Le spectre de l'antiterrorisme
Un peu plus de quinze jours après que la police ait procédé à une vingtaine d’interpellations, dans le cadre de la manifestation contre les violences d’État du 23 mai dernier à Lille, l’institution judiciaire rend son premier verdict inique à l’encontre de l’un de nos camarades. Julien comparaissait mercredi 10 juin dernier pour «port d’armes» et «participation à une manifestation non autorisée». Ce dernier chef d’inculpation n’existe pas dans le droit français, une manifestation pouvant au mieux être «déclarée» ou non en préfecture, cette dernière pouvant prendre l’initiative ou non d’interdire une manifestation, ce qui n’était en l’occurrence pas le cas.
Les faits sont caractéristiques de l’hystérie policière dans laquelle nous baignons. Un sac oublié porte de Paris, les services de déminage appelés, un camarade qui franchit sans le remarquer un cordon de sécurité imaginaire (un agent tremblant sur son scooter) et l’arrivée soudaine d’une douzaine d’agents qui lui somment d’ouvrir son sac. À l’intérieur, tout ce qu’il faut pour dresser un procès d’intentions en bonne et due forme : un couteau suisse (Julien travaille dans le carton), du sérum physiologique et des lunettes pour se protéger d’éventuels tirs de lacrymo, une cagoule (un appel avait était lancé pour protester contre l’arrêté anti-cagoule passé dernièrement), un t-shirt de rechange, des gants, deux frondes.
Le procès du 10 juin était lui-aussi placé sous haute surveillance policière. Pour Julien, le TGI s’était transformé en véritable commissariat : des flics en civil qui prennent en photos les individuEs venuEs soutenir notre camarade, les superviseurs bien connus des manifs lilloises qui avaient pris leur après-midi, et même une poignée de CRS à la sortie du tribunal, dont tout indique qu’ils étaient là pour nous. Sans oublier les petites phrases lâchées par les flics commentant la peine de Julien comme étant dû à «l’effet Strasbourg, sachant qu’il y a aussi Calais à la fin du mois». L’épouvantail anarchiste est de nouveau à la mode et pendant ce temps là, nos libertés fondamentales font grise mine.
Dès le début de l’audience, la juge et la procureur ne font qu’un, redoublant d’imagination pour accuser Julien de ce qu’il n’a pas fait. «Les lunettes étaient mouillées, le sac était abandonné… vous avez couru pour éviter la police, dites-le !» Pour la procureur «la répression de l’État, c’est une image d’Épinal» et «critiquer l’État, c’est s’isoler de la société». Elle se demande même ce qu’est «un café citoyen», le lieu où Julien travaille, place du Vieux Marché aux chevaux à Lille. Réquisition : 6 mois avec sursis, démesuré, personne n’y croit trop. Elle sera pourtant suivie par les juges dans sa frénésie répressive. Julien va faire appel.
Ras le bol d’être surveilléEs, fliquéEs, fichéEs ; ras le bol de l’État policier : nous avons la haine contre cette justice préétablie ! La colère ne s’enferme pas derrière des murs ! Nous soutenons fermement Julien et touTEs les camarades dont les procès vont s’échelonner dans le courant du mois de juin.
Le Groupe d’Anarchistes de Lille et Environs
(adhérent de la CGA), 15 juin 2009.
Lille : Les frondes de l’anarchiste
contre la répression de l’État
Présence policière importante, hier après-midi, aux abords du Palais de justice. Pourtant, aucun dangereux criminel n’est annoncé. Mais la septième chambre correctionnelle juge un jeune homme, qui a été intercepté lors d’une manifestation libertaire avec tout l’attirail nécessaire pour canarder la police. Détail : il a également été interpellé lors des émeutes ayant gravement émaillé le sommet de Strasbourg.
Samedi 23 mai à Lille. Des anarchistes et sympathisants manifestent contre la répression de l’État [28 manifestants ont été interpellés puis libérés après quelques heurts et dégradations]. Au pied de la porte de Paris, place Simon-Vollant, la présence d’un sac noir alerte l’attention des policiers. Un périmètre de sécurité est mis en place en attendant l’arrivée des démineurs. Sur ce fait, un grand jeune homme tout de noir vêtu se pointe et ramasse le sac d’un air détaché. Contrôle. La fouille du sac permet la découverte de deux frondes, d’une cagoule de motard, de gants et de sérum physiologique (très utile en cas de lacrymogène). «Tout l’attirail du parfait manifestant», note la présidente Reliquet.

Julien L., 24 ans, qui n’a pas franchement le profil du délinquant chevronné — il est étudiant en gestion de l’environnement —, explique qu’il s’agit d’une méprise. «Les frondes, ce sont des jouets en vente libre.» Intervention ironique de la procureure Hoflack. «C’est ça. Bientôt il va nous dire qu’il joue à Thierry la Fronde.» On n’en est pas loin. «Avec ma copine, on tire sur les canards», explique en effet, sans rire, le prévenu. «C’est effrayant, sourit la présidente, on aurait pu aussi le poursuivre pour cruauté sur animal.» «Vous pouvez également ajouter pour chasse interdite», plaisante à son tour la procureure.
Trêve de rire, Nourith Reliquet pose la seule vraie question qui fâche : «C’était pour tirer sur les policiers, n’est-ce pas ?» Julien L. opine négativement du chef. Excepté peut-être ses amis, il n’y a personne pour le croire. Malgré tout le talent et la ruse de son avocat, Me Antoine Berthe, qui soulève finement plusieurs nullités de procédure, le jugement tombe : six mois avec sursis. De quoi calmer les esprits frondeurs…
Leur presse (Frédérick Lecluyse, La Voix du Nord), 11 juin.