffisant qui légitime les charettes de licenciement de pans entiers de léconomie et ne remet pas en cause la restructuration du capital, ce mot dordre est paralysant pour les exploités. Il fait croire que l’État est protecteur dans le conflit entre les salariés et les patrons, quil est neutre dans une société divisée en classes sociales. Il détourne les ouvriers licenciés du combat quils doivent mener contre le patronat et son protecteur, l’État.

À l
inverse, les séquestrations de cadres ont permis des avancées comme l’obtention d’indemnités plus importantes et cela notamment parce qu’elles ont accru le rapport de force. Sans les mythifier, elles renvoient au panel des nombreuses formes d’actions directes que les exploités peuvent utiliser face à leurs exploiteurs, dont certaines restent à utiliser voire à inventer. La séquestration des stocks et des outils de production en est une autre, et peut dans certains cas être un élément déterminant du rapport de force, comme pour les entreprises qui délocalisent qui attachent plus d’importance au fric que représentent leurs machines et leurs stocks qu’à la sécurité de leur encadrement. Ce sont ces moyens-là qui peuvent provoquer des victoires.

Ouvrir des perspectives

Pour nous, anticapitalistes et anti-étatistes, l’intervention dans les luttes contre les licenciements doit se donner plusieurs objectifs. D’abord, ancrer cette bataille dans les entreprises en aiguisant la combativité des ouvriers, plutôt que confier cette bataille à des partis politiques qui s’autoproclament représentants des exploités. Ensuite, faire que la lutte soit investie par le plus grand nombre et qu
elle se dote des structures qui permettent à tous d’agir et de contrôler totalement leur lutte. Mais aussi mettre en avant les formes de luttes et les choix qui renforcent, au profit des salariés, le rapport de force pour permettre des victoires. Enfin, proposer des modes d’action qui permettent d’aller le plus loin possible dans la remise en cause des mécanismes de l’économie de marché afin de s’en émanciper.

Le premier enjeu est d
appliquer à ces luttes la même logique que pour toutes les autres ; à savoir lextension. Pour gagner il faut un rapport de force conséquent et lisolement est un facteur important des défaites comme les grèves dans léducation en 2003 ou à la SNCF en 2008 lont clairement montré. Donc, approfondir la mobilisation là où elle existe, mais aussi viser en plus des sites de la même boîte, des sites dans la même industrie et le même secteur et l’exporter vers d’autres branches d’activité au niveau territorial, en commençant par les plus proches en termes de branche. C’est une étape importante à la fois pour obtenir satisfaction sur les revendications comme pour permettre la compréhension politique d’une globalité d’intérêts divergents avec ceux des classes dirigeantes, compréhension nécessaire pour envisager que les travailleurs prennent en charge la transformation sociale de la société.

Il ne s
agit que daugmenter et systématiser ce qui existe déjà instinctivement chez les salariés en lutte. Les Continental de l’usine de Compiègne ont manifesté avec leurs camarades allemands, devant un site de l’est de la France, et avec les Goodyear. Ceux de Molex et de Freescale à Toulouse se sont rencontrés. Ce sont bien ces pratiques qui sont à encourager parce qu’elles permettent à chacun de se renforcer face au patronat, mais aussi parce qu’elles créent une conscience d’intérêts qui dépasse les murs de l’usine comme les frontières du pays. Ce n’est plus tel patron qui agit comme ça, mais le patronat dans sa globalité qui est identifié comme ennemi de classe.

L’autre enjeu est d’apporter des réponses qui mettent le pied à l’étrier d’une sortie du mode d’exploitation capitaliste. Pour cela, nous devons bien sûr populariser notre projet social, notamment autour de la socialisation des moyens de production et d’échange, de l’égalité économique et sociale avec une répartition égalitaire des richesses, de la gestion directe par les travailleurs d’une production socialement utile et écologiquement soutenable. Nous devons aussi populariser l’autogestion comme la pierre angulaire de notre alternative au capitalisme et à l’État. Mais nous devons également proposer l’autogestion des entreprises qui licencient comme point de départ dans les luttes d’aujourd’hui, tout autant que comme outil pour la transformation sociale. Car, si l’autogestion, en se généralisant peut être un vecteur de la transformation révolutionnaire, dès aujourd’hui, au même titre que les séquestrations, elle peut représenter une réponse concrète pour conserver l’emploi et augmenter le rapport de force. C’est donc, tout en étant conscient de ses limites, une proposition politique à mettre au débat et qui peut rencontrer les aspirations de celles et ceux qui luttent.

Il y a néanmoins des freins et des contradictions dans cette option. La plupart des entreprises en question sont dépendantes des commandes des donneurs d
ordre pour écouler leurs marchandises ce qui représente un frein important à la reprise de la production par les ouvriers. Cependant la mise en commun de plusieurs entreprises autogérées du même secteur peut là encore modifier plus favorablement le rapport de force pour la vente des marchandises. De plus, dans cette période de crise, on ne peut douter de la solidarité qu’inspirerait cette action et des possibilités importantes de mobilisation qu’elle pourrait ouvrir, créant une situation politique nouvelle. Par contre, le fait d’évoluer dans un contexte économique capitaliste ferait reposer sur ces entreprises autogérées des contraintes qui tendraient à réduire l’autogestion et à rogner la démocratie ouvrière chèrement conquise. C’est bien à l’autogestion généralisée qu’il faut parvenir, et la réponse immédiate aux licenciements ne doit pas rester une fin en soi, mais un palier dans la lutte, au risque de transformer la victoire en défaite à moyen terme.

Pour conclure

La reprise de la production, en plus de pouvoir représenter une forme efficace pour obtenir satisfaction sur le maintien de l’emploi, permet plus que cela. Cette autogestion, même limitée, pose en creux la question du projet de société. À nous de l’élargir, de l’approfondir, car elle est le palier qui pousse à interroger le sens de la production, et de sa finalité. Et c’est bien notre projet communiste libertaire par lequel nous reprenons tout pour l’intérêt de tous, nous choisissons ce que nous produisons, comment nous le produisons, pour qui nous le produisons, qui peut être mis en proposition. Les anarchistes sont trop peu nombreux à eux seuls pour mettre en œuvre ces propositions, et lutter pour rompre avec le capitalisme. Mais la progression des tensions et leurs cristallisations autour des licenciements, créent des conditions favorables pour que les exploités utilisent nos méthodes et nos propositions, parce qu’aujourd’hui plus que jamais, elles correspondent à leurs réalités. Et il n’y a qu’un pas, pour que l’utilisation de ces propositions immédiates ouvre de vraies perspectives de rupture sociale.

Groupe de Montpellier
Infos & analyses libertaires no 78, juillet-août 2009
Bimestriel de la Coordination des groupes anarchistes.


Publié dans Colère ouvrière

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