Expulsion de la Bourse du Travail
Ratonnade cégétiste à la Bourse du travail :
Expulsion du CSP
En arrivant sur les lieux on en apprend davantage : en fin de matinée, alors que la majorité des occupants était en train de manifester comme chaque mercredi, une cinquantaine de cégétistes portant lunettes de plongée et masques blancs, armés de barres en bois et de gaz lacrymo, faisaient irruption dans la Bourse du travail, gazant la totalité des occupants (enfants compris), frappant à terre les membres de la CSP, ils iront même jusqu’à introduire des gaz lacrymo dans les grandes marmites où mijotait le repas collectif.
Alors que les sans-pap’ sortent, sous les coups, ils sont attendus par plusieurs cars de CRS. De leur côté les membres de la CSP qui manifestaient accourent à la Bourse. Certains seront bloqués à quelques mètres de la porte, d’autres plus haut sur le boulevard.
Les policiers hormis un ou deux civils ne rentreront pas dans la Bourse, en fait on apprend qu’ils n’ont pas de mandat d’expulsion. Les CRS nous empêchent de pénétrer dans le bâtiment, uniquement certains sans-papiers sont autorisés un par un à sortir leurs affaires sur le trottoir, puis ils sont parqués contre le mur entourés par un cordon de CRS.
De notre côté du cordon, nous sommes une vingtaine, nous essayons de les rejoindre. S’en suivra un «matraquage», nous reculons. Les personnes présentes de la CSP nous demandent alors de rester calmes. Derrière nous, la majorité des manifestants sont bloqués, entourés de CRS ils assistent impuissants à l’œuvre de la CGT, les auteurs de la ratonade sont toujours présents, dans la Bourse, dans l’impunité la plus totale.
Des soutiens sont arrivés et se tiennent sur la chaussée dans l’impossibilité de nous rejoindre. Finalement les CRS nous poussent vers eux, matraquant ceux qui se tiennent aux extrémités pour faire avancer la foule.
Mais se rapprochement ne concerne pas tout le monde, un groupe de sans-pap’ reste maintenu contre le mur de la Bourse, nous tentons de les rejoindre, des jets de gaz lacrymo nous en empêchent.
Finalement les CRS décident d’entourer le groupe qui se trouve sur la chaussée, ils nous matraquent et nous gazent, pour nous compresser sur le trottoir en face de la Bourse. L’assaut est violent, quand j’ouvre les yeux un quart d’heure plus tard, je me rends compte qu’il y a des enfants autour de moi, une gosse de dix ans qui a été prise dans les mouvements de foule et gazée, le regard transi de peur, s’accroche à sa mère.
Nous tenterons de la faire sortir, les flics refusent, il faut dire que cette petite fille est noire.
Tout le reste de la journée se passera ainsi, les soutiens, blancs de préférence, ont le droit de sortir mais pas de rentrer, les membres de la CSP, enfants et personnes malades compris, n’ont pas le droit de sortir. Le but est clair, vider les lieux des soutiens.
Très vite eau et nourriture viennent à manquer. Des personnes à l’extérieur tentent de faire passer des provisions, parfois avec succès, en début de soirée c’est de toilettes qui vient à manquer, il y a des toilettes publiques en panne sur le bord du trottoir, la police nous en interdit l’accès.
Trois draps sont tendus par les membres de la CSP, cela fera office de toilettes publiques, les mecs s’efforcent de pisser dans des bouteilles, pour nous c’est un autre problème ! Les matelas récupérés à l’intérieur sont étendus sur le trottoir. Épuisés dans la crainte d’un nouvel assaut certains s’endorment, d’autres discutent. À l’intérieur de la Bourse des vigiles avec des chiens d’une boîte privé de sécurité ont remplacé les cégétistes.
Des négociations opaques se tiennent non loin de là, il est difficile de savoir qui négocie avec qui, dans la nuit certains scandent des «Y en a marre», que dire de plus…
Ils font la guerre aux sans-papiers !
C’est hier en effet que les travailleurs sans-papiers isolés qui occupaient depuis bientôt 14 mois une partie des locaux de la Bourse du travail, 85 rue Charlot, à Paris, pour mener une action d’ensemble visant à obtenir leur régularisation à partir d’un «lieu ami», ont été expulsés.
Cinq jours après le communiqué de la CGT précisant que la Bourse du travail devait être «libérée», voilà donc la chose faite, et de la manière la plus violente.
Une centaine peut-être de membres du service d’ordre de la CGT, sur le coup de midi, profitant du fait que la majeure partie d’entre nous étaient partis à notre manifestation hebdomadaire du mercredi, ont subitement envahi la cour, cagoulés ou masqués, matraquant les hommes et gazant tous les présents, femmes et enfants. Des personnes ont dû être hospitalisés et le petit Mohamed, la mascotte de la Bourse occupée, bien connu de tout le monde, et une femme, viennent seulement de sortir, après 24 heures d’hôpital.
La densité des gaz était telle que Sissoko, notre coordinateur, accouru aux cris, est tombé évanoui dans la cour et ce sont les femmes, réfugiées entre-temps à l’intérieur, qui sont ressorties pour l’y transporter à la force des bras.
Nous nous sommes barricadés dans la grande salle, et la police est alors intervenue, appelée par des gens du voisinage inquiets à cause des grands cris et de la fumée des lacrymogènes.
Dans un premier temps, le commissaire a veillé à empêcher notre affrontement avec le service d’ordre de la CGT. Celle-ci a appelé la Ville de Paris, propriétaire de l’immeuble, qui a immédiatement (ce qui prouve qu’elle était d’accord) réquisitionné la police. Le commissaire nous a alors imposé l’évacuation des locaux, exigeant même, d’après les instructions reçues, notre départ immédiat sans récupération de nos affaires (ce qui, par le passé, s’est souvent soldé par la perte d’effets et documents personnels).
Nous nous sommes opposés et, appelés par nous, nos camarades partis en manifestation sont rentrés. Le rapport de forces a été en quelque manière rétabli, une partie ayant pu même rentrer dans la grande salle par l’accès du boulevard du Temple, contrôlé par nous. Le commissaire a alors accepté de nous faire récupérer toutes nos affaires. Cette opération était terminée un peu après 19 heures.
Depuis, nous sommes campés sur le trottoir du boulevard du Temple à plusieurs centaines (une liste de 600 sans-papiers présents a été dressée hier soir) et attendons que les maires du troisième et deuxième (qui s’y sont engagés) nous trouvent un lieu apte à nous héberger et surtout où nous puissions, sans être dispersés, poursuivre notre action pour obtenir la régularisation de nous tous. Nous sommes dans l’attente d’un rendez-vous que nous a promis le ministère de l’immigration pour discuter les critères de notre régularisation. C’est maintenant le moment le plus mal venu pour affaiblir notre mouvement et, quant à nous, de baisser les bras.
La lutte continue !
Communiqué de presse de la CSP 75
Après avoir avoué ce fait indéniable que «les organisations syndicales CGT de Paris ont effectivement procédé à l’évacuation de la Bourse du travail», ce fait est ainsi minimisé et déformé : «Dès le début, nous avons proposé à la trentaine de sans papiers présents de sortir. Une dizaine d’entre eux l’ont fait de plein gré. Immédiatement, la vingtaine restante s’est emparée de tout ce qu’elle avait sous la main pour le jeter violemment sur les militants de la CGT», etc.
Tout cela est faux. Nous sommes en train de recueillir les témoignages directs de cette journée et une partie du prochain numéro de notre journal y sera consacrée. Bornons-nous à dire ici que, depuis plusieurs jours, l’évacuation était dans l’air. Des menaces ouvertes nous avaient été faites par des responsables CGT (et notamment par le maître des basses œuvres Raymond Chauveau), et l’alerte nous avait été donnée même par des cégétistes amis : cette fois-ci ce n’étaient plus des rumeurs, l’évacuation allait vraiment se faire.
Pour cela, le matin du 24, un mercredi, jour de notre manifestation hebdomadaire, nous avons pris deux décisions.
D’abord, que la manifestation devait avoir lieu. L’avis de beaucoup était qu’il fallait rester à la Bourse pour défendre l’occupation, mais l’argument qui l’a emporté fut celui-ci : si le service d’ordre CGT se présentait avec, en face, un nombre important de sans-papiers, qui pouvait garantir qu’il n’y aurait pas d’affrontements graves, des blessés, voire pire ?
Ensuite, que Sissoko, notre coordinateur, bien connu de tout le monde à la CGT, contrairement à toutes les manifestations précédentes, ne participerait pas à celle-là. Sa présence à la Bourse permettrait, si besoin, des pourparlers afin d’éviter toute violence de part et d’autre.
Nous avions pris toutes nos précautions pour que, le cas échéant, cela se passe d’une manière pacifique. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est la détermination préalable de la CGT de procéder à une action par surprise totale et d’une telle violence. Toute notre expérience étant que même les CRS, même les gendarmes viennent parlementer, au préalable, avec les responsables, nous ne nous attendions pas à ce que la CGT ne fasse pas de même.
Il est faux qu’une dizaine d’entre nous sont sortis «de plein gré». Nous avions réparti nos camarades restés sur place, dans la cour, dans la grande salle, dans les étages, et une dizaine au dehors, devant l’entrée de la rue Charlot. Le commando du service d’ordre qui nous a gazés avant même que nous réalisions ce qui se passait, a fait irruption par la première porte à gauche passé le portail d’entrée, la porte qui donne accès aux bureaux que nous n’avons jamais occupés.
Ce commando était caché à l’intérieur de la Bourse, dans ces bureaux. Un de nos délégués qui se tenait dans le hall a été plaqué contre le mur, immobilisé, nos camarades qui étaient au dehors n’ont pu qu’y rester, coupés sur-le-champ de ceux à l’intérieur.
Il est dit : «Nos militants ont reculé, attendu que les choses se calment et ont refoulé sans violence les sans-papiers dans la grande salle ouverte sur le boulevard du Temple. Dans les minutes qui ont suivi, plusieurs sans-papiers ont démonté des bancs sur la voie publique et cassé des vitres du bâtiment.»
Faux ! Voilà qu’on essaie même de nous faire passer pour des casseurs !
Les sans-papiers ont certes reculé dans la grande salle, mais pour fuir les gaz et y transporter les personnes évanouies et blessées. L’accès du boulevard était contrôlé par nous ; nous sommes certes sortis nous procurer les planches des bancs, mais pour barricader les portes donnant accès, de la cour, à la grande salle, parce que le commando des gazeurs, après avoir nettoyé la cour, continuait en envoyant les gaz vers l’intérieur par les couloirs qui portent à cette salle.
À noter que c’est justement ce barricadage qui a empêché l’affrontement direct avec nos camarades qui se trouvaient à l’intérieur, donc des conséquences encore plus graves.
Il est dit : «Il n’y a eu aucun blessé… il n’y avait aucun enfant dans la Bourse et, seules, deux femmes y étaient présentes. La police n’est pas intervenue à l’intérieur de la Bourse du travail.»
Faux ! Voici les chiffres à la suite de cette action menée dans la cour intérieure de la Bourse. Huit de nos camarades hospitalisés. Dix évanouis. Cinq blessés légers. Ce ne sont là que ceux qui ont eu besoin d’être soignés par les hôpitaux publics ou les urgences des pompiers. Des chiffres documentés, face aux affirmations mensongères de la CGT.
Parmi ces 23 personnes, cinq femmes et un enfant.
Concernant les circonstances de la présence et du rôle de la police «à l’intérieur de la Bourse», nous en avons déjà parlé dans notre communiqué précédent du 25 juin, auquel nous renvoyons.
Affaire à suivre…
Communiqué
Les syndicalistes de la CGT qui, en coordination avec les forces de police, ont utilisé des méthodes d’une extrême violence et digne d’une milice d’extrême droite nous laissent sans voix ! Rien ne peut justifier de telles méthodes.
La fédération CNT santé social et collectivités territoriales réaffirme sa solidarité à l’ensemble du CSP 75 et à tous les travailleurs avec ou sans papiers.
Et conformément à ses principes internationalistes exige :
Demain, à qui le tour ?
En devenant auxiliaire armé du Commandeur Hortefeux, le SO coupable de ratonnades et d’expulsions de travailleur.euse.s en détresse se fait milice des exploiteurs. Incapable de porter l’Histoire et les aspirations des mouvements des exploité.e.s, quand elle ne les trahit pas, la bureaucratie CGT enfonce une fois encore le syndicalisme d’aujourd’hui de la honte au déshonneur.
Impuissante et réticente à défendre les travailleur.euse.s en révolte, voici que son SO brise leur unité par de la discrimination raciale ! Après la devanture médiatique de sa campagne de régularisation en mai 2008, le masque tombe !
Nous condamnons, avec toute la fermeté du syndicalisme antifasciste, les actes et les méthodes du 24 juin qui ont eu lieu dans cette Bourse du Travail dont les vieux espoirs sont bafoués par des héritiers/fossoyeurs.
Avec les forces de la résistance, des humanistes et des révolutionnaires, nous réaffirmons notre pleine solidarité avec les expulsé.e.s, la CSP75, et au-delà avec tou.te.s les travailleur.euse.s opprimé.e.s et les harcelé.e.s qui construisent le chemin de leur émancipation.
Déclaration à propos de l’évolution de la CGT
1) Le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers a pris connaissance de la lettre des camarades de la CGT Goodyear à Bernard Thibault. Il en partage tous les termes et en assurera la diffusion.
Il est temps de savoir si nous privilégions la discussion dans les ministères ou la construction d’un véritable rapport de force de lutte de classe.
2) Le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers a pris connaissance de l’évacuation par la force des sans-papiers qui occupaient la Bourse du Travail depuis le 2 mai 2008. Évacuation réalisée par un groupe de miliciens armés qui se prétendent nos camarades. Scandalisé, le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers condamne explicitement et sans aucune réserve cette évacuation.
Si au lieu de négocier avec Hortefeux les critères scandaleux d’une immigration adaptée aux besoins du capitalisme, la Confédération avait élargi le mouvement à tous les sans-papiers — les plus précaires des travailleurs —, si le mouvement avait pris l’ampleur des espoirs qu’il soulevait, si l’élargissement indispensable et possible n’avait pas été purement et simplement enterré par choix délibéré de la Confédération, nous n’en serions pas arrivés là.
On en arrive aujourd’hui à à peine 1500 régularisations, les portes désormais fermées et le mouvement en reflux. Et pourtant, ce n’est pas l’énergie d’un certain nombre de militants CGT et de structures locales qui a manqué pour développer et organiser, bien seuls, la lutte de nos camarades sans-papiers.
Il est absolument normal que le désespoir et le sentiment d’abandon se répandent chez nos camarades, alors qu’ils ont vu l’an dernier, concrètement, qu’il aurait été possible de gagner la régularisation pour tous les sans-papiers.
Quant à la méthode employée, elle ne soulève chez nous que dégoût et honte de notre carte syndicale. Nous imaginons désormais sans mal que la même chose se produirait si d’autres camarades en lutte (les Goodyear, peut-être ?) se mobilisaient d’une manière qui déplaît à nos dirigeants…
3) Le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers appelle l’ensemble des syndicats du Verre et de la Céramique d’une part, de la Seine Saint-Denis d’autre part à se prononcer explicitement et publiquement sur ces événements très concrets. Il est temps d’en finir avec les protestations de couloir, les escarmouches d’appareil. Il est temps de prendre position. A la veille du 49e Congrès de décembre, il est temps de savoir qui défend réellement l’orientation confédérale actuelle, et qui s’y oppose.
Évacuation des sans-papiers - Bourse du travail de Paris
La question n’est pas de savoir quelle était la relation entre la CGT et le Comité de sans-papiers ni de discuter de l’opportunité (effectivement discutable) de cette «occupation», pas plus que de son efficacité. La question est de savoir ce que des militants syndicaux ont le droit de faire au nom de notre syndicat et ce qu’ils n’ont pas le droit de faire.
L’image de notre syndicat en est altérée et le message que cela permet à nos adversaires d’exploiter est lourd de conséquences.
Certes la CGT est au côté des travailleurs sans papier pour faire avancer leurs droits et soutenir leurs dossiers de régularisation et leur apporte son soutien actif mais cela ne dédouane en aucun cas les «militants CGT» d’avoir utilisé la méthode qu’ils ont utilisé mercredi.
Les questions de principes et de symbole sont capitales. La question de la violence physique et morale n’est pas anecdotique.
Il est temps de remettre les choses à leur place et de travailler ensemble à contrer la politique anti-immigration qui exploite la misère et le travail des sans-papiers.
Comment la CGT a organisé l’expulsion des sans-papiers
Comment en est-on arrivé là ?
Plusieurs dizaines de familles, maliennes dans leur grande majorité, occupaient la Bourse du travail, rue Charlot à Paris, depuis mai 2008. Leur intention de départ était d’exiger la régularisation de tous les sans-papiers, et pas seulement de quelques-uns sur des critères de travail (contrat notamment), ce que la CGT proposait. Depuis 14 mois, toutes les tentatives de dialogue et de médiation ont échoué. «Nous avons discuté pendant des mois avec eux, avec d’autres syndicats, avec des associations, explique Olivier Villeret, de la CGT-Paris. Nous étions prêts à travailler sur 330 dossiers de personnes qui avaient des fiches de paie et dont on pouvait penser qu’il aurait été possible de les régulariser. Nous avons proposé un lieu alternatif, qui leur permettrait de faire pression plus efficacement sur le patronat et le gouvernement. Mais la coordination des sans-papiers a fermé le dialogue en disant qu’ils ne quitteraient pas les lieux. Je n’arrive toujours pas à comprendre leur stratégie.»
Appelé en janvier pour tenter une médiation, Sidibé Markan, président du Haut Conseil des Maliens de France, exprime sa «colère». «Ces 14 mois d’occupation se soldent par un échec total. Je suis persuadé qu’une solution négociée restait possible.» Markan accuse la CGT d’avoir interrompu le dialogue. «Je suis parti trois semaines au Mali, à mon retour personne à la CGT n’était plus joignable. Nous avons donc concentré nos efforts sur les familles.» Selon lui, la CGT n’a fait qu’«exécuter la volonté générale de l’ensemble des syndicats». De toutes évidences, le mouvement des sans-papiers de la Bourse du travail était dans une impasse totale et très peu d’organisations syndicales ou d’associations s’en montraient solidaires sans réserves.
Interrogé par Mediapart, Richard Moyon du Réseau éducation sans frontières (RESF) affirme que les torts sont partagés. «La CGT se devait de trouver une solution, mais il est vrai que lorsque nous avons proposé de prendre en charge les dossiers de certaines familles, la CSP 75 a refusé.» En d’autres termes, la coordination voulait garder le contrôle du mouvement. Au risque de le saborder.
Comment l’action a-t-elle été organisée ?
Selon Patrick Picard, secrétaire général de l’Union départementale (UD) CGT de Paris, l’action a été décidée «avec l’ensemble du mouvement syndical», c’est-à-dire tous les syndicats de la Bourse du travail. La réalité est un peu plus complexe. Le 5 février 2009, la commission administrative de la Bourse du travail, sorte de comité de direction où siègent dix-neuf syndicalistes (CFDT, CGT, FO, CFTC, CGC, Unsa, Solidaires), avait publié un communiqué exigeant que «l’outil “Bourse du Travail” [redevienne] disponible pour les salariés afin qu’ils puissent se défendre, avec leurs syndicats, contre tous les mauvais coups». À l’époque, ce communiqué avait été interprété comme une première sommation envers les occupants des lieux. Edgar Fisson, secrétaire général de la commission administrative de la Bourse du travail (et adhérent de la CGT), a interprété ce texte comme un «mandat» qui lui donnait toute latitude pour agir.
Sauf que la décision de faire intervenir une cinquantaine de membres du service d’ordre de la CGT n’a pas été prise au cours d’une réunion plénière. C’est bien la CGT qui a organisé l’opération, et les autres syndicats n’ont été avertis que peu de temps avant l’opération, par message électronique ! Edgar Fisson, qui savait qu’une action était imminente, a envoyé mercredi matin un email aux membres de la CA. Il leur demandait d’approuver le communiqué qui allait être publié dans l’après-midi, après l’évacuation, et qui annonçait la «libération de la Bourse du Travail de Paris». «Je leur ai demandé de m’appeler en cas de désaccords. Tous ont répondu qu’ils étaient d’accord, sauf Solidaires que je n’ai pas eu en direct.» Fisson a donc considéré qu’il s’agissait là d’un feu vert.
Ce jeudi, Solidaires estime au contraire dans un communiqué que l’instance de direction de la Bourse du travail n’a pas été dûment consultée.
Depuis combien de temps l’opération était-elle planifiée ? Edgar Fisson refuse de répondre avec précision. Mais l’organisation a été minutieuse : «Ce type d’actions ne se décide pas en 24 heures. Nous avons étudié tous les problèmes, pour qu’il n’y ait pas de blessé et que la dignité des gens soit respectée.» «L’opération a été décidée trois ou quatre jours avant», indique Patrick Picard, secrétaire général de l’UD-CGT de Paris, qui a tout supervisé.
En fait, le bureau de l’UD en parlait depuis une quinzaine de jours. Le mercredi n’avait pas été choisi par hasard : ce jour-là, les sans-papiers de la Bourse du travail manifestent rituellement pour réclamer leur régularisation. Une partie des occupants n’était donc pas dans les locaux à midi, quand l’opération commando a débuté. «Nous avons attendu qu’il y ait le moins de monde possible», explique Picard. Quand on lui demande si ces méthodes ne rappellent pas celles d’une milice privée, un membre de la CGT fait une réponse surprenante : «Une milice privée est payée par les patrons. Là, ce sont des militants.» La nuance est tout de même difficile à saisir…
Qui a appelé la police ?
En évacuant la Bourse du travail, ce que le gouvernement réclamait depuis longtemps, la CGT a-t-elle joué les supplétifs de la police ? Non, assure Patrick Picard de la CGT-Paris. «Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la police n’est jamais entrée dans la Bourse du travail, nous voulions absolument éviter qu’elle y entre.» Là encore, ce propos mérite de substantielles nuances. Car si, selon nos informations, la CGT n’a pas prévenu la police, et si la police n’a effectivement pas évacué les lieux, les forces de l’ordre ont tout de même été appelées à la rescousse.
À 13h30, alors que l’évacuation à la Bourse du travail bat son plein, Edgar Fisson envoie à Bertrand Delanoë, maire de Paris, une lettre demandant «l’intervention des forces de police» pour «libérer» la grande salle de réunion du bâtiment, la salle Eugène-Henaff, où sont retranchés une trentaine de sans-papiers. «La cour était libre, les bâtiments étaient libres. J’ai pris une précaution pour protéger cette salle», affirme Fisson. «Mais ce n’est pas ma lettre qui a déclenché l’arrivée des forces de l’ordre», précise-t-il.
Les policiers auraient été alertés par le voisinage et des forces déjà sur place. Reste que la police a été informée quasiment dès le début de l’opération par la CGT. En tout cas, une fois que les sans-papiers retranchés dans le bâtiment ont commencé à se défendre en lançant des projectiles des fenêtres de la cour intérieure. À l’extérieur, quelques carreaux ont été cassés. «J’ai appelé la préfecture de police, admet Patrick Picard. Je suis intervenu pour qu’il n’y ait pas d’arrestations, aussi bien dans nos rangs que dans ceux des sans-papiers évacués.» La CGT a donc bel et bien négocié la suite des événements avec la préfecture.
Y a-t-il eu des violences ?
Mercredi matin, une quarantaine de «militants de la CGT» selon la terminologie officielle — en fait, des membres du service d’ordre, qui encadrent régulièrement les manifestations, arrivent à la Bourse du travail. Comme le montrent les photographies prises à l’intérieur de la Bourse du travail par Marc Torl, abonné de Mediapart présent à l’intérieur du bâtiment au moment de l’évacuation et qui en a rendu compte sur son blog, les gros bras sont très équipés : des masques de chirurgien, des gaz lacrymogènes et des lunettes de piscine pour protéger leurs yeux, et des bâtons qui semblent être en bois.
La CGT nie officiellement que des lacrymogènes ont été utilisés, tout comme elle nie l’utilisation de matraques. Mais Marc Torl est formel, de même que de nombreux témoins sans papiers. Sissiko, un des porte-parole de la CSP 75, raconte : «J’étais dans la cour quand les gros bras de la CGT sont arrivés, j’ai été gazé, je suis tombé. Je me suis évanoui un quart d’heure, des femmes m’ont versé de l’eau.» Interrogé jeudi soir, Edgar Fisson, le secrétaire général de la Bourse du travail, admettait finalement l’utilisation de bombes lacrymos et de bâtons.
La CGT s’enorgueillit que l’opération n’ait pas fait de blessés. Mais selon l’agence Reuters, une quinzaine de personnes ont été admises à l’hôpital. Selon Sissiko, il ne s’agit que de deux personnes, une femme («elle avait pris un coup de matraque sur les genoux») et un enfant de trois ans, «victime de problèmes respiratoires à cause des gaz» . Toujours selon la même source, ils ont quitté l’hôpital ce jeudi en milieu d’après-midi. Mais de toute évidence, le scénario rose servi par la CGT depuis ces événements — «Nos militants ont reculé, attendu que les choses se calment et ont refoulé sans violence les sans-papiers (…) il n’y a eu ni coup ni blessure», explique ainsi la responsable de la communication de la CGT-Paris —, est très enjolivé.
La direction de la CGT était-elle au courant ?
«Pour l’instant», la direction de la CGT n’a pas prévu de réagir sur cette affaire. À la Confédération, les proches de Bernard Thibault refusent de s’exprimer officiellement. Seule l’union départementale (UD) de Paris serait concernée, conformément aux statuts du syndicat qui indiquent que les syndicats locaux sont seuls responsables de leurs actions. Un des dirigeants de l’UD de Paris, Olivier Villeret, affirme pourtant à Mediapart que «si l’UD assume l’opération qu’elle a planifiée de A à Z, la Confédération a évidemment été avisée en amont. Nous leur avons dit quelques jours avant, mais sans donner de détails ni de date.» Olivier Villeret refuse pourtant d’indiquer qui, et quand, a été prévenu. Malgré ces déclarations, la Confédération persiste : «Nous n’avons pas été avisés.»
Reste l’image déplorable laissée par cette intervention musclée d’un commando syndical au cœur de la Bourse du travail, lieu emblématique des luttes sociales. Sous couvert d’anonymat, un cadre dirigeant de la CGT se désole de l’issue de ces 14 mois d’occupation : «Nous avons toujours cherché à éviter une sortie comme ça. Je suis très étonné qu’on en soit arrivé là. L’image est bien sûr très mauvaise. Il ne fallait pas le faire.»
Expulsion du CSP
Aux alentours de 13 heures, on reçoit des messages, l’information circule, les sans-papiers qui occupent la Bourse du travail ont été violemment molestés et sont en train de se faire expulser.
En arrivant sur les lieux on en apprend davantage : en fin de matinée, alors que la majorité des occupants était en train de manifester comme chaque mercredi, une cinquantaine de cégétistes portant lunettes de plongée et masques blancs, armés de barres en bois et de gaz lacrymo, faisaient irruption dans la Bourse du travail, gazant la totalité des occupants (enfants compris), frappant à terre les membres de la CSP, ils iront même jusqu’à introduire des gaz lacrymo dans les grandes marmites où mijotait le repas collectif.
Les policiers hormis un ou deux civils ne rentreront pas dans la Bourse, en fait on apprend qu’ils n’ont pas de mandat d’expulsion. Les CRS nous empêchent de pénétrer dans le bâtiment, uniquement certains sans-papiers sont autorisés un par un à sortir leurs affaires sur le trottoir, puis ils sont parqués contre le mur entourés par un cordon de CRS.
De notre côté du cordon, nous sommes une vingtaine, nous essayons de les rejoindre. S’en suivra un «matraquage», nous reculons. Les personnes présentes de la CSP nous demandent alors de rester calmes. Derrière nous, la majorité des manifestants sont bloqués, entourés de CRS ils assistent impuissants à l’œuvre de la CGT, les auteurs de la ratonade sont toujours présents, dans la Bourse, dans l’impunité la plus totale.
Mais se rapprochement ne concerne pas tout le monde, un groupe de sans-pap’ reste maintenu contre le mur de la Bourse, nous tentons de les rejoindre, des jets de gaz lacrymo nous en empêchent.
Finalement les CRS décident d’entourer le groupe qui se trouve sur la chaussée, ils nous matraquent et nous gazent, pour nous compresser sur le trottoir en face de la Bourse. L’assaut est violent, quand j’ouvre les yeux un quart d’heure plus tard, je me rends compte qu’il y a des enfants autour de moi, une gosse de dix ans qui a été prise dans les mouvements de foule et gazée, le regard transi de peur, s’accroche à sa mère.
Nous tenterons de la faire sortir, les flics refusent, il faut dire que cette petite fille est noire.
Tout le reste de la journée se passera ainsi, les soutiens, blancs de préférence, ont le droit de sortir mais pas de rentrer, les membres de la CSP, enfants et personnes malades compris, n’ont pas le droit de sortir. Le but est clair, vider les lieux des soutiens.
Très vite eau et nourriture viennent à manquer. Des personnes à l’extérieur tentent de faire passer des provisions, parfois avec succès, en début de soirée c’est de toilettes qui vient à manquer, il y a des toilettes publiques en panne sur le bord du trottoir, la police nous en interdit l’accès.
Trois draps sont tendus par les membres de la CSP, cela fera office de toilettes publiques, les mecs s’efforcent de pisser dans des bouteilles, pour nous c’est un autre problème ! Les matelas récupérés à l’intérieur sont étendus sur le trottoir. Épuisés dans la crainte d’un nouvel assaut certains s’endorment, d’autres discutent. À l’intérieur de la Bourse des vigiles avec des chiens d’une boîte privé de sécurité ont remplacé les cégétistes.
Des négociations opaques se tiennent non loin de là, il est difficile de savoir qui négocie avec qui, dans la nuit certains scandent des «Y en a marre», que dire de plus…
M. - syndiquée CNT Santé Social RP, 25 juin 2009.
Ils font la guerre aux sans-papiers !
Le 24 juin restera comme un jour noir dans l’histoire du mouvement des sans-papiers en France mais surtout dans l’histoire du syndicalisme français.
C’est hier en effet que les travailleurs sans-papiers isolés qui occupaient depuis bientôt 14 mois une partie des locaux de la Bourse du travail, 85 rue Charlot, à Paris, pour mener une action d’ensemble visant à obtenir leur régularisation à partir d’un «lieu ami», ont été expulsés.
Cinq jours après le communiqué de la CGT précisant que la Bourse du travail devait être «libérée», voilà donc la chose faite, et de la manière la plus violente.
Une centaine peut-être de membres du service d’ordre de la CGT, sur le coup de midi, profitant du fait que la majeure partie d’entre nous étaient partis à notre manifestation hebdomadaire du mercredi, ont subitement envahi la cour, cagoulés ou masqués, matraquant les hommes et gazant tous les présents, femmes et enfants. Des personnes ont dû être hospitalisés et le petit Mohamed, la mascotte de la Bourse occupée, bien connu de tout le monde, et une femme, viennent seulement de sortir, après 24 heures d’hôpital.
La densité des gaz était telle que Sissoko, notre coordinateur, accouru aux cris, est tombé évanoui dans la cour et ce sont les femmes, réfugiées entre-temps à l’intérieur, qui sont ressorties pour l’y transporter à la force des bras.
Nous nous sommes barricadés dans la grande salle, et la police est alors intervenue, appelée par des gens du voisinage inquiets à cause des grands cris et de la fumée des lacrymogènes.
Dans un premier temps, le commissaire a veillé à empêcher notre affrontement avec le service d’ordre de la CGT. Celle-ci a appelé la Ville de Paris, propriétaire de l’immeuble, qui a immédiatement (ce qui prouve qu’elle était d’accord) réquisitionné la police. Le commissaire nous a alors imposé l’évacuation des locaux, exigeant même, d’après les instructions reçues, notre départ immédiat sans récupération de nos affaires (ce qui, par le passé, s’est souvent soldé par la perte d’effets et documents personnels).
Nous nous sommes opposés et, appelés par nous, nos camarades partis en manifestation sont rentrés. Le rapport de forces a été en quelque manière rétabli, une partie ayant pu même rentrer dans la grande salle par l’accès du boulevard du Temple, contrôlé par nous. Le commissaire a alors accepté de nous faire récupérer toutes nos affaires. Cette opération était terminée un peu après 19 heures.
Depuis, nous sommes campés sur le trottoir du boulevard du Temple à plusieurs centaines (une liste de 600 sans-papiers présents a été dressée hier soir) et attendons que les maires du troisième et deuxième (qui s’y sont engagés) nous trouvent un lieu apte à nous héberger et surtout où nous puissions, sans être dispersés, poursuivre notre action pour obtenir la régularisation de nous tous. Nous sommes dans l’attente d’un rendez-vous que nous a promis le ministère de l’immigration pour discuter les critères de notre régularisation. C’est maintenant le moment le plus mal venu pour affaiblir notre mouvement et, quant à nous, de baisser les bras.
La lutte continue !
CSP 75, 25 juin.
Communiqué de presse de la CSP 75
Après l’évacuation de la Bourse du travail par la force, le 24 juin, l’UD-CGT de Paris a fait sortir, le 25, un communiqué de presse mensonger, visant à faire passer les victimes et blessés (femmes et enfants d’abord) de cette action comme des violents, et les nervis du commando paramilitaire de son service d’ordre comme des espèces d’anges de la non-violence.
Après avoir avoué ce fait indéniable que «les organisations syndicales CGT de Paris ont effectivement procédé à l’évacuation de la Bourse du travail», ce fait est ainsi minimisé et déformé : «Dès le début, nous avons proposé à la trentaine de sans papiers présents de sortir. Une dizaine d’entre eux l’ont fait de plein gré. Immédiatement, la vingtaine restante s’est emparée de tout ce qu’elle avait sous la main pour le jeter violemment sur les militants de la CGT», etc.
Tout cela est faux. Nous sommes en train de recueillir les témoignages directs de cette journée et une partie du prochain numéro de notre journal y sera consacrée. Bornons-nous à dire ici que, depuis plusieurs jours, l’évacuation était dans l’air. Des menaces ouvertes nous avaient été faites par des responsables CGT (et notamment par le maître des basses œuvres Raymond Chauveau), et l’alerte nous avait été donnée même par des cégétistes amis : cette fois-ci ce n’étaient plus des rumeurs, l’évacuation allait vraiment se faire.
Pour cela, le matin du 24, un mercredi, jour de notre manifestation hebdomadaire, nous avons pris deux décisions.
D’abord, que la manifestation devait avoir lieu. L’avis de beaucoup était qu’il fallait rester à la Bourse pour défendre l’occupation, mais l’argument qui l’a emporté fut celui-ci : si le service d’ordre CGT se présentait avec, en face, un nombre important de sans-papiers, qui pouvait garantir qu’il n’y aurait pas d’affrontements graves, des blessés, voire pire ?
Ensuite, que Sissoko, notre coordinateur, bien connu de tout le monde à la CGT, contrairement à toutes les manifestations précédentes, ne participerait pas à celle-là. Sa présence à la Bourse permettrait, si besoin, des pourparlers afin d’éviter toute violence de part et d’autre.
Nous avions pris toutes nos précautions pour que, le cas échéant, cela se passe d’une manière pacifique. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est la détermination préalable de la CGT de procéder à une action par surprise totale et d’une telle violence. Toute notre expérience étant que même les CRS, même les gendarmes viennent parlementer, au préalable, avec les responsables, nous ne nous attendions pas à ce que la CGT ne fasse pas de même.
Il est faux qu’une dizaine d’entre nous sont sortis «de plein gré». Nous avions réparti nos camarades restés sur place, dans la cour, dans la grande salle, dans les étages, et une dizaine au dehors, devant l’entrée de la rue Charlot. Le commando du service d’ordre qui nous a gazés avant même que nous réalisions ce qui se passait, a fait irruption par la première porte à gauche passé le portail d’entrée, la porte qui donne accès aux bureaux que nous n’avons jamais occupés.
Ce commando était caché à l’intérieur de la Bourse, dans ces bureaux. Un de nos délégués qui se tenait dans le hall a été plaqué contre le mur, immobilisé, nos camarades qui étaient au dehors n’ont pu qu’y rester, coupés sur-le-champ de ceux à l’intérieur.
Il est dit : «Nos militants ont reculé, attendu que les choses se calment et ont refoulé sans violence les sans-papiers dans la grande salle ouverte sur le boulevard du Temple. Dans les minutes qui ont suivi, plusieurs sans-papiers ont démonté des bancs sur la voie publique et cassé des vitres du bâtiment.»
Faux ! Voilà qu’on essaie même de nous faire passer pour des casseurs !
Les sans-papiers ont certes reculé dans la grande salle, mais pour fuir les gaz et y transporter les personnes évanouies et blessées. L’accès du boulevard était contrôlé par nous ; nous sommes certes sortis nous procurer les planches des bancs, mais pour barricader les portes donnant accès, de la cour, à la grande salle, parce que le commando des gazeurs, après avoir nettoyé la cour, continuait en envoyant les gaz vers l’intérieur par les couloirs qui portent à cette salle.
À noter que c’est justement ce barricadage qui a empêché l’affrontement direct avec nos camarades qui se trouvaient à l’intérieur, donc des conséquences encore plus graves.
Il est dit : «Il n’y a eu aucun blessé… il n’y avait aucun enfant dans la Bourse et, seules, deux femmes y étaient présentes. La police n’est pas intervenue à l’intérieur de la Bourse du travail.»
Faux ! Voici les chiffres à la suite de cette action menée dans la cour intérieure de la Bourse. Huit de nos camarades hospitalisés. Dix évanouis. Cinq blessés légers. Ce ne sont là que ceux qui ont eu besoin d’être soignés par les hôpitaux publics ou les urgences des pompiers. Des chiffres documentés, face aux affirmations mensongères de la CGT.
Parmi ces 23 personnes, cinq femmes et un enfant.
Concernant les circonstances de la présence et du rôle de la police «à l’intérieur de la Bourse», nous en avons déjà parlé dans notre communiqué précédent du 25 juin, auquel nous renvoyons.
Affaire à suivre…
CSP 75, 27 juin.
Communiqué
La fédération CNT santé social et collectivités territoriales condamne fermement l’expulsion manu militari des travailleurs sans papiers qui occupaient l’Annexe Varlin de la Bourse du Travail depuis maintenant 14 mois dans le cadre du mouvement sans précédent des travailleurs sans papiers déclenché l’an passé.
Les syndicalistes de la CGT qui, en coordination avec les forces de police, ont utilisé des méthodes d’une extrême violence et digne d’une milice d’extrême droite nous laissent sans voix ! Rien ne peut justifier de telles méthodes.
La fédération CNT santé social et collectivités territoriales réaffirme sa solidarité à l’ensemble du CSP 75 et à tous les travailleurs avec ou sans papiers.
Et conformément à ses principes internationalistes exige :
— La liberté de circulation et d’installation.
— Régularisation de tous les sans papiers !
Demain, à qui le tour ?
En apprenant les actes commis et les méthodes employées le 24 juin 2009 à la Bourse du Travail, c’est toute sa nausée que la CNT25 adresse à la CGT75.
En devenant auxiliaire armé du Commandeur Hortefeux, le SO coupable de ratonnades et d’expulsions de travailleur.euse.s en détresse se fait milice des exploiteurs. Incapable de porter l’Histoire et les aspirations des mouvements des exploité.e.s, quand elle ne les trahit pas, la bureaucratie CGT enfonce une fois encore le syndicalisme d’aujourd’hui de la honte au déshonneur.
Impuissante et réticente à défendre les travailleur.euse.s en révolte, voici que son SO brise leur unité par de la discrimination raciale ! Après la devanture médiatique de sa campagne de régularisation en mai 2008, le masque tombe !
Nous condamnons, avec toute la fermeté du syndicalisme antifasciste, les actes et les méthodes du 24 juin qui ont eu lieu dans cette Bourse du Travail dont les vieux espoirs sont bafoués par des héritiers/fossoyeurs.
Avec les forces de la résistance, des humanistes et des révolutionnaires, nous réaffirmons notre pleine solidarité avec les expulsé.e.s, la CSP75, et au-delà avec tou.te.s les travailleur.euse.s opprimé.e.s et les harcelé.e.s qui construisent le chemin de leur émancipation.
Raflé.e.s, expulsé.e.s, exploité.e.s, opprimé.e.s, enfermé.e.s, contrôlé.e.s… et ratonné.e.s par la CGT : Solidarité avec les travailleur.euse.s sans papiers.
Mêmes patrons, même combat !
Syndicat CNT du Doubs, 27 juin.
Déclaration à propos de l’évolution de la CGT
1) Le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers a pris connaissance de la lettre des camarades de la CGT Goodyear à Bernard Thibault. Il en partage tous les termes et en assurera la diffusion.
Il est temps de savoir si nous privilégions la discussion dans les ministères ou la construction d’un véritable rapport de force de lutte de classe.
2) Le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers a pris connaissance de l’évacuation par la force des sans-papiers qui occupaient la Bourse du Travail depuis le 2 mai 2008. Évacuation réalisée par un groupe de miliciens armés qui se prétendent nos camarades. Scandalisé, le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers condamne explicitement et sans aucune réserve cette évacuation.
Si au lieu de négocier avec Hortefeux les critères scandaleux d’une immigration adaptée aux besoins du capitalisme, la Confédération avait élargi le mouvement à tous les sans-papiers — les plus précaires des travailleurs —, si le mouvement avait pris l’ampleur des espoirs qu’il soulevait, si l’élargissement indispensable et possible n’avait pas été purement et simplement enterré par choix délibéré de la Confédération, nous n’en serions pas arrivés là.
On en arrive aujourd’hui à à peine 1500 régularisations, les portes désormais fermées et le mouvement en reflux. Et pourtant, ce n’est pas l’énergie d’un certain nombre de militants CGT et de structures locales qui a manqué pour développer et organiser, bien seuls, la lutte de nos camarades sans-papiers.
Il est absolument normal que le désespoir et le sentiment d’abandon se répandent chez nos camarades, alors qu’ils ont vu l’an dernier, concrètement, qu’il aurait été possible de gagner la régularisation pour tous les sans-papiers.
Quant à la méthode employée, elle ne soulève chez nous que dégoût et honte de notre carte syndicale. Nous imaginons désormais sans mal que la même chose se produirait si d’autres camarades en lutte (les Goodyear, peut-être ?) se mobilisaient d’une manière qui déplaît à nos dirigeants…
3) Le syndicat CGT Saint-Gobain Aubervilliers appelle l’ensemble des syndicats du Verre et de la Céramique d’une part, de la Seine Saint-Denis d’autre part à se prononcer explicitement et publiquement sur ces événements très concrets. Il est temps d’en finir avec les protestations de couloir, les escarmouches d’appareil. Il est temps de prendre position. A la veille du 49e Congrès de décembre, il est temps de savoir qui défend réellement l’orientation confédérale actuelle, et qui s’y oppose.
Syndicat CGT saintGobain Aubervilliers, 26 juin.
Évacuation des sans-papiers - Bourse du travail de Paris
La CGT Éduc’Action Aquitaine, condamne l’évacuation brutale des sans-papiers qui «occupaient» la Bourse du travail de Paris par des militants CGT mercredi 24 juin 2009. L’utilisation de lacrymos et de bâtons a été rapportée par de nombreux témoins ayant souligné la violence des actes. Des blessés ont été évacués.
La question n’est pas de savoir quelle était la relation entre la CGT et le Comité de sans-papiers ni de discuter de l’opportunité (effectivement discutable) de cette «occupation», pas plus que de son efficacité. La question est de savoir ce que des militants syndicaux ont le droit de faire au nom de notre syndicat et ce qu’ils n’ont pas le droit de faire.
L’image de notre syndicat en est altérée et le message que cela permet à nos adversaires d’exploiter est lourd de conséquences.
Certes la CGT est au côté des travailleurs sans papier pour faire avancer leurs droits et soutenir leurs dossiers de régularisation et leur apporte son soutien actif mais cela ne dédouane en aucun cas les «militants CGT» d’avoir utilisé la méthode qu’ils ont utilisé mercredi.
Les questions de principes et de symbole sont capitales. La question de la violence physique et morale n’est pas anecdotique.
Il est temps de remettre les choses à leur place et de travailler ensemble à contrer la politique anti-immigration qui exploite la misère et le travail des sans-papiers.
Anne Plamondon & Jean-Marie Benaben, 26 juin 2009
Secrétariat académique CGT Éduc’Action Aquitaine
Comment la CGT a organisé l’expulsion des sans-papiers
Les dizaines de sans-papiers (entre 100 et 200) qui occupaient depuis quatorze mois la Bourse du travail, dans le troisième arrondissement de Paris, sont désormais sur le trottoir. Mercredi à midi, ils ont été délogés manu militari par un commando d’une cinquantaine de militants CGT. Une opération musclée, à coups de matraques et de gaz lacrymogènes, qui a suscité de nombreuses réprobations. Les élus Verts de Paris évoquent une «violence injustifiable», le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) des «méthodes brutales». Comment en est-on arrivé là ? Comment et par qui cette opération élaborée en secret a-t-elle été organisée ? La direction de la CGT, qui se targue d’avoir contribué depuis avril 2008 à plus de 2000 régularisations de sans-papiers, était-elle au courant de cette action ?
Comment en est-on arrivé là ?
Plusieurs dizaines de familles, maliennes dans leur grande majorité, occupaient la Bourse du travail, rue Charlot à Paris, depuis mai 2008. Leur intention de départ était d’exiger la régularisation de tous les sans-papiers, et pas seulement de quelques-uns sur des critères de travail (contrat notamment), ce que la CGT proposait. Depuis 14 mois, toutes les tentatives de dialogue et de médiation ont échoué. «Nous avons discuté pendant des mois avec eux, avec d’autres syndicats, avec des associations, explique Olivier Villeret, de la CGT-Paris. Nous étions prêts à travailler sur 330 dossiers de personnes qui avaient des fiches de paie et dont on pouvait penser qu’il aurait été possible de les régulariser. Nous avons proposé un lieu alternatif, qui leur permettrait de faire pression plus efficacement sur le patronat et le gouvernement. Mais la coordination des sans-papiers a fermé le dialogue en disant qu’ils ne quitteraient pas les lieux. Je n’arrive toujours pas à comprendre leur stratégie.»
Appelé en janvier pour tenter une médiation, Sidibé Markan, président du Haut Conseil des Maliens de France, exprime sa «colère». «Ces 14 mois d’occupation se soldent par un échec total. Je suis persuadé qu’une solution négociée restait possible.» Markan accuse la CGT d’avoir interrompu le dialogue. «Je suis parti trois semaines au Mali, à mon retour personne à la CGT n’était plus joignable. Nous avons donc concentré nos efforts sur les familles.» Selon lui, la CGT n’a fait qu’«exécuter la volonté générale de l’ensemble des syndicats». De toutes évidences, le mouvement des sans-papiers de la Bourse du travail était dans une impasse totale et très peu d’organisations syndicales ou d’associations s’en montraient solidaires sans réserves.
Interrogé par Mediapart, Richard Moyon du Réseau éducation sans frontières (RESF) affirme que les torts sont partagés. «La CGT se devait de trouver une solution, mais il est vrai que lorsque nous avons proposé de prendre en charge les dossiers de certaines familles, la CSP 75 a refusé.» En d’autres termes, la coordination voulait garder le contrôle du mouvement. Au risque de le saborder.
Comment l’action a-t-elle été organisée ?
Selon Patrick Picard, secrétaire général de l’Union départementale (UD) CGT de Paris, l’action a été décidée «avec l’ensemble du mouvement syndical», c’est-à-dire tous les syndicats de la Bourse du travail. La réalité est un peu plus complexe. Le 5 février 2009, la commission administrative de la Bourse du travail, sorte de comité de direction où siègent dix-neuf syndicalistes (CFDT, CGT, FO, CFTC, CGC, Unsa, Solidaires), avait publié un communiqué exigeant que «l’outil “Bourse du Travail” [redevienne] disponible pour les salariés afin qu’ils puissent se défendre, avec leurs syndicats, contre tous les mauvais coups». À l’époque, ce communiqué avait été interprété comme une première sommation envers les occupants des lieux. Edgar Fisson, secrétaire général de la commission administrative de la Bourse du travail (et adhérent de la CGT), a interprété ce texte comme un «mandat» qui lui donnait toute latitude pour agir.
Sauf que la décision de faire intervenir une cinquantaine de membres du service d’ordre de la CGT n’a pas été prise au cours d’une réunion plénière. C’est bien la CGT qui a organisé l’opération, et les autres syndicats n’ont été avertis que peu de temps avant l’opération, par message électronique ! Edgar Fisson, qui savait qu’une action était imminente, a envoyé mercredi matin un email aux membres de la CA. Il leur demandait d’approuver le communiqué qui allait être publié dans l’après-midi, après l’évacuation, et qui annonçait la «libération de la Bourse du Travail de Paris». «Je leur ai demandé de m’appeler en cas de désaccords. Tous ont répondu qu’ils étaient d’accord, sauf Solidaires que je n’ai pas eu en direct.» Fisson a donc considéré qu’il s’agissait là d’un feu vert.
Ce jeudi, Solidaires estime au contraire dans un communiqué que l’instance de direction de la Bourse du travail n’a pas été dûment consultée.
Depuis combien de temps l’opération était-elle planifiée ? Edgar Fisson refuse de répondre avec précision. Mais l’organisation a été minutieuse : «Ce type d’actions ne se décide pas en 24 heures. Nous avons étudié tous les problèmes, pour qu’il n’y ait pas de blessé et que la dignité des gens soit respectée.» «L’opération a été décidée trois ou quatre jours avant», indique Patrick Picard, secrétaire général de l’UD-CGT de Paris, qui a tout supervisé.
En fait, le bureau de l’UD en parlait depuis une quinzaine de jours. Le mercredi n’avait pas été choisi par hasard : ce jour-là, les sans-papiers de la Bourse du travail manifestent rituellement pour réclamer leur régularisation. Une partie des occupants n’était donc pas dans les locaux à midi, quand l’opération commando a débuté. «Nous avons attendu qu’il y ait le moins de monde possible», explique Picard. Quand on lui demande si ces méthodes ne rappellent pas celles d’une milice privée, un membre de la CGT fait une réponse surprenante : «Une milice privée est payée par les patrons. Là, ce sont des militants.» La nuance est tout de même difficile à saisir…
En évacuant la Bourse du travail, ce que le gouvernement réclamait depuis longtemps, la CGT a-t-elle joué les supplétifs de la police ? Non, assure Patrick Picard de la CGT-Paris. «Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la police n’est jamais entrée dans la Bourse du travail, nous voulions absolument éviter qu’elle y entre.» Là encore, ce propos mérite de substantielles nuances. Car si, selon nos informations, la CGT n’a pas prévenu la police, et si la police n’a effectivement pas évacué les lieux, les forces de l’ordre ont tout de même été appelées à la rescousse.
À 13h30, alors que l’évacuation à la Bourse du travail bat son plein, Edgar Fisson envoie à Bertrand Delanoë, maire de Paris, une lettre demandant «l’intervention des forces de police» pour «libérer» la grande salle de réunion du bâtiment, la salle Eugène-Henaff, où sont retranchés une trentaine de sans-papiers. «La cour était libre, les bâtiments étaient libres. J’ai pris une précaution pour protéger cette salle», affirme Fisson. «Mais ce n’est pas ma lettre qui a déclenché l’arrivée des forces de l’ordre», précise-t-il.
Les policiers auraient été alertés par le voisinage et des forces déjà sur place. Reste que la police a été informée quasiment dès le début de l’opération par la CGT. En tout cas, une fois que les sans-papiers retranchés dans le bâtiment ont commencé à se défendre en lançant des projectiles des fenêtres de la cour intérieure. À l’extérieur, quelques carreaux ont été cassés. «J’ai appelé la préfecture de police, admet Patrick Picard. Je suis intervenu pour qu’il n’y ait pas d’arrestations, aussi bien dans nos rangs que dans ceux des sans-papiers évacués.» La CGT a donc bel et bien négocié la suite des événements avec la préfecture.
Mercredi matin, une quarantaine de «militants de la CGT» selon la terminologie officielle — en fait, des membres du service d’ordre, qui encadrent régulièrement les manifestations, arrivent à la Bourse du travail. Comme le montrent les photographies prises à l’intérieur de la Bourse du travail par Marc Torl, abonné de Mediapart présent à l’intérieur du bâtiment au moment de l’évacuation et qui en a rendu compte sur son blog, les gros bras sont très équipés : des masques de chirurgien, des gaz lacrymogènes et des lunettes de piscine pour protéger leurs yeux, et des bâtons qui semblent être en bois.
La CGT s’enorgueillit que l’opération n’ait pas fait de blessés. Mais selon l’agence Reuters, une quinzaine de personnes ont été admises à l’hôpital. Selon Sissiko, il ne s’agit que de deux personnes, une femme («elle avait pris un coup de matraque sur les genoux») et un enfant de trois ans, «victime de problèmes respiratoires à cause des gaz» . Toujours selon la même source, ils ont quitté l’hôpital ce jeudi en milieu d’après-midi. Mais de toute évidence, le scénario rose servi par la CGT depuis ces événements — «Nos militants ont reculé, attendu que les choses se calment et ont refoulé sans violence les sans-papiers (…) il n’y a eu ni coup ni blessure», explique ainsi la responsable de la communication de la CGT-Paris —, est très enjolivé.
La direction de la CGT était-elle au courant ?
«Pour l’instant», la direction de la CGT n’a pas prévu de réagir sur cette affaire. À la Confédération, les proches de Bernard Thibault refusent de s’exprimer officiellement. Seule l’union départementale (UD) de Paris serait concernée, conformément aux statuts du syndicat qui indiquent que les syndicats locaux sont seuls responsables de leurs actions. Un des dirigeants de l’UD de Paris, Olivier Villeret, affirme pourtant à Mediapart que «si l’UD assume l’opération qu’elle a planifiée de A à Z, la Confédération a évidemment été avisée en amont. Nous leur avons dit quelques jours avant, mais sans donner de détails ni de date.» Olivier Villeret refuse pourtant d’indiquer qui, et quand, a été prévenu. Malgré ces déclarations, la Confédération persiste : «Nous n’avons pas été avisés.»
Reste l’image déplorable laissée par cette intervention musclée d’un commando syndical au cœur de la Bourse du travail, lieu emblématique des luttes sociales. Sous couvert d’anonymat, un cadre dirigeant de la CGT se désole de l’issue de ces 14 mois d’occupation : «Nous avons toujours cherché à éviter une sortie comme ça. Je suis très étonné qu’on en soit arrivé là. L’image est bien sûr très mauvaise. Il ne fallait pas le faire.»
Mathieu Magnaudeix - Mediapart, 25 juin.