Calais, terrain d'entraînement policier
Les camps No Border, c’est notamment l’occasion de créer un rapport de force avec les autorités, ce que les journalistes demeurés nomment «ultra violence». Ça consiste à faire des «actions», symboliques ou non, contre l’État, sa police et ses représentants. À Calais, avec la meute de flics, c’est pas simple. Vendredi, quelques-uns ont pourtant bloqué la rocade longeant le camp. La banderole est resté deux minutes sur la voie, puis les gardes mobiles ont chargé, obligeant les camarades à se réfugier dans le camp. Tirs de lacrymos et de grenades assourdissantes s’en sont suivis. Les gardes mobiles sont ensuite restés en position, bloquant la circulation pendant deux heures (ils font le travail à notre place).
Le lendemain, après la manif, rebelote. Quatre camarades, banderoles en main, se sont mis à courir vers la rocade comme des déterrés, mais avant même de passer les barrières du camp, ils avaient déjà fait demi tour, content de leur petite simulation. Les flics n’ont rien compris et la rocade fut à nouveau bloquée par leurs soins.
Du côté harcèlement, la liste est longue : la BAC qui profite de la présence des pompiers sur le camp pour essayer d’entrer à plus d’une quinzaine (sans succès), flashball à la main. Et puis le coup de pression du mardi soir : vers 5 heures du mat, les flics se postent en masse derrière le camp, braquent un projecteur, tentent une entrée, lampes torches en main. L’alerte est alors donnée dans le camp : tout le monde se réveille et fait front. Les flics se retirent, c’était de la provoc’. Dès lors, chaque soir, les flics braqueront le projecteur sur les campeuses et les campeurs. C’était sans compter le sens de l’humour tenace de la population du No Border : le double projecteur qu’on leur a mis dans la face ne les a pas vraiment laissé de marbre.
Sinon, les barrages de keufs posés de part et d’autre du camp ont permis une nouvelle fois d’interdire la sortie du camp à tout ce qui n’était pas jugé «présentable». Rappelons ici que l’interdiction de circuler et l’assignation à résidence sont des mesures exceptionnelles qu’un petit merdeux de préfet n’a aucun droit de prendre, surtout lorsque les contrôles s’effectuent au faciès, ce qui est tout aussi interdit. Mais qu’importe, l’État de droit, c’est dans les films.
Passons rapidement l’encerclement du camp, l’hélicoptère, les contrôles d’identité et les fouilles incessantes. Samedi soir, quand les migrants voulurent regagner leur «jungles» après avoir dansé et chanté toute la soirée, ils durent passer le barrage de flics posté à la sortie du camp, projecteurs braqués. Craignant l’arrestation, un émissaire avec papiers en règle est allé discuter avec la flicaille. Flashball braqué, ordres secs et criés comme à un chien, fouille directe, toujours braqué, et puis la promesse de ne pas emmerder les migrants. L’émissaire assista à leur passage, constata les brusqueries, le mépris et sans doute la peur de se faire planter par l’un de nous. L’État de Guerre permanent…
Du côté de la com’, le QG du journal s’est fait photographier toute l’après-midi par les supers flics de la BAC de Lille, qui n’ont rien d’autre à foutre que de nous attendre en ville au moment de la récupération des journaux :
Le flic : «Je peux en avoir un ?»
«Ouais ça va, t’es là, tu viens faire ton petit minet, avec ta chemise, pendant que nous on se fait contrôler cinq fois par jour.»
Petit sourire faux-cul : «Je veux juste un exemplaire pour le lire.»
«C’est prix libre, 50 cts minimum.»
«Pas de problème.» Il nous tend une piécette comme un débile.
«Ben non, ce fric là on n’en veut pas !»Finalement on lui a filé la version anglaise. Faut bien rigoler. Mais cinq minutes plus tard, on était bon pour un contrôle bien tendu entouré par cinq molosses, flashball en main. Ambiance. Ils ont pris deux exemplaires du journal (savent lire dans la police ?).
Dans la tournée, on récupère trois témoignages de personnes ayant entendu que les commerçants avaient subi des pressions pour ne plus distribuer le journal. Les flics auraient même obligé une commerçante à enlever une affiche du journal (lu dans Nord Littoral). Au passage, spéciale dédicace aux cafés, boulangeries, friteries et kiosques de Calais qui ont pris le journal en dépôt, avec d’ailleurs parfois beaucoup d’enthousiasme.
Et puis, samedi c’était la manif’. Une promenade avec fouille individuelle à la sortie du camp. Des drapeaux sont confisqués. Et puis une promenade de six heures plein soleil dans le désert des zones industrielles ou au milieu des champs… Les barrages de la bleusaille ont empêché systématiquement le contact avec la population, empêchant du même coup les migrants de participer à la manif. Enfin, retour obligé au camp, toujours en masse, dispersion interdite.
Pour l’anecdote, paraît que certains ont vu des hommes grenouilles patauger dans le port, ces débiles ! Sinon, les black blocks étaient bien là : une pierre a été lancée et a fait une belle étoile dans la vitrine d’une boucherie chevaline. La végétalienne qui a fait le coup a une dent contre le commerce carnivore.
La petite réjouissance : un barrage passé en force, direction la mairie. Mais pas le deuxième. Les matraques ont parlé, elles ont gagné. Vu le rapport de force, il n’y avait pas grand-chose à faire, à part peut-être rester au camp à glander ou passer en douce vers le centre ville. Un vieux CGTiste retraité nous avait prévenu : «Autant de flics, j’ai jamais vu ça de ma vie. Vous n’avez pas intérêt à déconner, sinon ils vont vous massacrer ces bâtards.»
Du côté du camp, on a bien rigolé : les jeunes de la ZUP défilant dans le camp avec le drapeau noir en gueulant «No Border, No Nation» ; les deux adolescentes de la ZUP qui nous ont montré comment éviter les barrages de flics visitant ensuite le camp et prenant un vilain plaisir à gueuler «Ça pue le poulet ici !» à la bleusaille. Idem pour les migrants, qui se sont fait plaisir : «Fuck Police» et autres jurons. Les réunions traduites en kurde, pachtoune, farsi, arabe, perse, anglais et français avaient leur charmes, tout comme les parties de foot multiculturelles ou les danses afghanes. Ça aura été le plus grand succès du camp que d’avoir pu faire se rencontrer des populations habituellement isolées les unes des autres.
Quant aux soi-disant casseurs, black blocks, racailles, et autres «infiltrés» de tout poil, soyons clairs. Hippies ou vieux punk, pacifiste ou anarchiste, jongleur ou musicien, littéraire ou sportif, lorsqu’un commissariat brûle, lorsqu’une ligne de CRS se fait défoncer par des enragés, lorsqu’un pavé fait voler en éclat la vitrine d’une banque ou d’un supermarché, on est tous solidaires pour dire : Pan ! dans ta face ! L’État, le capital, c’est la gueule à terre qu’on les veut !
Flics ? Miliciens ? Casseurs ? Nazis ? Fascistes ?
Photos des «forces de l’ordre» prises samedi 27 juin
Nomade no 4, 29 juin 2009
Quotidien du camp No Border de Calais.