Athènes : Sous le béton les arbres

Publié le par la Rédaction


Athènes, dans le quartier d’Exarchia, à quelques pas de la rue où un policier a tué Alexis Grigoropoulos, quinze ans, le 6 décembre dernier. Les murs sont couverts de tags multicolores, de peintures, de tracts et d’affiches. Au coin de la rue Novarinou et Zoodochou Pigis, des passants ébahis découvrent le Parka, un jardin autogéré créé peu après les émeutes de cet hiver. Un matin de mars, des habitants du quartier ont fait exploser le béton de cet ancien parking pour y planter des arbres et des fleurs, sans rien demander à la municipalité, réputée corrompue et inefficace. Tout le monde a mis la main à la pâte suivant ses envies et ses possibilités. Certains ont manié le marteau-piqueur, des paysagistes ont donné de jeunes arbres et des plantes. D’autres ont fabriqué les tables et les bancs, des artistes ont peint les murs et les panneaux de bois qui protègent le jardin.

Un coin de la place a été recouvert de sable noir pour y installer des jeux en bois pour les enfants. L’ancien abri du gardien de parking, repeint en bleu et jaune, sert d’appentis pour les outils, de petit café et éventuellement de chambre pour ceux qui n’ont nulle part où dormir. À l’autre bout, des vêtements sont accrochés sur des fils tendus entre les arbres. Des chaussures, des livres, des disques sont posés sur des tables. Chacun se sert et donne ce dont il n’a plus besoin, en suivant une règle : pas d’argent. Les musiciens grattent leur bouzouki, leur violon, leur guitare. Assis par terre ou sur les bancs disposés au hasard, on chante le rebetiko, ces chansons populaires grecques qui parlent d’exil, de destin et de deuil. Dimitrio, trente-deux ans, travaille comme cuisinière dans un restaurant du quartier. Elle est là depuis le début du projet. «Aujourd’hui c’est plutôt calme, normalement il y a beaucoup plus de monde. Les parents adorent emmener leurs enfants ici, parce qu’avant il n’y avait aucun espace vert dans le quartier. La municipalité voit ça d’un mauvais œil. Les policiers ont fait une descente, la semaine dernière, pendant la nuit. Mais je ne pense pas qu’ils vont réussir à détruire cet endroit.»

Des réunions ouvertes à tous ont lieu deux fois par semaine, afin que tout ce qui concerne le jardin soit décidé collectivement. Les discussions vont de l’aménagement de l’espace aux questions légales. On y discute, par exemple, de la stratégie de défense du projet, au cas où la municipalité leur intenterait un procès. Il fait vraiment bon lézarder à Plaka Novarinou, discuter sur un banc, refaire le monde et prendre son temps. «Bien sûr que c’est une idée géniale !» sourit Panos, vingt-trois ans, étudiant en ingénierie électrique et anarchiste. «J’aimerais que ce genre d’endroit se généralise. Que les gens participent, s’investissent dans la gestion de leur école, de leur entreprise, de leur quartier. Qu’ils puissent s’exprimer et décider librement, collectivement, sans hiérarchie.» Selon lui, si les assemblées générales de cet hiver n’ont rien changé à la situation politique, elles ont permis aux habitants de se rencontrer et de prendre conscience de leur pouvoir.

Victoire Tuaillon - L’Humanité, 25 juin 2009.

Publié dans Grèce générale

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