Grève de la faim au CRA de Vincennes
Retranscription de l’appel des sans-papiers
retenus au centre de rétention de Vincennes :
Avis de grève de la faim
Nous, l’ensemble des retenus du centre de rétention de Vincennes, après une concertation générale, nous avons convenu et décidé d’entamer une grève de la faim à partir du 30 juin 2009 jusqu’à satisfaction totale de nos revendications qui sont les suivantes :
Les retenus peuvent être contactés par les cabines téléphoniques du centre :
Les sans-papiers retenus à Vincennes
entament une grève de la faim
Les retenus ont décidé de se mobiliser en réaction à une tentative de suicide par pendaison de l’un des leurs. «Moi, ça fait 26 jours que je suis enfermé, j’ai déjà assisté à six tentatives de suicide ! Les gens se charcutent le corps avec les lames qu’ils arrivent à trouver et se pendent avec des draps», raconte Ahmed. Agir est alors apparu comme une nécessité. «On ne réagit plus à la vue du sang, on n’écoute plus ceux qui lancent un appel au secours. On devient comme des êtres sans âme. Il ne faut pas laisser faire ça» lance Ahmed.
Si les mouvements de révolte en centre de rétention sont fréquents, celui-ci semble particulièrement organisé, issu d’une dynamique regroupant l’ensemble des personnes présentes. «Ça a l’air de venir de tout le monde, c’est un vrai travail collectif», commente Damien Nantes, de la Cimade, une association de soutien juridique intervenant en CRA.
En effet, le mouvement de protestation a été mûrement réfléchi et débattu en assemblées générales improvisées. «C’est après des réunions répétées avec l’ensemble des retenus que nous avons décidé de nous mettre en grève de la fin, hier à minuit», détaille Ahmed. Le lendemain, la lutte s’organise concrètement : «Aujourd’hui, nous avons fait un sitting et nous avons commencé à prendre contact avec des associations comme la Cimade, Amnesty International…»
Mais faire tenir un mouvement large dans un CRA est difficile car «de nouvelles personnes arrivent tous les jours, il faut tout réexpliquer à chaque fois, c’est compliqué mais nous prenons le temps de le faire». D’ailleurs, quatre nouveaux retenus auraient adhéré à la démarche depuis ce matin. Les moyens matériels et les possibilités d’expression sont très limités. «J’ai demandé à écrire une banderole. On m’a dit que je ne pouvais utiliser que du papier alors j’ai fait des affiches en français, en arabe et en chinois que j’ai mises dans la cour. Mais elles ont été retirées, on m’a dit que c’était interdit.»
Les retenus dénoncent de pénibles conditions de vie. «Ici, c’est la malbouffe, l’odeur qui se dégage des barquettes en plastique nous coupe l’appétit. Chaque fois que tu as besoin de quelque chose c’est la guerre avec eux [les gardiens ndlr].» L’enfermement des pères de famille et des «personnes qui suivent de lourds traitements médicaux» est également mis en avant.
Ils dénoncent également la façon dont ils sont traités à l’extérieur, notamment lorsqu’ils doivent être présentés au tribunal, se plaignant «d’attentes interminables dans une pièce au sous-sol du Palais de justice». Au-delà des conditions de vie en CRA, les retenus demandent «l’arrêt des contrôles massifs et abusifs dans les rues», la fermeture des centres de rétention et la régularisation des sans-papiers.
Selon les retenus, les rapports avec les gardiens restent relativement calmes mais l’évolution de la situation doit être observée avec attention dans ce CRA qui a été remis en état il y a peu. Le 22 juin 2008, après la mort d’un retenu, un rassemblement réprimé avait tourné à la révolte, et le CRA avait été entièrement brûlé. Reconstruit depuis, il fait l’objet de toutes les attentions de la préfecture de police qui dépêche toujours un impressionnant dispositif policier lorsque des militants manifestent à ses abords pour demander la libération des sans-papiers. Encore aujourd'hui, une dizaine de sans-papiers présents au moment de l’incendie sont poursuivis en justice, plusieurs d’entre eux ayant fait de nombreux mois de détention provisoire.
Centre de rétention de Vincennes, le 1er juillet 2009
«C’est le deuxième jour de la grève de la faim. On ne mange pas depuis deux jours. On a commencé avant-hier soir à minuit après une ultime tentative de suicide. En 25 jours, il y a eu cinq tentatives de suicide. L’ambiance était horrible au centre. Ça devenait fou, on regardait ça tous les jours et on s’habituait, c’est fou on ne doit pas s’habituer à des gens qui s’automutilent et se suicident tous les jours. Il fallait réagir à ça. On était en train de devenir des monstres, on réagissait plus. On s’est dit il faut réagir autrement, ne pas s’habituer. On s’est dit qu’un jour il y allait avoir un mort, qu’on allait se retrouver avec un cadavre. On s’est réunis dans la cour. La grève de la faim a commencé à minuit. On a décidé de restituer les sacs du petit-déjeuner qu’ils nous donnent le soir. On les a tous posés sur la table de ping-pong dans la cour. Le lendemain, les policiers ont réagi quand ils ont vu qu’on ne mangeait pas. Les flics nous on dit : Vous mangez pas ? On a dit : Non, on vous parlera après notre réunion et on dira nos revendications. On s’est donc réunis vers 18h30 hier jusqu’à 22h00. La réunion a eu lieu dans la cour. Les flics ont fait quelques tentatives d’intimidations du style : Si vous restez tranquilles, tout se passera bien, sinon, c’est la répression. Ça ne nous a pas fait peur. On est restés sereins. On a discuté d’autres trucs dans la réunion mais c’est la grève de la faim qui a été décidée parce que notre mouvement est pacifique.
«Aujourd’hui, on a demandé du sucre pour notre grève, ils ont dit qu’ils nous répondraient plus tard, deux heures après ils nous ont appelé et ils ont dit OK, mais en fait après il y a une femme, je sais pas qui c’est, qui a dit que non, qu’on doit prendre la nourriture qu’ils nous donnent.
«On a prévenu des associations pour notre mouvement. On attend du soutien maintenant.
«On a écrit une liste de revendications :
retenus au centre de rétention de Vincennes :
Avis de grève de la faim
Nous, l’ensemble des retenus du centre de rétention de Vincennes, après une concertation générale, nous avons convenu et décidé d’entamer une grève de la faim à partir du 30 juin 2009 jusqu’à satisfaction totale de nos revendications qui sont les suivantes :
1/ Apporter une solution rapide et efficace aux retenus traumatisés par les tentatives de suicide à répétition.
2/ Améliorer les conditions de rétention dans le centre, voire la nourriture, l’hygiène et tous les services internes avec l’administration et la police.
3/ Prendre en considération les retenus souffrants de maladies graves et leur offrir des soins à l’extérieur du centre.
4/ Libérer les retenus ayant une situation familiale et des enfants à charge nés et issus d’un mariage sur le sol français.
5/ Offrir un nombre suffisant d’avocats commis d’office durant les audiences pour les retenus.
6/ Donner le choix aux retenus désirant quitter la France par leurs propres moyens pour préserver leur dignité.
7/ Remédier aux conditions de mouvement et de déplacement des retenus et la longue attente avant et après les audiences.
8/ Donner plus de temps aux détenus libérés après 32 jours de détention pour pouvoir remédier à leur situation irrégulière ou rentrer dans leur pays d’origine.
9/ Arrêter les contrôles massifs et abusifs dans les rues qui portent atteinte à la liberté et la dignité des personnes.
10/ Respecter le règlement intérieur des retenus et les informer de chaque mouvement.
11/ Fermer les centres de rétention et régulariser les sans-papiers.
Cet appel daté du 30 juin 2009 a été signé par 48 personnes enfermées au centre de rétention de Vincennes, mais d’autres ont rejoint le mouvement depuis.
Les retenus peuvent être contactés par les cabines téléphoniques du centre :
01 45 18 59 70 — 01 45 18 12 40 — 01 45 18 02 50
Les sans-papiers retenus à Vincennes
entament une grève de la faim
«Nous, l’ensemble des retenus du centre de rétention de Vincennes, après une concertation générale, avons convenu d’entamer une grève de la faim à partir du 30 juin 2009 jusqu’à satisfaction totale de nos revendications», peut-on lire sur l’avis de grève de la faim des sans-papiers enfermés à Vincennes. Signée par 48 personnes retenues dans le plus grand centre de rétention administrative (CRA) de France, une liste de onze revendications a été communiquée «aux services de la préfecture concernés», explique l’une d’elles, Ahmed (son nom a été modifié).
Les retenus ont décidé de se mobiliser en réaction à une tentative de suicide par pendaison de l’un des leurs. «Moi, ça fait 26 jours que je suis enfermé, j’ai déjà assisté à six tentatives de suicide ! Les gens se charcutent le corps avec les lames qu’ils arrivent à trouver et se pendent avec des draps», raconte Ahmed. Agir est alors apparu comme une nécessité. «On ne réagit plus à la vue du sang, on n’écoute plus ceux qui lancent un appel au secours. On devient comme des êtres sans âme. Il ne faut pas laisser faire ça» lance Ahmed.
Si les mouvements de révolte en centre de rétention sont fréquents, celui-ci semble particulièrement organisé, issu d’une dynamique regroupant l’ensemble des personnes présentes. «Ça a l’air de venir de tout le monde, c’est un vrai travail collectif», commente Damien Nantes, de la Cimade, une association de soutien juridique intervenant en CRA.
En effet, le mouvement de protestation a été mûrement réfléchi et débattu en assemblées générales improvisées. «C’est après des réunions répétées avec l’ensemble des retenus que nous avons décidé de nous mettre en grève de la fin, hier à minuit», détaille Ahmed. Le lendemain, la lutte s’organise concrètement : «Aujourd’hui, nous avons fait un sitting et nous avons commencé à prendre contact avec des associations comme la Cimade, Amnesty International…»
Mais faire tenir un mouvement large dans un CRA est difficile car «de nouvelles personnes arrivent tous les jours, il faut tout réexpliquer à chaque fois, c’est compliqué mais nous prenons le temps de le faire». D’ailleurs, quatre nouveaux retenus auraient adhéré à la démarche depuis ce matin. Les moyens matériels et les possibilités d’expression sont très limités. «J’ai demandé à écrire une banderole. On m’a dit que je ne pouvais utiliser que du papier alors j’ai fait des affiches en français, en arabe et en chinois que j’ai mises dans la cour. Mais elles ont été retirées, on m’a dit que c’était interdit.»
Les retenus dénoncent de pénibles conditions de vie. «Ici, c’est la malbouffe, l’odeur qui se dégage des barquettes en plastique nous coupe l’appétit. Chaque fois que tu as besoin de quelque chose c’est la guerre avec eux [les gardiens ndlr].» L’enfermement des pères de famille et des «personnes qui suivent de lourds traitements médicaux» est également mis en avant.
Ils dénoncent également la façon dont ils sont traités à l’extérieur, notamment lorsqu’ils doivent être présentés au tribunal, se plaignant «d’attentes interminables dans une pièce au sous-sol du Palais de justice». Au-delà des conditions de vie en CRA, les retenus demandent «l’arrêt des contrôles massifs et abusifs dans les rues», la fermeture des centres de rétention et la régularisation des sans-papiers.
Selon les retenus, les rapports avec les gardiens restent relativement calmes mais l’évolution de la situation doit être observée avec attention dans ce CRA qui a été remis en état il y a peu. Le 22 juin 2008, après la mort d’un retenu, un rassemblement réprimé avait tourné à la révolte, et le CRA avait été entièrement brûlé. Reconstruit depuis, il fait l’objet de toutes les attentions de la préfecture de police qui dépêche toujours un impressionnant dispositif policier lorsque des militants manifestent à ses abords pour demander la libération des sans-papiers. Encore aujourd'hui, une dizaine de sans-papiers présents au moment de l’incendie sont poursuivis en justice, plusieurs d’entre eux ayant fait de nombreux mois de détention provisoire.
Charlotte Rouault - Mediapart, 1er juillet 2009.
Centre de rétention de Vincennes, le 1er juillet 2009
«Il y a des gens qui ont tenté de se suicider. Deux jours de suite. C’est pour cela qu’on a fait le mouvement. Celui d’hier il avait un vol ce matin. Il s’est pendu avec les draps. On est quarante ou cinquante dans le centre.
«C’est le deuxième jour de la grève de la faim. On ne mange pas depuis deux jours. On a commencé avant-hier soir à minuit après une ultime tentative de suicide. En 25 jours, il y a eu cinq tentatives de suicide. L’ambiance était horrible au centre. Ça devenait fou, on regardait ça tous les jours et on s’habituait, c’est fou on ne doit pas s’habituer à des gens qui s’automutilent et se suicident tous les jours. Il fallait réagir à ça. On était en train de devenir des monstres, on réagissait plus. On s’est dit il faut réagir autrement, ne pas s’habituer. On s’est dit qu’un jour il y allait avoir un mort, qu’on allait se retrouver avec un cadavre. On s’est réunis dans la cour. La grève de la faim a commencé à minuit. On a décidé de restituer les sacs du petit-déjeuner qu’ils nous donnent le soir. On les a tous posés sur la table de ping-pong dans la cour. Le lendemain, les policiers ont réagi quand ils ont vu qu’on ne mangeait pas. Les flics nous on dit : Vous mangez pas ? On a dit : Non, on vous parlera après notre réunion et on dira nos revendications. On s’est donc réunis vers 18h30 hier jusqu’à 22h00. La réunion a eu lieu dans la cour. Les flics ont fait quelques tentatives d’intimidations du style : Si vous restez tranquilles, tout se passera bien, sinon, c’est la répression. Ça ne nous a pas fait peur. On est restés sereins. On a discuté d’autres trucs dans la réunion mais c’est la grève de la faim qui a été décidée parce que notre mouvement est pacifique.
«Aujourd’hui, on a demandé du sucre pour notre grève, ils ont dit qu’ils nous répondraient plus tard, deux heures après ils nous ont appelé et ils ont dit OK, mais en fait après il y a une femme, je sais pas qui c’est, qui a dit que non, qu’on doit prendre la nourriture qu’ils nous donnent.
«On a prévenu des associations pour notre mouvement. On attend du soutien maintenant.
«On a écrit une liste de revendications :
1) Apporter une solution rapide et efficace aux retenus traumatisés par les tentatives de suicide.
2) Améliorer les conditions de rétention : nourriture, hygiène, comportements de la police et de l’administration. Parce qu’ils réagissent de manière agressive. On n’a pas le choix pour les heures de repas, pour acheter des clopes… Les consultations avec l’infirmière sont souvent retardées ou refusées. Pareil avec la Cimade. Pour les visites, ils essaient de décourager les gens en les faisant attendre. Ils nous disent que c’est plein et qu’il faut attendre et quand on arrive aux visites on se rend compte qu’en fait il y n’avait qu’une personne.
3) Prendre en considération les retenus gravement malades et leur offrir des soins à l’extérieur. Il y a des gens qui ont des traitements et qu’ils ne peuvent plus suivre ici.
4) Libérer les retenus qui ont une famille, des enfants en France, mariés ou vivant avec une résidente française.
5) Offrir plus d’avocats commis d’office. En général, il y a un seul commis d’office pour cinq ou six retenus. Il n’a que quinze minutes pour regarder le dossier.
6) Donner le choix aux retenus qui souhaitent quitter la France par leurs propres moyens, dans la dignité. Par rapport à la famille là bas, ou pour des raisons politiques, y a des gens qui préfèrent repartir par leur propres moyens. les juges ne veulent jamais donner des assignations à résidence. Moi c’est mon cas par exemple, j’ai demandé au juge et il a refusé.
7) Remédier aux conditions de mouvements, de déplacements avant et après les audiences. On est réveillé à 6h pour une audience à 10h, on attend 4 à 6 heures dans une pièce sale, qui sent l’urine.
8) Donner plus de temps aux retenus qui sortent libres pour préparer leur départ au pays. Légalement on n’a que 8 jours, on ne peut rien préparer en 8 jours.
9) Arrêter les contrôles massifs et abusifs dans la rue qui portent atteinte à la liberté.
10) Respecter le règlement intérieur : l’administration l’enfreint tout le temps. Les personnes sont expulsées sans être prévenues qu’elles vont l’être. Ils doivent nous le dire.
11) Fermer les centres de rétention et régulariser les sans-papiers. Il fallait bien qu’on la mette quelque part quand même cette dernière revendication !»